Monde, Journal de l'Islamophobie

Grand remplacement : un mythe dangereux qui légitime la haine

- Banalisé dans les médias, le « grand remplacement » attise les tensions et alimente les violences islamophobes. Catherine Wihtol de Wenden dénonce une instrumentalisation dangereuse

Serap Doğansoy  | 03.10.2025 - Mıse À Jour : 03.10.2025
Grand remplacement : un mythe dangereux qui légitime la haine

Istanbul

AA / Istanbul / Serap Dogansoy

Le débat autour du « grand remplacement » connaît une récurrence inquiétante dans les médias publics français. Des figures médiatiques sur CNews ou encore France Info multiplient les propos liant immigration, islam et menace démographique. Cette banalisation des discours alimente un climat de défiance et de rejet, tandis que les actes islamophobes explosent.

Selon les chiffres publiés le 3 juillet 2025 par le ministère français de l’Intérieur, les actes anti-musulmans ont augmenté de 75 % entre janvier et mai 2025, par rapport à la même période en 2024. Une tendance qui illustre la corrélation entre la diffusion de discours haineux et la libération d’actes de violence.

Face à cette situation, Catherine Wihtol de Wenden, politologue et spécialiste des migrations, met en garde contre cette instrumentalisation. « Les fachos fâchés ont toujours tendance à s’armer pour attaquer. Ils se prennent pour des croisés face à un ennemi qu’ils ont eux-mêmes inventé », déclare-t-elle à l’Agence Anadolu (AA).

La chercheuse rappelle que le grand remplacement est « un mythe politique, pas une réalité démographique ». Les données démographiques sont claires : l’immigration représente 10 % de la population européenne et 10,7 % en France, un chiffre loin d’un hypothétique « remplacement ».

Né dans les cercles d’extrême droite, le concept de « grand remplacement » prétend que les populations européennes seraient progressivement remplacées par des populations non européennes, souvent musulmanes et non chrétiennes. Popularisé dans les années 2010 par l’écrivain Renaud Camus, il a été largement diffusé dans le débat public par Éric Zemmour et ses partisans.

Elle souligne également que le phénomène migratoire est « lent, continu et naturel », et qu’il a toujours accompagné l’histoire des sociétés. Le mythe du grand remplacement n’est selon elle qu’une « peur ancestrale », héritée d’un imaginaire médiéval d’invasion, ravivé par des idéologues contemporains.

- Médias, liberté et responsabilités

Les données du ministère de l’Intérieur, qui font état d’une hausse de 75 % des actes anti-musulmans entre janvier et mai 2025, témoignent d’une « radicalisation ordinaire » alimentée par la banalisation des discours de haine. Souvent dissimulés derrière l’argument de la « liberté d’expression », ces discours se sont multipliés dans l’espace médiatique.

Pour Catherine Wihtol de Wenden, cette liberté « s’arrête là où commence la haine ». La politologue rappelle que les lois françaises, notamment celles de 1972 et de 2000, répriment les propos incitant à la discrimination raciale ou religieuse. Malgré ce cadre légal, certains médias continuent de diffuser des messages stigmatisants : en septembre, un chroniqueur de CNews affirmait que « les musulmans seront majoritaires en 2050 », tandis qu’un journaliste de France Info décrivait cette population comme une « menace démographique par nature antisémite ».

« Ce n’est pas un débat démocratique. C’est une stratégie de peur qui légitime la haine », estime la spécialiste. Et de prévenir : « CNews n’est pas un terrain de liberté d’expression. C’est un discours dangereux, qui alimente la peur et justifie des actes de violence. »

- Un climat de normalisation inquiétant

Le danger ne réside pas uniquement dans les mots, mais aussi dans les actes qu’ils peuvent susciter. Catherine Wihtol de Wenden évoque les « fachos fâchés », un terme qu’elle utilise pour désigner certains militants d’extrême droite qui traduisent leurs obsessions identitaires en violence. « Les fachos fâchés ont toujours tendance à s’armer pour attaquer. Ils se comportent comme des croisés qui veulent protéger une civilisation qu’ils estiment menacée », analyse-t-elle.

La politologue cite plusieurs exemples récents de passages à l’acte : l’assassinat du jeune musulman Aboubakar Cissé, de 24 ans, poignardé alors qu’il priait dans une mosquée, ou encore l’attaque visant le maire de Saint-Brévin-les-Pins dont la maison et la voiture ont été incendiées après l’ouverture d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile.

Elle observe également que le rejet de l’immigration est souvent plus marqué dans les zones où la présence étrangère est faible, signe d’une peur largement déconnectée de la réalité. La construction médiatique d’un « ennemi culturel » contribue, selon elle, à cette normalisation du racisme.

« La diversité est un enrichissement. Une société qui ne se renouvelle pas finit par mourir », conclut Catherine Wihtol de Wenden.







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