JO de Paris 2024 : Un "saccage écologique, social, économique et démocratique"
Anadolu a interrogé des responsables du mouvement Youth for Climate.
France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Des militants de Youth for Climate ont aspergé de faux sang, dans la nuit de mercredi à jeudi, les anneaux des Jeux olympiques 2024, installés sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, pour dénoncer "l’aberration du projet de société" porté par cet événement sportif.
Interrogés par Anadolu (AA), des responsables du mouvement ont dénoncé le "saccage social, économique, écologique et démocratique" causé par l'événement sportif prévu dans la capitale française à l'été prochain.
- "On veut sensibiliser"
Interrogé par AA sur ce qui les a motivés à cette action sur le parvis de l'Hôtel de Ville, Ink, membre du collectif Youth for Climate, souligne que l'objectif est de "sensibiliser sur l'impact négatif des Jeux olympiques de Paris, un an avant leur début, jour pour jour".
Ink explique que l'impact réel de ces jeux est en contradiction avec "la communication publique de l'État français ou de ce qu'on voit dans les médias, qui peignent le tableau d'un grand rassemblement et des valeurs de solidarité, d’unité et de lutte contre les inégalités raciales et de sexe".
"La réalité est bien différente, voire à l'opposé de cette communication". Les Jeux Olympiques (JO) 2024 de Paris "sont l’exemple parfait du sportwashing", estime-t-il, faisant état d'un "saccage social, économique, écologique et démocratique" causé par l'événement sportif.
"Nous voulons que notre action permette un débat sur ces conséquences négatives largement méconnues par le grand public", déclare Ink.
- Saccage écologique
Ink explique d'abord que tous les événements olympiques précédents ont eu un impact "colossal" sur l'environnement et qu'en cela, les JO 2024 de Paris n'y feront pas exception, malgré la communication des organisateurs déclarant que ce seront "les JO les plus verts de l'histoire", avec une réduction de moitié des émissions de CO2 par rapport aux JO d’été précédents.
"La réalité est que ces JO vont causer une pollution monstre et généreront 1,56 million de tonnes équivalent CO2", fait-il remarquer.
"Dès qu'on a un événement de cette ampleur, cela va nécessiter une construction massive, notamment de nouvelles infrastructures. On est en train de bétonner de grands espaces, avec tous les polluants que cela inclut, en plus de la mort de nombreux espaces verts, explique-t-il, citant notamment la disparition et la bétonisation de l'Aire des vents à Dugny (Seine-Saint-Denis) pour la construction du village des médias ou encore la destruction des Jardins d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).
Ink cite également le projet de construction d'un échangeur autoroutier à proximité d'un groupe scolaire de plus de 600 élèves à Saint-Denis. "Celui-ci constitue un autre saccage en termes de santé publique et un véritable danger pour les habitants, notamment pour les 600 élèves du Groupe scolaire Pleyel - Anatole France, pris en étau entre des voies de circulation démultipliées, avec un doublement du trafic de 10.000 à 20.000 véhicules par jour et une augmentation de la pollution atmosphérique et sonore".
"Et lorsqu'on dit que ce seront les JO les plus verts de l'histoire, on ne prend pas en compte les trajets en avions et jets privés pour les sportifs, les journalistes, etc. et tout le CO2 qui sera dégagé", explique Ink de Youth for Climate (YFC), ajoutant que la construction des gares du Grand Paris Express (GPE) censé desservir les lieux d'épreuves olympiques ne sera finalement pas terminée en 2024".
- Expulsion des populations
Ink de YFC rappelle que la majorité des JO de Paris vont avoir lieu dans l'ouest de la Seine-Saint-Denis, un département dans lequel 28,4 % de la population se trouvait sous le seuil de pauvreté en 2020, selon l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). Il s'agit du département le plus pauvre de France métropolitaine, et le troisième plus pauvre du pays après La Réunion et la Martinique.
