Traite et exploitation d’êtres humains : plus de 7 000 victimes recensées en France en 2024
– 86 % des victimes prises en charge subissaient une exploitation sexuelle, selon une enquête menée auprès d’associations.

Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
En 2024, 7 285 personnes ont été identifiées comme victimes de traite ou d’exploitation d’êtres humains en France. Parmi elles, 4 823 ont pu être accompagnées par l’un des 44 organismes interrogés dans le cadre d’une enquête annuelle publiée jeudi par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).
Par voie d’un communiqué, la Miprof précise que 89 % des victimes accompagnées étaient des femmes, et 86 % d’entre de ces victimes ont subi une exploitation sexuelle. Les autres formes d’exploitation incluent le travail forcé, notamment domestique (11 %), l’exploitation à des fins d’activité criminelle (2 %) ou la mendicité contrainte (1 %).
Un nombre significatif des victimes majeures aujourd’hui (52 %) étaient encore mineures au moment du début de leur exploitation. L’exploitation familiale reste également préoccupante : près d’un tiers des victimes ont été exploitées par un membre de leur propre famille, dont 44 % par un conjoint.
Les réseaux sont au cœur de ces mécanismes d’exploitation. Trois victimes sur quatre ont été exploitées dans le cadre d’un réseau structuré, souvent responsable de leur transfert en France (72 %). Deux sur trois étaient logées par leur exploiteur, et plus d’un quart vivaient directement à son domicile.
La dépendance psychologique et physique est aussi un levier d’emprise : 83 % des victimes d’exploitation sexuelle souffraient d’addictions, souvent induites par leurs exploiteurs eux-mêmes pour « les désinhiber et les rendre dépendantes », souligne le rapport.
Bien que les deux tiers des personnes accompagnées aient pu bénéficier d’un suivi médical, les professionnels de santé alertent sur « les conséquences durables sur la santé » de ces polyaddictions. L’accès à un hébergement reste également un enjeu crucial, que seules deux victimes sur trois ont pu obtenir via les associations.
En parallèle, les données officielles publiées mercredi par le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice, à l’occasion de la Journée européenne de lutte contre la traite des êtres humains, viennent compléter ce tableau. Selon ces statistiques, 2 100 victimes ont été enregistrées par les services de sécurité en 2024, dont près d’un quart sont mineures.
Parmi les personnes poursuivies, 98 % ont fait l’objet d’une réponse pénale et 64 % des procédures ont donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire. Les infractions relevées concernent principalement le proxénétisme (47 %), suivi de l’exploitation par le travail (36 %) et de la traite stricto sensu (21 %).
Le phénomène reste majoritairement national : 46 % des victimes et 72 % des mis en cause sont de nationalité française.
Ces chiffres révèlent un phénomène en partie invisible, où les statistiques judiciaires et policières restent bien en deçà de la réalité mesurée par les associations de terrain. Si des progrès sont enregistrés – comme l’augmentation de la délivrance de titres de séjour pour les victimes (+45 % pour les cartes temporaires en tant que victime de traite) – les enjeux restent colossaux : reconnaissance des victimes, coordination des acteurs, accès à la justice, à un logement sécurisé et à des soins adaptés.
Le contraste entre les données administratives et celles des associations souligne l’ampleur du travail encore nécessaire pour identifier, protéger et accompagner les victimes. À l’approche du 18 octobre, journée européenne dédiée à cette cause, l’appel à un renforcement des moyens et à une meilleure coordination des politiques publiques résonne plus fort que jamais.