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Yémen : l'Arabie Saoudite et Oman se disputent le contrôle de la province d'Al-Mahra (Analyse)

-La position géographique de la province d'Al-Mahra en fait une zone convoitée par les deux pays

Mourad Belhaj  | 05.01.2021 - Mıse À Jour : 05.01.2021
Yémen : l'Arabie Saoudite et Oman se disputent le contrôle de la province d'Al-Mahra (Analyse)

Yemen

AA / Sanaa

Depuis que les Houthis ont arraché une grande partie du Yémen au gouvernement internationalement reconnu, en septembre 2014, la province orientale d'al-Mahra a été épargnée par la guerre en cours dans le pays.

Cependant, sa position géographique le long de la frontière entre l'Arabie Saoudite et Oman en a fait une zone convoitée par les deux pays.

Al-Mahra a récemment connu des divisions sans précédent au sein de la population locale, qui a organisé deux rassemblements distincts pour soutenir deux groupes différents qui se disputent la direction du Conseil général d'Al-Mahra et de Socotra.

Un rassemblement a été organisé dans la maison du cheikh de la tribu Qumsit, Abboud Haboud, qui s'est terminé par l'annonce d'une nouvelle direction pour le conseil, comme alternative à Abdullah bin Isa Al-Afrar, qui vit actuellement aux Émirats arabes unis (EAU) et qui préside le conseil depuis sa création en 2012.

Un autre rassemblement a été organisé par les partisans d'Al-Afrar pour rejeter la nouvelle direction, la décrivant comme résultant d’un "putsch" contre le conseil.

Ce différend n’est pas nouveau, puisque la région a connu d'autres conflits politiques, mais le dernier en date est apparu après la chute de Socotra aux mains des forces du Conseil de transition du Sud (CTS), soutenu par les Émirats arabes unis, avec l'aide d'Al-Afrar.

"Cela a poussé certains partisans à modifier le mode de fonctionnement du conseil et à changer sa direction, ce qui leur a permis de tenir une réunion et de choisir une nouvelle direction", a déclaré à l'agence Anadolu Badr Kalashat, député provincial d'Al-Mahra chargé des affaires de la jeunesse.


- Corridor pétrolier


Les tensions fréquentes avec l'Iran et le climat d'incertitude qui règne dans le détroit d'Ormuz, un passage stratégique pour les exportations de pétrole de la région du Golfe, ont mis une pression supplémentaire sur l'Arabie saoudite pour qu'elle trouve d'autres moyens pour assurer ses livraisons de brut.

En août 2018, un document divulgué a révélé l'intention du royaume de construire un oléoduc qui transporterait le pétrole depuis l'Arabie saoudite jusqu'à la côte d'al-Mahra, le port maritime de Nishtun offrant un accès direct à la mer d'Arabie et à l'océan Indien.

Après le refus de l'ancien président yéménite Ali Abdallah Saleh d'accorder à l'Arabie saoudite le contrôle du corridor territorial nécessaire à la construction et à la surveillance de cet oléoduc, les Saoudiens ont vu dans le déclenchement de la guerre civile au Yémen en 2014 une chance unique de concrétiser ce qu'ils planifiaient depuis des années.

"L'Arabie saoudite voit al-Mahra comme une zone stratégique sur la mer d'Arabie, loin du contrôle exercé par l'Iran sur le détroit d'Ormuz, et considère que ses côtes recèlent une menace potentielle liée aux activités de trafic de drogue et d'armes", a déclaré à l'Agence Anadolu Abdulsalam Muhammed, président du Centre d'études et de recherche d'Abaad.

Pour atteindre ses objectifs à al-Mahra, Riyad a commencé à accroître sa présence au Yémen après la mi-novembre 2017, en prenant le contrôle des installations d'al-Mahra, du port de Nishtun, du port de Sarfit, des postes frontières de Shehen et de l'aéroport d'al-Ghaydah, en plus d'établir des bases militaires autour des infrastructures clés et des zones côtières.

