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"Je demande que justice soit faite" : la veuve d'un musulman tué lors d'une attaque raciste en Espagne s'exprime

- Younes Bilal, 37 ans, a été assassiné de sang-froid dans la ville de Puerto de Mazarron, dans la région de Murcie, sous des cris et des insultes racistes, déclare la veuve éplorée dans un entretien accordé à l’Agence Anadolu

Ekip  | 23.06.2021 - Mıse À Jour : 24.06.2021
"Je demande que justice soit faite" : la veuve d'un musulman tué lors d'une attaque raciste en Espagne s'exprime

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AA / Oviedo, Espagne / Alyssa McMurtry

Andrea Hidalgo del Valle, 33 ans, a perdu son mari Younes Bilal il y a un peu plus d'une semaine, tué par un membre retraité de l'armée espagnole qui, selon des dizaines de témoins, a ouvert le feu sur Bilal alors qu'il était assis dans un café avec des amis dans la ville de Puerto de Mazarron, dans la région de Murcie.

Le suspect du crime, identifié comme Carlos Patricio B.M., a été arrêté.

Andrea a accordé un entretien à l'Agence Anadolu depuis le Maroc, deux jours seulement après que le corps de Bilal a été mis en terre dans sa ville natale de Beni-Mellal. Elle a évoqué le racisme, le silence institutionnel et la manière dont cet acte violent a changé la vie de sa famille à jamais.

Agence Anadolu – "Pouvez-vous commencer par me raconter ce qui s'est passé la nuit du 13 juin ?"

Andrea Hidalgo del Valle – "J'étais sortie pour faire des courses dans le quartier, mais les gens qui étaient présents ont dit que tout a commencé lorsque la serveuse du café s'est assise à côté d'un groupe de personnes originaires du Maroc pendant sa pause-café. Elle s'est assise avec les garçons, dont l'un est le cousin de mon fils. Puis, cet homme s'est levé et a commencé à lui crier dessus parce qu'elle était "assise avec des p… de Maures". Il a attrapé son plateau. Younes a dit à la serveuse de ne pas s'inquiéter et qu'elle pouvait s'asseoir avec eux. Puis l'homme est parti, s'est changé, a pris son arme et est retourné au café. Il a tiré trois fois sur Younes en criant "p… de Maures, p… de Maures". Ils ne s'étaient jamais rencontrés avant ce jour.

C'est un cauchemar, un cauchemar absolu. C'est comme si je vivais dans un film d'horreur. J'ai du mal à croire que c'est réel. C'est vraiment difficile à assimiler".

AA – "Considérez-vous cela comme une attaque terroriste ?"

A. H del Valle – "Je n'arrête pas de penser à ce qui se serait passé si cela avait été l'inverse, quelle aurait été la réaction ? On aurait parlé de terrorisme, c'est sûr. Si c'était Younes, ce serait du terrorisme. Mais Younes n'était pas raciste. L'autre homme l'était. Il a tué Younes parce qu'il était raciste au point de dire "p…. de Maure". Si c'était l'inverse, on en parlerait beaucoup plus dans les médias. Mais maintenant, ils veulent étouffer l'affaire. Je ne les laisserai pas faire. Je ne vais pas renoncer".

AA – "Avez-vous reçu un soutien ou une aide des autorités ?"

A. H del Valle – "Pour l'instant, nous avons le soutien de nos familles, de nos amis et des personnes qui nous apportent leurs appuis en ligne. Je ne me soucie pas de la politique. Chacun a sa propre façon de penser et j'ai la mienne. Beaucoup de gens disent que ce n'était pas une attaque raciste. Mais quelle autre explication y a-t-il ? Je ne comprends pas comment les gens peuvent dire que ce n'était pas du racisme. Les gens disent que l'homme qui a tué Younes était fou, mais la police a enquêté et n'a trouvé aucun antécédent de maladie mentale à part une certaine anxiété. J'ai moi-même souffert d'anxiété. Je je n'ai pas décidé de prendre une arme et de tuer quelqu'un.

Seuls les politiciens locaux de Puerto de Mazarron m'ont fait part de leur soutien, m'ont consolé ou ont proposé leur aide. Au niveau international, le consulat marocain a également été présent. Mais de l'Espagne... zéro. De la part des politiciens, rien du tout.

