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Les États-Unis à l’ère de Trump: De plus en plus isolés

- Plusieurs analystes politiques et économiques sont unanimes: Trump a nui au leadership américain dans le monde multipolaire d'aujourd'hui

Övünç Kutlu, Hakan Çopur, Kübra Chohan  | 18.08.2018 - Mıse À Jour : 20.08.2018
Les États-Unis à l’ère de Trump: De plus en plus isolés

New York

AA / New York - Washington / Ovunc Kutlu - Hakan Copur

En rejetant les organisations multilatérales et en nuisant aux liens économiques avec leurs alliés, les États-Unis du président Donald Trump sont de plus en plus isolés dans le système international qu'ils ont créé, a déclaré mardi un expert.

Ayant commencé son mandat à la Maison-Blanche avec le slogan " Rendre sa grandeur à l'Amérique", Trump a fortement écarté son pays du système international. Alors que le leadership américain sur la scène internationale a été mis en doute depuis la fin de la guerre froide, Trump est en train d’agir comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, endommageant les relations bilatérales de son pays les unes après les autres.

- Les institutions et les traités internationaux non reconnus

Trump a essuyé de vives critiques pour avoir refusé de respecter les institutions et les accords internationaux depuis qu'il a pris ses fonctions. Il a annoncé le retrait unilatéral de son pays de plusieurs accords, dont l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’Accord de Paris sur le changement climatique, le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) et, enfin, l’accord nucléaire iranien.

"La politique de ‘l'Amérique d'abord de Trump méprise et attaque les institutions internationales et les alliés des Etats-Unis ", a déclaré Kadir Ustun, directeur exécutif de la fondation SETA, un groupe de réflexion basé à Washington.

Selon Ustun, la position de Trump est clairement percevable à travers ses décisions sur Jérusalem et l’Iran.

"Il [Trump] préfère traiter avec les pays de manière bilatérale. Il l’a fait avec la Chine et la Russie, qui sont les principaux concurrents des Etats-Unis, et avec le Canada, le Mexique et la Turquie, qui sont des alliés de Washington", a-t-il expliqué.

Après avoir entamé la renégociation de l’ALENA avec le Canada et le Mexique l'année dernière, Trump a déclaré cette année la guerre commerciale à la Chine et à l’Union européenne (UE), son allié de longue date, en imposant des droits de douane sur l’acier et l’aluminium.

L'une des premières mesures prises après son entrée en fonction en janvier 2017 était de signer un décret qui désengage les États-Unis de l'accord de partenariat trans-pacifique. Moins de six mois plus tard, il a annoncé le retrait de son pays de l’Accord historique de Paris sur le climat. En mai dernier, Trump a également décidé de retirer Washington de l’accord non moins historique sur le nucléaire iranien.

"Tous ces accords ont été critiqués par Trump parce qu'il n'en faisait pas partie", a estimé Ustun.

"Cependant, les États-Unis sont de plus en plus isolés dans le système international actuel... Ce système a pourtant été fondé et dirigé par les États-Unis pendant des années", a-t-il ajouté.

Selon Ustun, l'Administration Trump ne se soucie plus de travailler avec les alliés des Etats-Unis. Elle prétend plutôt vouloir protéger les intérêts américains par des négociations bilatérales avec ses alliés et ses rivaux.

"La raison pour laquelle les Etats-Unis ont été le pays le plus important du système mondial actuel est l'alliance internationale qu'ils ont créée. Alors que Trump ne cherche pas à diriger ce système, il prend également des mesures économiques et politiques qui vident le système", a-t-il avisé.

- Seuls sur la décision sur Jérusalem

Après avoir ignoré les Palestiniens et toutes les négociations de paix au Moyen-Orient, et décidé de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël, Trump s’est attiré les foudres de presque tous les pays du monde - à l'exception d'Israël et de quelques petits pays-.

Après l’annonce de Trump du 6 décembre sur le changement de la politique américaine concernant Jérusalem, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté, le 21 décembre, à une majorité écrasante, une résolution parrainée par la Turquie rejetant la décision de Trump.

Malgré les menaces de Trump, 128 pays ont levé la voix contre sa décision, neuf ont voté en sa faveur, et 35 capitales ont préféré de s’abstenir.

Alors que presque tous les pays de l'UE ont soutenu la motion parrainée par Ankara, les États-Unis ont été laissés seuls avec Israël, ainsi que le Guatemala, le Honduras, les îles Marshall, la Micronésie, Nauru, Palau et le Togo.

