France : une crise politique inédite, entre recompositions et instabilité gouvernementale
- Depuis les législatives anticipées de 2024, la France s’enfonce dans une instabilité sans précédent. Trois Premiers ministres en un an, motions de censure à répétition et réforme des retraites suspendue illustrent la fragilité du pouvoir exécutif

Istanbul
AA / Istanbul / Serap Doğansoy
La France traverse depuis plusieurs mois l’une des crises politiques les plus profondes de la Ve République. En moins de deux ans, le président Emmanuel Macron a nommé trois Premiers ministres, signe d’une majorité introuvable et d’un pouvoir exécutif fragilisé.
La reconduction de Sébastien Lecornu à Matignon, après une démission express et plusieurs motions de censure, illustre la fragilité d’un système sous tension et les limites d’un quinquennat désormais absorbé par la gestion de crise.
- Des élections législatives à la déstabilisation du pouvoir
Cette instabilité trouve ses racines dans la majorité relative obtenue par le bloc présidentiel lors des élections législatives de 2022. Privé d’un soutien solide à l’Assemblée nationale, le chef de l’État a gouverné dans un climat tendu, notamment après l’adoption de la réforme des retraites sans vote parlementaire, déclenchant une vague de manifestations à travers le pays.
À la fin de l’année 2023, il a dû composer avec les conservateurs les plus radicaux pour faire adopter un projet de loi sur l’immigration, marquant un virage politique contesté jusque dans ses rangs.
Face à la crise de la dette et aux menaces de motion de censure du groupe Les Républicains (LR), l’exécutif s’est retrouvé pris dans une impasse politique. La défaite du camp présidentiel face au Rassemblement national (RN) lors des élections européennes du 9 juin 2024 conduit Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale et à convoquer des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet.
- Une succession inédite à Matignon
À l’issue de ces élections anticipées, qui ont plongé le pays dans une période de transition historique, Michel Barnier remplace Gabriel Attal à Matignon le 5 septembre 2024. Mais son gouvernement démissionne le 13 décembre 2024, ouvrant une nouvelle phase d’instabilité.
Le président nomme alors François Bayrou Premier ministre. Ce dernier échoue à obtenir la confiance de l’Assemblée et démissionne le 8 septembre 2025, après un vote de défiance.
Le lendemain, Sébastien Lecornu lui succède, devenant ainsi le quatrième chef du gouvernement en un peu plus d’un an. Cependant, incapable de rallier une majorité, il remet sa démission le 6 octobre 2025, avant d’être reconduit par Emmanuel Macron quelques semaines plus tard. Ce qui est un fait inédit sous la Ve République.
- Un gouvernement sous la menace permanente de la censure
Le second gouvernement Lecornu, formé début octobre 2025, se retrouve aussitôt sous pression. Le Rassemblement national et La France insoumise déposent chacun une motion de censure, tandis que le Parti socialiste (PS), devenu pivot du Parlement, conditionne son soutien à la suspension complète de la réforme des retraites.
Face au risque de chute, Sébastien Lecornu suspend le texte jusqu’en janvier 2028, une concession majeure visant à éviter la censure et à restaurer un climat de dialogue. Ce texte emblématique, adopté en 2023 malgré un large rejet populaire, avait relevé l’âge légal de départ de 62 à 64 ans et cristallisé la colère sociale.
Cette suspension, présentée comme un « geste d’apaisement », vise à regagner la confiance des députés socialistes et à éviter la chute du gouvernement.
Lors de sa déclaration de politique générale, il promet de renoncer à l’article 49.3, de partager le pouvoir avec les députés, et d’ouvrir une conférence nationale sur les retraites et le travail, assortie d’une contribution exceptionnelle des plus aisés pour financer les investissements de souveraineté.
- Un pouvoir affaibli et une démocratie sous tension
Cette crise souligne combien les institutions françaises peinent à s’adapter à la nouvelle réalité politique. Les analystes estiment que le discours de Lecornu marque un virage tactique, sans réel renouveau politique. La popularité d’Emmanuel Macron, tombée à 14 %, traduit un climat de défiance généralisée et la lassitude d’une opinion publique confrontée à la succession de crises sociales, budgétaires et politiques.
Le projet de budget 2026, qui vise à réduire le déficit à 4,7 % du PIB, accentue les tensions, tandis que la crise de gouvernance soulève des interrogations sur la pérennité du pouvoir présidentiel dans une Ve République de plus en plus contestée.
Privé de majorité, l’exécutif ne parvient plus à gouverner que par la négociation et le report des réformes. La multiplication des motions de censure témoigne d’un épuisement du modèle hyper-présidentiel et d’un besoin croissant de refondation démocratique.
Pour Emmanuel Macron, l’enjeu dépasse la simple survie d’un gouvernement. Il s’agit de préserver la légitimité d’un régime fragilisé par la défiance populaire et l’impuissance parlementaire.
- Une incertitude persistante
À la veille d’un nouveau vote de censure, la France demeure suspendue à un équilibre instable.
Le Premier ministre Sébastien Lecornu, 39 ans, tente de convaincre que le dialogue social peut encore éviter la rupture institutionnelle. Mais son avenir, comme celui du président, dépend désormais d’un Parlement fragmenté et d’une opinion publique lassée des crises à répétition.
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