Brésil : Les religions africaines attaquées par les églises pentecôtistes

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AA / Rio de Janeiro / Kakie Roubaud
Alfredo est un fils d’Ogum, un esprit guerrier forgeron arrivé il y a 300 ans du royaume d’Ifé au Nigeria, dans les navires négriers. Alfredo est aussi un employé municipal de la voirie de Rio de Janeiro et il habite une île dans la Baie de Guanabara. Quand il se réfère à sa mère, il précise: «ma mère biologique» ou «ma mère spirituelle». Sa mère biologique est noire. Elle avait 15 ans quand il est né. Sa mère spirituelle est blanche. Il avait 40 ans quand elle l’a fait «naitre».
C’est sa mère noire qui fréquentait les centres «spirites». « Elle consultait Exu et Preto Velho. On soufflait de la fumée de cigare sur elle et j’aimais ça». Jusqu’au jour où Alfredo est pris de tremblements. «Le coeur qui s’ emballe, des sueurs froides, un sifflement à l’oreille et le sentiment d’être loin». Alfredo recevait l’Esprit d’Ogum ! Il attendra 40 ans avant d’être initié dans la pure tradition africaine par Mae Gisele Omindarewa «mère spirituelle», blanche et Française.
Pour pratiquer sa foi, cette grande prêtresse s’est installée dans un coin de cascades et de forêt, comme le demandent les cultes afro-brésiliens. Ex-femme de diplomate, elle a embrassé cette cause dans les années 60 avec le photographe français Pierre Fatumbi Verger, également initié. «La candomblé n’exclu personne car il célèbre l’esprit des ancêtres africains dont nous sommes tous les descendants» explique Alfredo. Pour remonter le temps jusqu’aux aïeux, la ronde des fidèles du Candomblé se fait d’ailleurs en sens horaire inversé !
Connu pour être le premier pays catholique du monde avec 123 millions de fidèles, le Brésil est surtout le pays de religions que l’on qualifie de sectes dans de nombreux pays, dont la France.
On y ouvre un temple comme une boutique.
Il y a encore 20 ans, les croyances de racine africaine imprégnaient le quotidien de 200 millions de Brésiliens. On célébrait la nouvelle année en offrant des fleurs à Yemanja déesse des eaux salées. Dans l’Umbanda, version policée du Candomblé, les classes moyennes avait en effet adopté depuis belle lurette le panthéon africain faisant de Yemanja la Vierge Marie, de Iansa, Ste Barbara et de Xango, St Georges ou St Antoine.
Inclusives mais non prosélytes, ces religions populaires sont désormais attaquées avec fanatisme par les églises néo-pentecôtistes, comme l’Assemblée de Dieu ou L’Église Universelle du Règne de Dieu.
Celles-ci voient en effet dans les rituels du Candomblé, l’oeuvre du Démon. Pourtant c’est sous les mêmes cris de « Quitte son corps, Démon! » que les néo-pentecôtistes pratiquent eux-même leurs rituels d’exorcisme.
C’est avec des danses frénétiques aussi et des chants incantatoires qu’ils communient jusqu’à la transe. Et ce sont au final, les mêmes populations qu’ils touchent: une stratégie mise à l’épreuve avec succès par le catholicisme sur les religions païennes, il y a 2000 ans.
Dans un livre récent intitulé «Jésus t’aime», publié aux Editions Du Cerf et consacré à ce phénomène évangélique, un membre de la Commission de Rio contre l’Intolérance religieuse, confie à l’auteure et journaliste Lamia Oualalou qu’il s’agit en fait d’une dispute de marché: «Les églises évangéliques veulent occuper notre espace. Elles cherchent à racheter nos «terreiros» pour pouvoir à leur place, construire leurs temples. » Cette politique d’expulsion est systématique. Lamia Oualalou raconte: «… ce sont les chefs du trafic qui, évangélisés, empêchent les «terreiros» de fonctionner et ils s’attaquent aux religieux qui arborent tenues et objets typiquement africains».
De fait, les Evangélistes sont pro-actifs. Dans les prisons où l’on décapite facilement, les truands se convertissent en masse pour obtenir des remises de peine. Sur 100 institutions religieuses, le Secrétariat de l’Administration Pénitenciaire de Rio a autorisé 81 églises évangéliques. Et en Amazonie, c’est sous la protection de la police fédérale que leurs missionnaires remontent les rivières pour évangéliser les Indiens. En 2017, les agressions verbales et des jets de pierre contre des membres d’églises africaines par des pentecôtistes ont été innombrables.
Dans la ville ouvrière de Nova Iguaçu 700 000 habitants en lointaine banlieue de Rio, alors qu’on croyait encore le Brésil patrie de la tolérance religieuse, il y a eu pas moins de 7 invasions et profanations de lieux de culte en l’espace de 3 mois.
Selon le Secrétariat local des Droits de l’Homme, cette ville compte plus de 250 lieux de culte. Des objets sacrés brisés, des fleurs et des offrandes jetées à terre, un toit brûlé, une Mae forcée de détruire de sa main les lieux saints. Les truands ont filmé ces scènes humiliantes et ils les ont postées. Tous se référaient oralement à Jésus et au Jugement dernier. Avec les Evangéliques, l’Apocalypse n’est jamais loin !
Ces scènes ont eu lieu à Rio. Mais elles rappellent aux habitants du Nordeste, un souvenir connu sous le nom de «Quebra de Xango».
En 1912, pour éloigner un leader politique, gouverneur de l’État d’ Alagoas et ami des «terreiros», des truands aidés de vétérans de guerre avaient déjà fait une descente musclée dans les lieux de culte de Maceio et la principale autorité religieuse noire de la capitale avait été tuée. A Rio, Miguel Couto, quartier de Nova Iguaçu, Mae Beata de Yemanja est elle aussi devenue un symbole de résistance.
Avant de partir à 86 ans, elle a fait de son «terreiro» aux murs blanchis à la chaux, un lieu de culte mais aussi d’histoire, décrété patrimoine culturel du Brésil. «Si l’Universelle a 50 ans, nous, nous en avons 12 000» dit simplement Alfredo.