Ce n’est plus seulement le monde musulman, mais presque tout le monde, qui s’est ligué contre Trump.

Entre temps, le vice-président américain Mike Pence s'est rendu au Moyen-Orient à deux reprises sans rencontrer aucun responsable palestinien. Ce fut un coup dur pour la légitimité diplomatique des États-Unis dans la région. Le rôle de Washington en tant que médiateur dans le processus de paix au Moyen-Orient s’est ainsi substantiellement amoindri.

- Divergences avec l'UE sur l'Iran

Lorsque Washington s’est retiré de l’accord historique sur le nucléaire iranien, Trump était incapable de trouver un allié fort, à l'exception d'Israël.

Le 8 mai, quand le président américain a annoncé son retrait unilatéral de l'accord, les autres pays signataires - les grandes puissances que sont la Chine, la Russie, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne – s’y sont vivement opposés.

L'Administration Trump, qui a particulièrement ignoré les appels des pays de l'UE à renégocier l’accord, s’est précipitée à décréter, unilatéralement, un régime qui renouvelle les sanctions imposées à Téhéran à partir des mois d’août et de novembre.

Mais en réactivant, le 18 mai, la loi de blocage, la Commission européenne a clairement exprimé son désaccord avec les sanctions américaines unilatérales. "Cette législation interdit, selon la Commission européenne, aux entreprises de l’UE de se conformer aux effets extraterritoriaux des sanctions américaines et leur ouvre le droit d'être indemnisées de tout dommage découlant de ces sanctions par la personne qui a causé le dommage".

Par cette décision les Européens veulent "protéger les intérêts des entreprises européennes qui investissent en Iran et signifier de nouveau l'engagement de l'Union européenne envers l’accord sur le nucléaire iranien".

- Les tarifs douaniers comme outil de politique étrangère

La dernière attaque en date de Trump était contre la Turquie, un allié de longue date au sein de de l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

Trump a en effet déclaré vendredi dernier avoir ordonné de doubler les tarifs sur l'acier et l'aluminium en provenance de Turquie. Sa mesure a constitué un point d’orgue dans le différend politique entre les deux pays, qui partagent pourtant une alliance de plus de 60 ans.

"Il ne fait aucun doute qu’il a versé l’huile sur le feu", a déclaré à Anadolu Jacob Kirkegaard, chercheur à l’Institut Peterson pour l’économie internationale basé à Washington.

La valeur du dollar américain augmentait contre la lire turque ces dernières semaines. Si Trump n'avait pas décidé de doubler les tarifs, cela aurait pu être bénéfique pour les fabricants américains qui importaient de l'acier et de l'aluminium de Turquie.

Selon Kirkegaard, cette décision "montre que Trump est clairement disposé à utiliser la politique commerciale et les taxes comme un outil général de politique étrangère".

"C'est une politique étrangère qui est celle de ’l'Amérique d’abord’ ou de Trump. Ce n'est pas une politique étrangère qui est consacrée à la promotion du libre-échange ou de la démocratie libérale ou quelque chose de ce genre. C'est une politique étrangère qui se consacre à tout ce que Trump veut faire chaque jour. Ceci, bien sûr, est un signal très décourageant adressé aux marchés financiers en général", a-t-il détaillé.

- Critiquer l'OTAN et l'ONU

Après le vote condamnant sa décision sur Jérusalem, Trump a encore réduit la contribution américaine au financement de l'Organisation des Nations Unies (ONU) de 285 millions de dollars et a également retiré les États-Unis de deux organismes majeurs de l’ONU- l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) et Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP).

Cette méthode de Trump s'était en fait révélée inutile dans le passé lorsque des sanctions étaient imposées à la fois à l'Irak sous le régime de Saddam Hussein et aux organes de l'ONU. Utiliser l'économie pour punir les pays ne fait que repousser la communauté internationale.

Tout comme avec l’ONU, Trump a été critiqué pour avoir agi comme le PDG d’une société à la poursuite des intérêts américains plutôt que dans un esprit d'alliance internationale.

Un regard sur le comportement scandaleux de Trump au dernier sommet du G7 au Canada, lors de sa visite au Royaume-Uni, pendant la conférence de sécurité à Munich, et durant bien d'autres occasions suffirait pour voir combien peu le monde s’intéresse à son approche.

