Analyse

Revers de la France au Sahel... place à la coopération militaire Algéro-Mauritaniene ? (Analyse)

L’Algérie considère que l’intervention de la France, qui traine un passif historique d’ancienne puissance coloniale, est de nature à attiser le sentiment patriotique et l’appartenance religieuse des pays de la région hostiles aux forces étrangères.

1 23  | 12.01.2021 - Mıse À Jour : 13.01.2021
Revers de la France au Sahel... place à la coopération militaire Algéro-Mauritaniene ? (Analyse)

Istanbul

AA / Istanbul

L’Algérie et la Mauritanie ont renforcé, de manière inédite, leur coopération économique et militaire, au cours de la période écoulée, en particulier, à l’occasion de la visite du chef d’état-major de l’armée mauritanienne en Algérie, sur fond de dangereux développements sécuritaires dans la région du Sahel qui auront des retombées néfastes sur les deux pays.

Compte tenu de la décision française portant réduction de sa présence militaire dans la région du Sahel africain, à la suite de son échec à endiguer les activités des groupes armés, l’Algérie s’apprête occuper le vide sécuritaire dans cette zone, mais selon une approche différente.

Au cours de la visite du chef d’état-major de l’armée mauritanienne, Mohamed Bemba Meguet, en Algérie, les 5 et 6 janvier courant, son homologue algérien, Said Chengriha, a appelé à renforcer les relations militaires unissant les deux pays dans le but de « faire face aux multiples défis sécuritaires qui menacent la région maghrébine et la zone du Sahel ».

Dans une mesure qui sera de nature à ressusciter la structure appelée les Pays du terrain (Algérie, Niger, Mauritanie, Mali) mise sur pied en 2010, Chengriha a mis l’accent sur « l’importance de tirer profit de manière plus optimale des mécanismes de coopération sécuritaire disponibles, en particulier celui du Comité de l’état-major opérationnel commun (CEMOC) », dont le siège se trouve dans la ville algérienne de Tamanrasset (extrême sud).

Chengriha a déterminé la nature de cette coopération, s’agissant, notamment, de « l’échange de renseignements et de la coordination des actions des deux côtés des frontières communes des Etats membres ».

En effet, c’est ici que réside l’essence des divergences de l’approche algérienne dans la lutte contre les groupes terroristes et la tactique française dans ses opérations dans la région du Sahel.

Paris privilégie l’intervention militaire directe dans les territoires des pays du Sahel en implantant des bases militaires et en utilisant des avions de chasse, des hélicoptères et des drones tout en engageant des troupes au sol, parallèlement à la constitution en 2017 de l’alliance du groupe des Cinq (Niger, Mali, Tchad, Burkina Faso, Mauritanie).

A l’opposé de cette méthode directe, Alger estime que chacun des pays du Sahel doit combattre les groupes terroristes à l’intérieur de son territoire, tout en assurant au niveau des frontières communes une coordination aussi bien militaire que dans le domaine du renseignement.

L’Algérie considère, également, que l’intervention de la France, qui traine un passif historique d’ancienne puissance coloniale, n’est de nature qu’à attiser le sentiment patriotique et l’appartenance religieuse des pays de la région hostiles aux forces étrangères, facteur qui sera exploité et instrumentalisé par les groupes terroristes afin d’embrigader davantage d’éléments dans leurs rangs.

Les responsables algériens sont plus enclins à considérer la militarisation de la région via l’implantation de bases militaires étrangères sous prétexte de lutte contre le terrorisme, portera atteinte et sapera progressivement l’indépendance de ces pays en les plaçant entre le marteau des groupes terroristes et l’enclume des ingérences étrangères.


** Des intérêts communs et une menace unique

Il semble que l’armée mauritanienne est intéressée par les industries de défense algériennes, en particulier, après l’évocation par Chengriha de la nécessité de s’orienter vers l’exportation des produits algériens.

Le 21 novembre dernier, le chef d’état-major algérien, avait souligné, en s’adressant aux directeurs des industries de défense : « Nous nous devons d’élargir le champ des intérêts des industries de défense pour satisfaire non pas uniquement les besoins de l’armée, des corps constitués et du marché local, mais aussi pour s’introduire dans les marchés régionaux, voire même internationaux, et pour réfléchir sérieusement à exporter nos produits ».

L’Algérie fabrique des armes légères et lourdes, tels les véhicules blindés ainsi que des camions, des bus et des véhicules à quatre roues motrices, qui sont utilisés à des fins aussi bien civiles que militaires, en partenariat avec plusieurs pays et compagnies mondiales, dont la société allemande Mercedes Benz.

Le chef d’état-major de l’armée mauritanienne s’est rendu, au cours de sa visite en Algérie, à l’usine de véhicules militaires de Tiaret (ouest), ce qui pourrait être le prélude à l’importation par Nouakchott d’armes et d’équipements algériens, pour les besoins des opérations de lutte antiterroriste menées au Sahara.

