AA/ Tunis/ Malèk Jomni

Dans un monde où la société plonge dans la surconsommation et où le gaspillage devient monnaie courante, il est vital de repenser notre approche vis-à-vis des produits que nous utilisons. C'est dans ce contexte qu'émerge depuis un bon moment une approche qui permet de réduire considérablement notre empreinte écologique tout en offrant aux consommateurs éveillés des produits durables et stylés : le recyclage et la résurrection des articles usés.

C'est dans l'une des anciennes ruelles de La Goulette (Grand-Tunis) qu'Anadolu est allée à la rencontre de Cherif Zaroui (30 ans) un designer produit qui a décidé, en pleine crise sanitaire ayant plongé le monde entier dans la panique et l'incertitude, de lancer KenEnti (Toi uniquement). Il s'agit d'une startup tunisienne de réparation, de revalorisation et de personnalisation de chaussures usées et d'autres articles qui se positionne en pionnière en recyclant les chutes de cuir et en créant de nouvelles pièces uniques et éco-responsables.

- Naissance de KenEnti

"Après avoir réussi mon Baccalauréat en Sciences mathématiques et entamé une licence en biologie, je me suis rendu compte que je voulais faire autre chose de ma carrière et me suis spécialisé dans les technologies du design à l'ESSTD". C'est en 2019, alors que j'étais en deuxième année faculté, que l'idée du projet a commencé à voir le jour, quand mon école a signé un partenariat avec la Fashion Week (la semaine de la mode) dont l'équipe organisatrice a demandé à chacun des étudiants de proposer une idée de projet. La mienne c'était de confectionner une paire de chaussures entièrement faites de chutes de cuir sur lesquelles j'ai dessiné des motifs berbères faisant référence à nos origines amazighes. Une idée applaudie par les membres du jury qui m'ont, ce jour-là, encouragé à continuer sur la même lancée.

Et de poursuivre: "Avec mon cofondateur, Anwer Hsesna, nous n'avons pas hésité une seconde avant de prendre nos chambres pour des ateliers en pleine crise de Covid-19, car nous n'avions aucun local commercial à disposition à l'époque. Notre surprise a été grande quand on a vu les réactions des internautes sur les publications de nos produits sur Facebook et c'était le point de départ pour un rêve qui est aussitôt devenu réalité. Nous sommes aujourd'hui onze artistes en tout à Kenenti et on aspire toujours à avancer".

- Travail d'équipe

Basma Ben Ayadi, l'une des artistes présents à l'atelier de KenEnti, a déclaré au micro d'Anadolu, avoir décidé, depuis deux mois, de quitter son poste qu'elle occupait pendant 5 ans, au sein d'une administration dans une université privée et de faire reconversion professionnelle.

Mère de deux enfants et passionnée par le dessin, Basma nous a confié qu'elle est aujourd'hui épanouie plus que jamais de s'adonner à la peinture dans un cadre convivial et dans une ambiance familiale, sans stress.

"Je suis ravie de pouvoir redonner de la valeur à une pièce qui a perdu de son éclat au fil des années. Il y a une différence entre dessiner sur un papier qui sera dévoré par la poussière et peindre sur un vêtement ou sur des chaussures qui seront portés et utilisés", a-t-elle expliqué, faisant savoir que Cherif, le chef d'atelier, lui a donné entière confiance pour intégrer aisément l'équipe.

Pour Mounib Jouini (30ans), l'histoire est différente. Cela fait 1 an et demi qu'il fait partie du groupe en tant que photographe. Il avait l'habitude de prendre les produits en photos avant publication sur le site et sur les réseaux sociaux de la Startup quand il a eu envie un jour de s'essayer à l'exercice. Il est donc aujourd'hui photographe et peintre à KenEnti.

Mounib, dont la spécialité est la peinture sur le cuir, a indiqué que quelques clients viennent déposer un produit et demandent à assister du début à la fin pour témoigner de l'évolution de la pièce, uniquement par curiosité. "Nous recevons un retour positif dans la majorité des cas", selon lui.

Et de préciser: "Nous avons été les premiers à offrir ce type de service original en Tunisie. Nous sommes habitués au cordonnier qui répare les paires usées et basta. A KenEnti, il y a une gestion de tissus, de couleurs et de produits propres à chaque processus et cela est nouveau!".

- Quand une entrave accouche d'une opportunité

Le lancement du projet KenEnti n'a, certainement, pas été sans entraves surtout que cela a coïncidé avec une fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes ainsi qu'avec une paralysie de l'économie mondiale.

Cherif, le fondateur, a fait savoir ce qui suit: "Le manque de matière première dont notamment la peinture qui n'est disponible qu'à l'étranger à des prix très élevés dans des délais qui ne correspondent pas à nos besoins, a été notre problème majeur, mais grâce à mon expérience en matière de produits chimiques, j'ai essayé de trouver les composantes de la peinture en question pour la faire moi-même en Tunisie et avec un coût moindre et ce, à la suite de plusieurs tests concluants de résistance à l'eau et à la chaleur".

"Aujourd'hui, nous vendons cette matière première aux artistes et aux artisans au lieu de l'importer à des prix exorbitants. Nous avons donc extrait une opportunité des tripes d'un problème", a-t-il fièrement souligné.

- Les réseaux sociaux, les premiers alliés de KenEnti

Ce projet qui a pour mission de chouchouter et de relooker les paires de chaussures a pris son essor grâce aux réseaux sociaux. "Facebook et Instagram m'ont offert une immense opportunité", a révélé Cherif.

"Les réseaux sociaux jouent un rôle important, en général, en termes de marketing et de commercialisation des produits, depuis une bonne dizaine d'années, d'où les gros montants déversés pour la publicité afin de booster les ventes", a-t-il commenté.

"L'évolution du projet aurait été certainement plus lente sans Facebook et Instagram, où nous avions posté, pour une durée de 6 mois, nos toutes premières publications aimées et commentées par des milliers d'internautes qui nous ont été d'un soutien capital".

- Des chaussures 100% faites de chutes de cuir

Notons que le surcyclage est un recyclage valorisant qui consiste à récupérer des matériaux ou des produits dont on n'a plus l'usage afin de les transformer en matériaux ou produits de qualité ou d'utilité supérieure.

"KenEnti progresse conformément à trois approches différentes: L'approche artistique en customisant les chaussures, l'approche technologique pour la commercialisation des produits et l'approche écologique en redonnant vie aux anciennes chaussures, sacs et vestes", a-t-il affirmé, ajoutant: "Nous réintégrons les vêtements et les chaussures qui étaient destinés à la poubelle, dans le cycle de consommation. Nous les ressuscitons en permettant au consommateur d'épargner de l'argent tout en protégeant la nature de la pollution

"Nous confectionnerons, prochainement, nos propres chaussures, sacs à main, portefeuilles et autres grâce à la récupération d'anciennes chutes de cuir chez les usines et les ateliers.

Il convient de rappeler que la startup KenEnti a décroché le prix de meilleur projet dans l'économie circulaire en Tunisie à l'occasion du dernier Sommet de la Francophonie. Elle s'inscrit, selon le fondateur du projet, dans une politique de "slow fashion" pour être en harmonie avec les politiques "green" adoptées partout dans le monde pour préserver l'environnement et la nature qui sont menacés.