Trump renvoie l’image d’un chef qui se bat et dénigre ses alliés et qui a des problèmes de courtoisie diplomatique.

Le président américain a également critiqué l'OTAN et ses membres à Bruxelles le mois dernier. Depuis l'année dernière, il n’a pas ménagé ses critiques envers l'organisation, exigeant que les autres membres de l'OTAN paient leur "juste part" du budget de la défense au lieu de laisser les États-Unis assumer la majeure partie du fardeau financier de l'organisation.

La Turquie a pourtant été un membre fort de l’OTAN depuis sa fondation et Ankara n’a pas tardé à afficher son soutien à Washington après les attentats terroristes de septembre 2001 en envoyant des troupes en Afghanistan.

"Rassembler tous les pays européens autour d’un objectif commun n’est pas une tâche facile, mais si vous y parveniez, cela aurait un résultat plus permanent et plus global que d’établir des relations bilatérales avec chacun d'entre eux", a jugé Ustun.

Ustun a donné, à cet effet, l’exemple de l’OTAN "qui n'est pas seulement une organisation militaire mais aussi une institution idéologique qui soutient les valeurs démocratiques et les droits de l'homme". "Trump a réduit l’essence de l'OTAN à des questions liées à son budget. Il a diminué la valeur de cette organisation et rabaissé son niveau de dissuasion. Du point de vue de la Russie, les fissures au sein de l’OTAN sont devenues plus visibles grâce à Trump", a-t-il expliqué.

Kirkegaard, lui, estime que les critiques de Trump à l’égard de l’OTAN indiquent qu’il n’accorde pas beaucoup de valeur à l’organisation.

"Le message qu'il envoie est que les Etats-Unis ne sont pas disposés à faire un effort supplémentaire, ou à être constructifs, ou à s'engager pour sauver l'OTAN", a-t-il déclaré.

"Il signale encore une fois que les pays qui pensaient aux États-Unis comme un allié devraient probablement avoir moins confiance dans cette relation avec Washington parce que ça n’importe que peu à ce président. C'est très clair", a-t-il ajouté.

- La crédibilité américaine s'effondre

Kirkegaard a aussi fait valoir que la crédibilité des États-Unis en tant que leader mondial était en déclin avec l'Administration Trump.

"Je ne pense pas qu’un autre pays doive prendre pour acquis la parole de Trump, ni même son engagement envers des accords internationaux", a estimé l’analyste, ajoutant que "la crédibilité du gouvernement américain avec un président aussi erratique et dépourvu de convictions fermes que Trump a grandement diminué".

- Guerres commerciales

La politique de Trump de "l’Amérique d’abord ", qui n’est autre qu’une approche de "l’Amérique seule", s'est rapidement répercutée sur le commerce international des Etats-Unis.
Trump, qui n'aime pas les accords internationaux déjà négociés, veut agir en tant que meneur de jeu sur un nouveau terrain dans le lequel les conditions de Washington prévalent sur toutes les autres.

L'Administration Trump s'est, non seulement, éloignée de la Chine avec ses tarifs du 23 mars sur l'aluminium et l'acier, mais aussi des pays de l'UE, de ses voisins - le Canada et le Mexique-, et de ses alliés de l’OTAN, y compris la Turquie.

Les fabricants américains qui dépendent des matières premières en l’occurrence l’acier et l’aluminium, tout comme plusieurs autres pays, ont inévitablement été affectés par la situation.

Depuis des mois déjà, Myron Brilliant, vice-président exécutif de la Chambre de commerce américaine avertissait déjà de la guerre commerciale. " Traîner nos alliés dans une guerre commerciale, menée selon la loi du talion, risque de nuire à l’économie américaine, à compromettre le leadership mondial des Etats-Unis et, par conséquent, à porter préjudice aux entreprises, aux travailleurs et aux agriculteurs américains", a-t-il mis en garde.

L'Administration Trump a réussi à unir ses rivaux et ses alliés opposés, tous, à la décision sur l'acier et l'aluminium qui a coûté aux fabricants américains à court et à moyen terme.

La Turquie et l’UE, qui ont décidé de contester les décisions des États-Unis à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), soutiennent que les Américains ont gravement porté atteinte aux normes internationales en agissant unilatéralement.

De nombreux économistes américains estiment que l’approche de Trump causera des dommages significatifs aux entreprises et aux consommateurs américains à moyen terme. Ils soulignent également qu’il ne sera pas facile de rétablir les balances commerciales internationales affectées par ce processus.

