ANALYSE - Les coulisses de la tension en mer Noire : Du conflit contrôlé à la rivalité de puissance
- Le nouveau paysage sécuritaire en mer Noire indique une rivalité de « zone grise » où l'usage de la force militaire et les messages politiques s'entremêlent, plutôt qu'une guerre de front classique
Istanbul
AA / Istanbul
Le Prof. Dr. Togrul İsmayil, chef du département de Science Politique et Relations Internationales de la Faculté des Sciences Économiques et Administratives de l'Université Kahramanmaraş Sutçu Imam, a écrit pour Anadolu Analyse sur la concurrence croissante et les coulisses de la tension en mer Noire.
Les attaques de navires, l'activité des drones et les violations de l'espace aérien, qui ont récemment augmenté en mer Noire, signalent un nouveau seuil de rupture dans l'architecture de sécurité de la région.
Le ciblage du commerce maritime civil et des infrastructures portuaires met à rude épreuve l'équilibre de « conflit contrôlé » longtemps préservé en mer Noire. Tant les avertissements diplomatiques de la Türkiye que ses réflexes dissuasifs sur le terrain jouent un rôle critique pour empêcher la mer Noire de se transformer en un terrain de confrontation régionale plus large.
- L'équilibre sécuritaire changeant en mer Noire
Avec la guerre russo-ukrainienne, la mer Noire a cessé d'être seulement l'arrière-plan logistique du conflit pour devenir l'un des centres directs de la rivalité sécuritaire. Les activités maritimes et aériennes, qui étaient jusque-là limitées aux cibles militaires dans les premières phases de la guerre, ont commencé récemment à s'étendre vers les domaines civils.
Cette situation accroît tant l'ampleur que l'impact des risques sécuritaires en mer Noire. Le nouveau tableau qui se forme en mer Noire signale une rivalité de « zone grise » où l'usage de la force militaire et les messages politiques s'entremêlent, plutôt qu'une guerre de front classique. L'utilisation simultanée des systèmes navals, aériens et sans pilote brouille les limites d'engagement entre les parties tout en renforçant la probabilité d'une escalade involontaire.
- Que signifie le ciblage des navires civils ?
Les dommages subis par des navires marchands turcs lors des attaques de navires survenues ces dernières semaines en mer Noire et des bombardements visant les ports en Ukraine représentent un seuil important dans la nature du conflit. Le ciblage du trafic maritime civil montre que la notion de « conflit contrôlé », relativement préservée jusqu'à présent en mer Noire, est en train de s'éroder. Ce type d'attaques doit être évalué non seulement comme un outil militaire, mais aussi comme un moyen de pression économique et psychologique. L'atteinte à la sécurité des navires civils place également les pays tiers sous un risque direct, tout en transformant la mer Noire en une zone plus fragile pour le commerce international. La position nette de la Türkiye sur ce point constitue un avertissement clair contre le fait de rendre la navigation civile partie prenante du conflit.
- Pourquoi les routes commerciales et les infrastructures énergétiques sont-elles critiques ?
La mer Noire occupe une position stratégique en termes de commerce mondial des céréales, de transport énergétique et de réseaux logistiques régionaux. Les attaques visant les infrastructures portuaires et l'incertitude concernant la sécurité maritime affectent directement non seulement les pays de la région, mais aussi les équilibres mondiaux de l'offre et des prix. L'augmentation des coûts d'assurance, la hausse des prix du fret et le fait que certaines lignes commerciales deviennent de facto risquées indiquent que la pression économique émanant de la mer Noire pourrait être plus visible dans la période à venir. Quant au fait que les terminaux énergétiques et les infrastructures maritimes deviennent des cibles, cela transforme la mer Noire, au-delà de la tension militaire, en une zone de risque économique stratégique.
- Les drones et la tension de la « zone grise »
L'augmentation des activités de drones en mer Noire apparaît comme l'un des indicateurs les plus concrets de la transformation en cours du caractère du conflit. Ces systèmes à faible coût mais à haute efficacité sont utilisés intensément tant pour la collecte de renseignements que pour la dissuasion. L'abattage par des F-16 d'un drone entré dans l'espace aérien turc a clairement révélé qu'Ankara n'adopterait pas une attitude passive face au nouvel environnement de sécurité qui se forme en mer Noire. Ce type d'événements montre que les règles d'engagement en mer Noire reposent sur un équilibre de plus en plus sensible.
- Le rôle équilibrant de la Türkiye
La Türkiye mène une politique d'équilibre, tant sur le plan diplomatique que militaire, face aux développements en mer Noire. Les déclarations du président Recep Tayyip Erdogan, selon lesquelles les navires civils ne doivent pas être pris pour cible, soulignent l'importance que la Türkiye accorde à la préservation de la stabilité en mer Noire. L'approche suivie dans le cadre de la Convention de Montreux continue d'être l'un des piliers fondamentaux de la stratégie de la Türkiye consistant à ne pas transformer la mer Noire en une zone de conflit direct OTAN-Russie. Cette politique reflète également la recherche de prévisibilité et d'équilibre d'Ankara dans la sécurité régionale.
- La mer Noire se transforme-t-elle en un terrain de confrontation plus large ?
Les développements actuels augmentent la probabilité que la mer Noire se transforme en un espace de compétition plus intense et multidimensionnel dans la période à venir. L'inclusion de cibles civiles dans l'équation du conflit et la prolifération des systèmes sans pilote pourraient placer la région au centre d'une tension de « zone grise » de longue durée.
Cependant, le rôle équilibrant de la Türkiye et la tendance des parties à éviter un conflit direct ressortent comme les mécanismes de freinage les plus importants face à une escalade incontrôlée en mer Noire.
Les derniers développements survenus en mer Noire révèlent que l'architecture de sécurité fragile de la région est sérieusement mise à l'épreuve. Dans ce processus, l'approche de la Türkiye axée sur la dissuasion et la diplomatie continue d'être l'un des éléments d'équilibre fondamentaux empêchant la transformation de la mer Noire en un terrain de confrontation régionale plus large.
[Le Prof. Dr. Togrul İsmayil est chef du département de Science Politique et Relations Internationales de la Faculté des Sciences Économiques et Administratives de l'Université Kahramanmaraş Sutçu İmam.]
*Les opinions exprimées dans les articles appartiennent à leur auteur et peuvent ne pas refléter la politique éditoriale d'Anadolu.
* Traduit du turc par Mariem Njeh
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