Ink rappelle également que l'histoire des Jeux olympiques est marquée par des expulsions des populations (généralement pauvres et démunies) des territoires dans lesquels se tiennent ces événements sportifs, soit pour assurer une "vitrine" accueillante du pays, soit pour "pacifier" certains quartiers. Pour Youth For Climate, Paris ne fait pas exception à cette déplorable réalité.
"Les précaires, les SDF (sans domicile fixe) qui sont en grande partie des personnes migrantes, vont être expulsés du paysage, dans des lieux où ils n'ont pas d'implantation sociale. On va vider les hôtels sociaux pour en faire des hôtels cinq étoiles", explique-t-il.
Ink note qu'en 2024, un foyer ADEF, qui assure un logement social à des personnes n’ayant pas accès au logement social classique ou à une résidence privée, sera vidé de l'ensemble de ses résidents qui seront relogés dans des habitats modulaires pendant deux ans, avec un changement de mode de vie et un isolement social, imposés à ces personnes.
Ink note également qu'"en France, le gouvernement veut officiellement vider Paris des SDF avant la Coupe du monde de Rugby (septembre 2023) et les JO 2024 de Paris. Le ministère de l'Intérieur « incite » les SDF à partir ailleurs. Il a créé des SAS d'hébergement temporaires dans une dizaine de régions du pays pour accueillir les nouveaux demandeurs d'asile. Sauf qu'il n'y a plus de places d'hébergement créées dans les villes accueillantes... Ce sont des déplacements accélérés de population qui ne servent qu'à « nettoyer » Paris (et Marseille, où auront également lieu des épreuves des JO) avant l'arrivée des touristes et des médias internationaux.
Ink évoque également l'expulsion du squat Unibéton de l'île Saint-Denis en avril 2023, sans proposition de relogement pour ses habitants, ou le déconventionnement avec l'État de nombreux hôtels sociaux qui redeviennent entièrement des hôtels visant le profit touristique.
"À Paris, c'est déjà plus de 5.000 chambres qui ont été déconventionnées, mettant les familles à la rue", explique Ink, ajoutant qu'un processus similaire est engagé à Marseille également. Le membre de Youth For Climate évoque également "l'énorme rôle de Airbnb (sponsor des JO 2024) qui va faire un énorme profit et faire exploser la hausse des loyers dans la cité phocéenne", ainsi que la réquisition des logements étudiants CROUS [1].
- Les ouvriers morts sur les chantiers
"Les conditions de vie des ouvriers sur les chantiers sont exécrables", rappelle Ink de Youth For Climate (YFC) : une question sur laquelle Anadolu s'était déjà penchée [2].
"Les JO sont un événement marchand dans lequel le Comité d'organisation des Jeux olympiques (Cojo) et les sociétés privées se taillent la plus grande part du bénéfice, des milliards d'euros.
"Avec ces sommes, ils pourraient dignement payer les travailleurs des chantiers et améliorer leurs conditions pénibles", ajoute-t-il en rappelant la signature par les syndicats patronaux et ouvriers de la Charte sociale des Jeux olympiques, qui est supposée "placer l'emploi de qualité et les conditions de travail des salariés au cœur de l'impact socio-économique des Jeux olympiques 2024 de Paris".
"Il y a déjà eu plus de 130 accidents, dont 17 graves, sur les chantiers des JO de Paris, et un mort, Amara Dioumassy, en juin 2023. On peut aussi lier les six autres travailleurs morts sur les chantiers du Grand Express Paris [3] depuis le début des travaux en 2020, car ces chantiers suivent la même cadence que ceux des JO. Ils sont supposés être achevés pour 2024", rappelle-t-il.
"Il y a également l'emploi des travailleurs sans papiers non déclarés, avec une douzaine de cas déjà reconnus ou régularisés après lutte syndicale et enquête", explique encore Ink, ajoutant qu'il reste encore un an de travaux, avec une forte pression mise sur les ouvriers du bâtiment pour que tout soit prêt à temps. Plusieurs autres enquêtes sont en cours pour de diverses fraudes (travail illégal, minoration salariale, et emploi de sans-papiers)".
