Mort de Souheil El Khalfaoui : la gauche réclame justice et l’abrogation de la loi Cazeneuve
- À l’Assemblée, la disparition de scellés relance le combat contre l’article L435-1, jugé responsable de nombreux morts lors de refus d’obtempérer.

Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Souheil El Khalfaoui, 19 ans, a été tué d’une balle en plein cœur par un policier, le 4 août 2021 à Marseille, lors d’un contrôle routier dans le quartier de la Belle-de-Mai. Alors qu’il était à bord de son véhicule, un tir à moins d’un mètre lui a été fatal. L’usage de la force avait été initialement justifié par la légitime défense. Depuis, la famille se bat pour connaître la vérité.
- Les groupes de gauche répondent à la question d’Anadolu sur l’abrogation de l’article L435-1
Interrogés par Anadolu sur leur position concernant l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure, adopté en 2017 dans le cadre de la loi Cazeneuve et accusé de faciliter un usage létal de la force lors de refus d’obtempérer, les représentants des principaux groupes de gauche ont exprimé leur volonté de le supprimer.
Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, a affirmé que « la France Insoumise est très favorable à l’abrogation de la loi ‘permis de tuer’ » et a rappelé que cette abrogation avait été portée par le groupe en 2023 dans le cadre de sa niche parlementaire. Elle a précisé que « le vote est public », et peut être consulté.
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste, a déclaré que ses collègues et elle avaient soutenu « les propositions d’abrogation de la loi ».
Elsa Faucillon, députée du groupe GDR, a rappelé que ses composantes « se sont toujours opposées à la loi Cazeneuve ».
Mathieu Hanotin, qui représentait le Parti socialiste, a indiqué ne pas être mandaté pour parler au nom du parti. Il a cependant tenu à exprimer sa position personnelle : « Je suis intimement convaincu qu’il y a un problème avec cet article de loi qu’il faut faire évoluer ».
- Une procédure judiciaire marquée par des irrégularités majeures
La conférence de presse a aussi permis de mettre en lumière une série de dysfonctionnements préoccupants dans l’enquête sur la mort de Souheil. L’avocat de la famille, Arié Alimi, a annoncé la disparition de neuf scellés essentiels : la balle mortelle, les vidéos de surveillance, les enregistrements d’appels à la police et l’audition filmée du policier tireur. « Ces scellés ont disparu après que nous les ayons consultés, en 2022, alors qu’ils avaient été placés sous scellés par la défense », a-t-il indiqué. Une plainte pour détournement de scellés a été déposée.
Parmi les autres manquements pointés : pas de reconstitution sur les lieux, pas d’expertise balistique indépendante, des délais d’audition très étendus, et des témoins jamais entendus. Le policier tireur n’a été entendu devant le juge qu’en août 2024, soit trois ans après les faits.
Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a indiqué que l’Inspection générale de la justice allait être saisie pour faire la lumière sur ces disparitions.
- La souffrance de la famille, l’indignation des soutiens
La souffrance de la famille El Khalfaoui était manifeste tout au long de la conférence. Le père, Issam El Khalfaoui, a dénoncé « un système, une mécanique d’aveuglement volontaire » et affirmé : « S’il n’y avait pas eu la loi Cazeneuve, ils n’auraient pas tiré sur Souheil. C’est vraiment le point le plus important ». Il a également précisé travailler, aux côtés d’avocats et d’organisations, à une nouvelle proposition de loi visant à encadrer plus strictement l’usage de la force.
Sa sœur — la tante de Souheil — et le frère de celle-ci, l’oncle du jeune homme, ont également pris la parole pour exprimer leur colère, leur incompréhension et leur épuisement face à l’impasse judiciaire. Tous trois ont fondu en larmes à plusieurs reprises, bouleversant l’assistance et soulignant la profondeur du traumatisme vécu depuis quatre ans.
La Ligue des droits de l’homme, par la voix de sa présidente Nathalie Tehio, a rappelé que son organisation demandait l’abrogation de l’article L435-1 depuis 2022. « Il suffit de la légitime défense, qui concerne tout un chacun. Pas besoin d’un texte spécifique pour les forces de l’ordre », a-t-elle déclaré, en réponse à une question d'Anadolu.
- Trente-cinq morts depuis la loi Cazeneuve
Depuis l’adoption de l’article L435-1, selon les organisations comme Flagrant Deni ou la LDH, au moins 35 personnes ont été tuées par la police dans des situations de refus d’obtempérer, un chiffre en nette augmentation par rapport aux années précédentes. Ce cadre juridique est aujourd’hui au cœur de critiques d’ONG, d’élus et de chercheurs, comme Fabien Jobard (CNRS), qui a déclaré : « Elle rend extrêmement confus les conditions d’usage de l’arme et élargit considérablement le champ des possibles ».
Quatre ans après les faits, la douleur de la famille El Khalfaoui reste entière, nourrie par un processus judiciaire défaillant. Pour les élus présents, cette affaire est l’illustration criante de ce que permet la loi Cazeneuve : une impunité légale et une perte de contrôle démocratique sur l’usage de la force létale. Le combat pour son abrogation, relancé publiquement, devrait désormais trouver un écho plus large dans l’espace parlementaire.