Je ne sais pas pourquoi il n'y a pas eu de réactions politiques. Ils devraient imaginer ce que c'est que d'être à ma place en ce moment. Je ne travaille pas. Je me suis appuyée sur Younes. J'ai trois enfants. Je pourrais faire des ménages quelques jours par semaine, mais ce n'est pas facile de trouver un emploi stable. Donc c'est moi et les enfants, avec une maison à payer. Nous avons un contrat de location avec option d'achat, mais je ne peux pas payer ce qui reste par mes propres moyens. Où aller ? Que faire ?

Pour l'instant, je suis encore au Maroc, on verra ce qui se passera quand je rentrerai chez moi. Je ne veux pas de charité. Je vais essayer de trouver un emploi dans la ville de Mazarron, quelque chose que je puisse faire pour payer les factures, obtenir un prêt et payer ce qui reste de la maison. Mon mari a beaucoup travaillé pour réparer notre maison. Beaucoup. Et je ne veux pas la perdre. Cet homme adorable allait travailler à Madrid pour gagner un peu plus afin de réparer la maison pour moi et les enfants. Je le lui dois. Je lui dois de ne pas perdre notre maison."

AA – "Pensez-vous que l'Espagne est un pays touché par le racisme ?"

A. H del Valle – "Oui. Je l'ai observé dans notre société. Les gens ne sont pas tous égaux aux yeux de certains. Moi je pense que tout le monde l'est. Qu'est-ce qui change ? Une ethnie, un pays, une chevelure, mais tout le monde a du sang dans ses veines. Il y a des gens bons et des gens mauvais. Les bons Espagnols et les mauvais Espagnols. De bons Marocains et de mauvais Marocains. De bonnes personnes de Colombie et de mauvaises. Mais au bout du compte, nous sommes tous égaux."

AA - "Avez-vous déjà observé des signes de racisme au sein de la communauté ?"

A. H del Valle – "La vérité est que je ne peux pas en être sûr parce que tout le monde aimait Younes. Il était charmant, je ne sais pas d'où venait l'homme qui l'a tué. À Mazarron, si vous avez 100 personnes, 70 viennent d'Espagne et 30 du Maroc. Mais les 70 Espagnols aimaient Younes autant que les 30 Marocains. Tout le monde n'est évidemment pas raciste, mais certaines personnes le sont. Un politicien d'un certain parti dans le gouvernement local a été gentil avec moi, m'a consolé et m'a dit qu'ils seraient là pour moi, mais il y a un autre politicien qui a déclaré que ce que nous faisons ne fait que donner une mauvaise réputation à Mazarron et que nous ne devrions pas continuer à parler de racisme sous peine de décourager les gens de venir en vacances cet été. Je ne pense pas que ce soit juste. Ils doivent se mettre à ma place et celle de mes enfants. Un raciste a pris la vie de mon mari et celle du père de mes enfants".

AA – "Vous êtes descendue dans la rue pour demander justice. A quoi ressemblerait la justice pour vous ?"

A. H del Valle – "Je ne réclame que la justice. Je veux que cet homme soit emprisonné à vie, il ne faudrait pas qu'il retourne dans la rue dans huit ou neuf ans. Mon mari est mort. C'était un assassinat. Ce n'était pas une bagarre, où deux personnes se frappaient, ça a dégénéré et quelqu'un est mort. Non. Cet homme l'a tué de sang-froid. Quand Younes était allongé sur le sol en train de saigner, il a continué à lui tirer dessus. Il n'avait aucune compassion ou pitié. Et son frère était dans un autre café en train de dire : "Génial, un musulman de moins". Non. Les gens comme ceux qui ont tué Younes ne peuvent pas être en liberté. On ne peut pas leur trouver des excuses pour dire qu'"ils sont fous" alors qu'ils ne le sont pas".

AA – "Comment décririez-vous Younes ?"

A. H del Valle – "Younes me traitait comme une reine. Il était mon ami, mon frère, mon mari et surtout, le père de mes enfants. Mes trois enfants, même si les deux aînés n'étaient pas de lui, il les a élevés et aimés comme s'ils l'étaient. Il ne les traitait pas du tout différemment, ils étaient tous égaux pour lui. C'était un homme bon".

*Traduit de l’Anglais par Mourad Belhaj

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