Bien que la Mauritanie n'ait essuyé aucune attaque terroriste, depuis 2011, il n'en demeure pas moins que ses frontières sud-est avec le Mali ils ne sont pas loin de la zone des trois frontières en effervescence, ce qui signifie que la menace est toujours présente, d'autant plus qu'elle fait partie du G5 Sahel, conduit par la France.

La Mauritanie s’était engagée, depuis 2008, dans une violente guerre contre le « Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat » (GSPC), devenu par la suite « Al-Qaïda au Maghreb islamique » (AQMI), en particulier après une attaque lancée par ce groupe contre une localité du nord du pays et le kidnapping de 12 soldats qui ont été décapités. Les combats se sont étendus entre les deux parties jusqu'à atteindre le nord du Mali.

La Mauritanie appréhende que les combats s'étendent du Mali jusqu’à l'intérieur de son territoire, bien que le Centre des Etudes africaines ait émis des doutes sur le fait que Nouakchott avait conclu, en 2011, un accord de non-agression mutuelle avec les violents groupes extrémistes, prétendant que son armée évite d'attaquer les extrémistes depuis cette date.


** Les revers essuyés par la France remettent sur le tapis l'Initiative des « Pays du terrain »

Si l'opération militaire « Serval » lancée par la France, au début de l'année 2013, a réussi à traquer et à expulser les groupes armés du nord du Mali, en particulier des villes de Kidal, de Tombouctou et de Gao, la deuxième opération « Barkhane » qui l'a suivi, fait face, depuis presque huit ans, à une série de revers à répétition.

La France a perdu, jusqu’à présent, 50 soldats. De même, des centaines de soldats maliens, nigérians et burkinabés ont péri dans de violentes attaques lancées par des groupes terroristes, essentiellement, ceux de « Daech du Sahara » et de la coalition de groupes loyaux à Al-Qaïda et de Boko Haram.

La zone frontalière commune entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso s'est transformée en un nouveau repaire de l'organisation terroriste de Daech, après sa défaite en Irak, en Syrie et en Libye.

L'opération française « Barkhane », qui a mobilisé 5100 soldats, a échoué à assainir la zone de la présence d'éléments armés, en dépit de la présence de forces de l'Union africaine et de l'apport d'un appui militaire de plusieurs pays européens, en plus de la présence militaire américaine dans la région à travers une base aérienne de drone au Niger.

La concomitance de la décision française portant réduction de ses troupes au Sahel, à l'instar des Etats-Unis, et la recrudescence des attaques terroristes dans la région, fera que la charge principale de lutte contre les groupes terroristes armés sera assumée par les pays de la région, en particulier, le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

De son côté, le Tchad s'est recroquevillé à l’intérieur de ses frontières, après l'annonce faite par son président, Idriss Déby, au mois d'avril dernier, portant suspension de la participation de son pays aux opérations de combat contre les groupes extrémistes en dehors de son territoire, et ce après la mort de 92 soldats tchadiens dans une attaque menée par Boko Haram, en date du 23 mars dernier.

Des médias occidentaux ont rapporté que le Tchad n'a pas dépêché un régiment supplémentaire composé de 480 soldats à la zone des trois frontières, tel que promis par N’Djamena au mois de janvier dernier.

Ce que l'on constate actuellement c’est une dislocation de l'alliance du G5 Sahel, sous la conduite de la France, qui s'emploie à trouver une sortie honorable de sa guerre au Sahel.

De son côté, la Mauritanie ne souhaite pas s'enliser dans une guerre frontale avec les groupes extrémistes, tandis que le Tchad n'est plus intéressé par les aides alléchantes française face à la menace que représentent désormais Boko Haram et Daech sur sa sécurité nationale.

Cette réalité pourrait inciter à un regain d’intérêt pour la stratégie de l'Algérie dans la lutte contre le terrorisme, en favorisant les moyens propres de chaque région et de chaque pays, tout en mettant l'accent sur la coordination militaire et dans le domaine du renseignement, au niveau des frontières des Etats de la zone du Sahel.

Au vu de son expérience en matière de lutte contre le terrorisme, l'Algérie, qui dispose de la plus grande armée de la région, estime que le développement des zones reculées, le dialogue avec les groupes modérés, tout en les tenant dissociés des groupes extrémistes, ainsi que l’appui et la promotion de l’action des associations modérées de prédication, à l'instar de la Ligue des Ouléma, des Imams et des Prédicateurs du Sahel, représentent autant de facteurs, qui réunis, permettront de tarir les sources du terrorisme et d'isoler davantage les extrémistes.

Le rapprochement entre Alger et Nouakchott représente une opportunité pour ressusciter l'initiative des « Pays du terrain », mais il n'est pas sûr que le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui bien qu’appuyés par la France, puissent résister aux violents coups qu’assène le triumvirat terroriste, Daech, Al-Qaïda et Boko Haram.


*Traduit de l’Arabe par Hatem Kattou

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