Brésil : Alerte sur le Cerrado

Rio de Janeiro
AA/Rio de Janeiro/ Kakie Roubaud
C’est la deuxième eco-région du Brésil mais c’est la moins connue, la moins protégée et la plus menacée. C’est aussi l’une des plus vieilles végétations de la planète, la plus riche en eaux de l’Amérique du Sud et la plus bio-diverse des savanes. Les Brésiliens l’appellent O Cerrado.
Les Brésiliens l’appellent O Cerrado. C’est l’une des éco-régions les plus vieilles de la planète. On considère qu’elle a atteint le top de sa courbe évolutive. Il lui a fallu un temps infini pour se développer …
Différente de la savane africaine vieille de 3 à 8 millions d’années, le «cerrado» brésilien s’est constitué avant, il y a 65 Millions d’années. Sa biodiversité est si singulière et les attaques qu’il subit si violentes qu’il est entré dans la liste des 35 «biodiversity hotspots» de la planète. Lorsque les Portugais ont découvert le Brésil il y a 500 ans, les palmiers Buriti, monument du Cerrado, commençaient tout juste de pousser.
Est-ce à cause de cette lenteur évolutive que la savane arborée brésilienne ressemble à une forêt pétrifiée? Ses feuilles qui ne tombent pas à la saison sèche sont épaisses et couvertes de poils, ses troncs tordus, ses branches disloquées tels les membres d’un squelette et ses racines ramifiées à l’infini, comme des fractales… Seul le feu et la défécation par ses canidés permet à ses graines de germer. Un modèle de résistance.
Situé en majorité dans le Centre-Ouest, sur les hauts plateaux du Brésil Central où la capitale Brasilia a été construite à partir de rien il y a 60 ans, le Cerrado couvre près d’ 1/4 du territoire brésilien. Au total, 15 des 21 Etats brésiliens appartiennent au cerrado, «2 millions de kilomètres carrés, la taille de la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne réunis» décrit Mercedes Bustamante, docteur en géo-botanique à l’Université Fédérale de Brasilia. Plus élevé que la «pampa» au sud, les marais du «pantanal» à l’ouest, les maquis de la «caatinga» au nord-est, la forêt atlantique à l’est, la forêt amazonienne au nord, le «cerrado» est situé à leur confluence.
Par ses aquifères, il est le père des ces 5 eco-régions voisines qu’il alimente en eau et par les espèces qu’il a en commun dans les zones de transition, il est leur frère. Mercedes Bustamante donne le détail de cette extraordinaire biodiversité : «12 000 espèces de plantes natives, 251 espèces de mammifères, 267 espèces de reptiles, 209 espèces d’amphibiens et une riche population de 850 espèces d’oiseaux distribués dans une grande diversité d’habitats. Ses fleuves abritent 1300 espèces de poissons et il est le refuge de 13% des papillons, 35% des abeilles et 23% des termites des Tropiques». Neuf cent de ces espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction: 266 issues de sa faune et 635 de la flore. «Seule la forêt atlantique a plus d’espèces en danger» avertit Mercédes.
Comme l’Amazonie est responsable du climat de la planète, le Cerrado est responsable de l’eau de l’Amérique du Sud. Même le système amazonien en dépend. Trois des principaux aquifères du monde se trouvent sous la savane brésilienne: le Guarani, le Bambui, l’Urucui. Huit des 12 bassins hydrographiques du Brésil y ont leurs sources et trois grands fleuves d’Amérique du Sud y naissent: le Tocantins Araguaia qui alimente l’Amazonas, le Paranaïba Parana qui alimente le Rio de la Plata et le Rio Sao Francisco, le plus long fleuve 100% brésilien qui court sur 3000 km. Mais le Xingu, Tapajos et Madeira, grands affluents de l’Amazonas sont indirectement ravitaillés par ses eaux.
On a découvert que cette très vieille végétation parfois appelée «forêt renversée» fonctionne en fait comme une éponge. Ses plantes tel le «tucum» ont les deux tiers du corps qui vit sous terre. «C’est dû à des sols anciens, acides et profonds qui incitent la végétation native à avoir des racines très longues» explique Mercedes Bustamante. Au soleil comme à l’ombre, ces plantes vont chercher de l’eau et les nutriments loin dans un sol pauvre. Entrelaçant leurs racines d’une espèce à l’autre, les plantes du «cerrado» tricotent sous terre un réseau collectif qui pompe et stocke chaque gouttelette dans ce qui devient une méga-éponge souterraine: un pour tous et tous pour un! Mais quand l’eau abonde à la saison des pluies, ce système collectif se vide et expulse l’excédent, tel une éponge pressée, rechargeant les nappes phréatiques puis les aquifères.
Que le «cerrado» disparaisse et c’est toute l’Amérique du Sud qui se dessèche. La rapide destruction de la savane brésilienne porterait un coup fatal et irréversible au réseau hydrique sud-américain redoutent les chercheurs. Car la végétation secondaire a des racines courtes qui ne font pas ce travail de restitution d’eau, avec les conséquences qu’on imagine sur les sources. «En moyenne, dix ruisseaux du cerrado disparaissent chaque année» commente Altair Barbosa, un professeur de la Pontificale Université de l’État du Goias qui étudie depuis 50 ans cet étonnant système. On assiste aussi à ce qu’il appelle «une migration des sources», comme si l’aquifère était un seau d’eau troué à plusieurs niveaux. Si le niveau descend, l’eau cesse de jaillir par les trous supérieurs…
Le professeur Altair Barbosa a ainsi constaté que la source du Rio Grande, l’un des 168 affluents du Rio Sao Francisco s’était déplacée de 100 kilomètres en aval en l’espace de 50 ans. Dans le Nord du Minas et à l’Ouest de Bahia, des ruisseaux ont cessé d’exister sur des versants désormais déforestés. D’autres sont dans un état critique. En 2017, 800 villes du Nord-Est qui dépendent des eaux des montagnes du Minas Gerais en amont, ont du rationner. En février 2017, Brasilia la capitale du Brésil située en plein milieu du Cerrado, à 1200 mètres d’altitude a dû limiter l’accès à l’eau de ses 3 millions d’habitants. C’était la première fois, en 57 ans da sa jeune histoire.