Les médias yéménites ont également rapporté une visite de l'ambassadeur saoudien Muhammad al-Jaber à al-Mahra en juin 2018, qui faisait suite à des études de faisabilité menées par la société Saudi Aramco.

"Le gouvernement yéménite ne s'oppose pas au projet saoudien, mais a plutôt déclaré à de nombreuses reprises que tant que la souveraineté de la province est préservée, tout projet du Golfe doit servir les intérêts du gouvernement et préserver ses droits, sa souveraineté et son intégrité territoriale sans provoquer de conflits régionaux et sectaires", a déclaré Muhammed.


- Préoccupations omanaises


La présence d’Oman à Al-Mahra a été la plus importante présence de ce pays à l'étranger, mais le renforcement de l'empreinte saoudienne dans la province constitue désormais une menace potentielle pour les intérêts de Mascate au Yémen.

Dans un effort visant à préserver l'équilibre actuel du pouvoir et à contenir les ambitions saoudiennes dans la région, Oman a traditionnellement misé sur l'offre d'aide humanitaire, ainsi que sur la naturalisation des habitants de la région, car ils partagent de nombreux points communs avec les Omanais et entretiennent depuis toujours de solides relations avec eux.

"Oman pense que la présence des forces saoudiennes et émiraties à al-Mahra constitue une menace pour sa sécurité nationale", a déclaré à l'agence Anadolu Mutahhar al-Sufari, un chercheur yéménite.

"Ce n'est plus un secret qu'Oman soutient les manifestations, les tribus et la communauté locale en fournissant de l'aide et de la logistique. L'année dernière, Oman a créé la chaîne de télévision Al-Mahriya qui concentre sa couverture sur la critique de la présence militaire saoudienne et émiratie à Al-Mahra et Socotra", a-t-il souligné.

Le président yéménite Abd rabbouh Mansour Hadi et son gouvernement ont tenté de contenir la situation dans la province en nommant Muhammed Ali Yasser comme nouveau gouverneur de la province.

"Le gouverneur a réussi à renforcer son impact sur les tribus et d'autres segments de la société pour maintenir la province sous contrôle", a souligné Badr Kalashat.

Mais pour Al-Sufari, "les gouvernements yéménite et saoudien ont essayé d'envoyer un signal positif à Oman en nommant le nouveau gouverneur à la place de Rajih Bakrit, qui était accusé de collusion avec les Saoudiens, mais cette mesure n'a pas apporté les résultats escomptés en raison de du renforcement de la présence militaire saoudienne et des mouvements accrus de protestation de la population".


- Scénarios probables


Avec l'incertitude qui règne au sujet de la rivalité du Golfe à al-Mahra, Muhammed pense que le conflit va continuer jusqu'à ce que l'État yéménite retrouve son pouvoir de décision et sa souveraineté.

"Actuellement, l'Arabie Saoudite est la plus forte sur le terrain, surtout avec sa coordination totale avec les Américains en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Il pourrait y avoir des affrontements sanglants entre les deux groupes soutenus par Oman et l'Arabie Saoudite", a-t-il déclaré.

Badr Kalashat estime néanmoins que "les divergences d'opinions et les désaccords n'entraîneront pas de divisions car les habitants d'al-Mahra sont liés par des coutumes tribales qui limitent les divisions et les affrontements, et ils ne sont pas particulièrement affectés par les questions d'ordre politique".

Al-Sufari estime pour sa part que "l'avenir du conflit dépend principalement de l'étendue de la présence militaire saoudienne et des implications de l'accord de Riyad, à savoir si davantage de pouvoir sera donné au gouvernement yéménite ou aux factions qui lui sont opposées". Il pourrait y avoir une certaine entente entre l'Arabie Saoudite et Oman, mais ses perspectives de succès sont limitées et provisoires".

D'autre part, "la communauté d'al-Mahra devrait connaître une rupture au niveau des composantes locales et des conflits pourraient survenir sur la représentation de la province, en raison des polarisations régionales. Le litige peut dévier de son caractère pacifique et nous pourrions assister à de rudes altercations et peut-être même à des actes de violence", a-t-il conclu.


*Traduit de l’Anglais par Mourad Belhaj

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