Le 31 mai, Paul Krugman, l’économiste nobélisé, également chroniqueur au "New York Times", a expliqué l’effet destructeur des tarifs de Trump. Pour lui, la guerre de Trump est tout simplement une "guerre commerciale stupide".

- Guerre commerciale contre la Chine

À la suite des tarifs douaniers américains de 25%, la Chine a déclaré qu’elle imposerait des droits de douane variant entre 15 et 25% sur 128 produits américains, d’une valeur totale de 3 milliards de dollars.

Quand Washington a annoncé son intention d’imposer 25% de droits de douane sur 1 300 marchandises chinoises d’une valeur de 50 milliards de dollars en avril, Pékin a immédiatement annoncé des droits de douane sur 106 produits américains de 50 milliards de dollars de valeur.

Le 18 juin, Trump a ordonné de nouveaux tarifs de 10% sur des produits chinois d’une valeur totale de 200 milliards de dollars. Les Américains ont officiellement commencé à appliquer des droits de douane de 34 milliards de dollars sur les importations chinoises, le 6 juillet, et Pékin a immédiatement imposé des droits de rétorsion.

Les négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine reprendront le 23 août. En prélude à ce face-à-face, Washington a déjà établi une liste de marchandises chinoises, valant 16 milliards de dollars, qui seront frappées d’un droit de douane de 25%.

"Mais la Chine est différente des autres rivaux des Etats-Unis", a tenu à préciser l’économiste Li Fuyi, dans une analyse récente publiée sur "China International Radio".

Pour cet économiste chinois, "les États-Unis pourraient limiter Moscou et Tokyo, mais le régime financier international actuel dit que Pékin est un acteur plus fort".

- Des alternatives aux États-Unis

Avec tous ces développements, il s’avère clairement que les États-Unis ne sont pas le seul choix dans le système mondial, mais qu’en réalité de nombreuses puissances moyennes et grandes ont plus d’une option.

Alors que les guerres commerciales de Trump avec la Chine et l'UE se développent, la Russie et la Chine ont annoncé qu'elles utiliseraient davantage de yuan chinois au lieu de dollars dans leurs échanges commerciaux.

De même, les États-Unis, qui ont suspendu une aide militaire d’un montant de 255 millions de dollars au Pakistan, ont poussé Islamabad à chercher des liens plus étroits avec Pékin et New Delhi.

Enfin, en imposant des droits de douane supplémentaires sur l'acier et l'aluminium turcs, sous prétexte de la détention du pasteur américain Andrew Brunson, l'Administration Trump a, à son grand dam, contribué à rapprocher Ankara et Moscou.

Tous ces exemples montrent que le pouvoir économique de Washington et son utilisation de la monnaie en tant qu'instrument de politique étrangère ne fonctionneront pas aussi bien qu'auparavant dans l’actuel ordre mondial multipolaire.

" ‘L’Amérique d’abord’ est en train de devenir ‘l’Amérique seule’ ". C’est d’ailleurs le titre d’une analyse faite l’an dernier par Brian Klaas.

Arguments et exemples à l’appui, ce professeur à la London School of Economics (LES) affirme que les États-Unis se transforment lentement en un allié moins fiable et plus isolé.

Alors que l'Administration Trump ferme les portes diplomatiques à la Turquie, Ankara a amélioré ses relations avec les pays de l'UE tels que la Grande-Bretagne, l'Allemagne et les Pays-Bas, ainsi que la Russie et multiplié ses efforts pour développer de nouvelles relations financières avec différentes parties du monde.

L’approche d’Ankara est ainsi un retour de bâton de l’approche de Washington.

- Des mesures "inapplicables"

"C’est une décision assez regrettable qui augmente les tensions dans la région, qui n’a pas besoin de ce type d’escalade", a déclaré à Anadolu l’analyste Marc Finaud.

Pour ce conseiller principal du Centre de Politique de Sécurité de Genève, "s'il y a des problèmes commerciaux, parfois légitimes, alors ils pourraient être réglés dans un contexte multilatéral au sein d'une organisation commerciale mondiale, mais pas par des mesures unilatérales, des pressions et des sanctions contre un allié très important".

Trump, qui est déjà devenu l’un des présidents les plus controversés de l’histoire américaine, continue de repousser non seulement les détracteurs de Washington, mais aussi ses alliés traditionnels, enfonçant les États-Unis de plus en plus dans la solitude.

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