Ink, de Youth For Climate (YFC) évoque également le recrutement prévu par le Cojo de 45 000 bénévoles pour l'organisation des JO de Paris, qui restent avant tout un événement lucratif, et "utiliser des bénévoles dans ce cadre-là revient à du travail dissimulé," estime-t-il.
- Saccage démocratique
Youth For Climate (YFC) estime également que les JO 2024 de Paris "vont accélérer et renforcer les lois liberticides", avec notamment l'usage de la vidéosurveillance algorithmique automatisé [4].
"La « Loi olympique 2 » adoptée par le parlement le 12 avril 2023 (et passée inaperçue, car en pleine mobilisation contre la réforme des retraites), c'est un peu la suite de la loi Sécurité globale. Pour résumer, il y a trois articles qui posent un problème : l'article 7 qui autorise la vidéosurveillance algorithmique (VSA) avec des caméras et des drones, provoquant un changement d'échelle dans la capacité de surveillance de l'État", explique Ink, ajoutant que "cette vidéosurveillance automatisée est déjà exploitée illégalement par plusieurs villes françaises [notamment Nice, NDLR]. Mais là, il s'agit d'un déploiement massif qui va avoir lieu sous le prétexte des JO".
Ink évoque également l'article 11 de cette loi, qui va autoriser l'usage des scanners corporels à l'entrée des épreuves, permettant d'avoir une visualisation en trois dimensions des personnes, dont de leurs corps sans vêtements, pour détecter des objets éventuellement dissimulés. Il s'agit d'une atteinte au droit à la vie privée, qui sera sans doute obligatoire pour entrer dans l'enceinte sportive", note-t-il.
Ink cite aussi l'article 12 de cette loi, "qui vise assez clairement les militant.e.s alors qu'il interdit « le fait de pénétrer ou de se maintenir, sans motif légitime, sur l'air de compétition d'une enceinte sportive lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive » avec une sanction de 3750 euros d'amende.
Ink rappelle également l'usage de drones par la police, à travers la « Loi drone 2 », alors que le ministère de l'Intérieur a déjà 600 drones qu'il pourra utiliser pour la surveillance des JO 2024 [5], mais aussi les plans "Zéro délinquance" mis en place depuis plusieurs années dans les villes qui accueillent des épreuves des JO.
"En gros, il s'agit d'une multiplication des contrôles dans ces quartiers (surtout dans le nord de la Seine-Saint-Denis) qui ont déjà commencé", explique Ink qui cite la préfecture : "La montée en puissance souhaitée de la lutte contre la délinquance se poursuivra jusqu'à l'été 2024. Ainsi, depuis le début de l'année 2023, 871 opérations ont été menées, 9.400 effectifs ont été mobilisés, près de 25.000 personnes ont été contrôlées et 1254 ont été interpellées. Ainsi, l'augmentation constante des effectifs engagés sur le terrain conduit à un doublement des gardes-à-vue et des personnes interpellées", lit-on ainsi dans un communiqué de la préfecture.
"Plus de forces de l'ordre, ça veut dire plus de répression vers les minorités perçues, notamment les personnes racisées ou encore les minorités sexuelles", résume Ink de Youth For Climate, appelant également les citoyens français à une prise de conscience face au risque que fait peser la privatisation de la surveillance, avec l'implantation des industriels de la sécurité dans ce secteur historiquement régalien.
Notes :
1. « France : La ministre des Sports affirme que le transfert des SDF n'a pas de lien avec les JO de Paris », Anadolu, le 31 mai 2023
2. « Jeux olympiques de Paris : La détresse des travailleurs exploités sur les chantiers », Anadolu, le 23 janvier 2023
3. « Grand Paris express: "Le chantier de la mort !" », Anadolu, le 8 avril 2023
https://www.aa.com.tr/fr/monde/grand-paris-express-le-chantier-de-la-mort-/2867166
4. « France : L'Assemblée nationale donne son feu vert à la vidéosurveillance par intelligence artificielle », Anadolu, le 24 mars 2023
5. « France : Une manifestation annuelle de l'extrême droite à Paris surveillée par drone », Anadolu, le 6 mai 2023