Jusqu'où ira Kabila? Quand Kinshasa cédera?
Alors que des observateurs assurent que Kabila est déjà en train d'obtempérer aux pressions internationales pour organiser des élections, d'autres restent dubitatifs puisque "nul ne détient les clés du logiciel mental" de Joseph Kabila

Kinshasa
AA/ Kinshasa/ Safwene Grira/ Pascal Mulegwa
Alors que la situation politique tendait vers un blocage, avec l'absence du moindre signe quant à la tenue prochaine d'élections en République Démocratique du Congo (RDC), dont la présidentielle prévue en novembre, le Président Joseph Kabila a annoncé le coup d'envoi à l'enrôlement des électeurs en juillet prochain.
Ce coup de théâtre qui présume de l'enclenchement d'un processus électoral est concomitant avec une vague de sanctions internationales contre Kinshasa. Selon des observateurs, il ne demeure nul doute quant à la disposition à "coopérer" de celui que ses partisans appellent affectueusement "Raïs".
"Kabila cédera sûrement et certainement vu son attitude 24 heures après les pressions internationales", prédit dans une déclaration à Anadolu, Léonard Ulimwengu, enseignant de sciences politiques à l'Université de Semuliki dans l'est de la RDC.
"Le Président a promis d'organiser les élections en commençant par l'enrôlement des électeurs. Il y a déjà un recrutement annoncé par la Centrale électorale, et le conseiller diplomatique de Kabila [Barnabé Kikaya Bin Karubi] se trouve actuellement aux Etats-Unis pour des négociations", a-t-il ajouté, estimant que la marche vers les élections est "sérieuse".
Pourtant, les réactions immédiates de Kinshasa aux pressions exercées par les Nations Unies, les Etats Unis d'Amérique et l'Europe ont été marquées par une certaine véhémence.
"Nous sommes régis par la constitution de la RDC, et non pas par les recommandations des étrangers, inutile d’insister, ils disent ça mais nous, notre constitution demande au président Kabila de rester au pouvoir jusqu'à l’élection d’un nouveau président, c’est clair, ils sont Européens pas Congolais", a déclaré, mardi à Anadolu, Lambert Mende Omalanga, porte-parole du gouvernement de la RDC.
Il entendait réagir au communiqué final, produit jeudi dernier, au terme de la 31ème assemblée parlementaire paritaire Afrique Caraïbes Pacifique - Union européenne. Les députés avaient demandé au président Joseph Kabila de démissionner le 20 décembre 2016 "étant donné que le président de la RDC doit se limiter à deux mandats en vertu de la constitution congolaise".
La deuxième voix est venu, le même jeudi, du Trésor américain qui a gelé les avoirs du général Célestin Kanyama, commissaire provincial de la police de Kinshasa pour sa répression présumée de manifestations de l'opposition. Washington a également interdit aux ressortissants américains de se livrer à des transactions avec la personne sanctionnée.
"La RDC condamne les mesures prises par le gouvernement américain. C'est une atteinte à notre souveraineté et cela mettra en péril nos relations bilatérales" a récemment déclaré dans un communiqué, Barnabé Kikaya Bin Karubi conseiller principal diplomatique du président Joseph Kabila. "La RDC est confrontée à d'importants défis. En dépit de cette décision, nos efforts pour coopérer et travailler avec des partenaires étrangers se poursuit".
L'ONU n’est pas restée indifférente, en adoptant, le jeudi 23 juin aussi, une résolution reconduisant, pour un an, les sanctions contre la RDC, concernant principalement la vente d'armes. Elle a enjoint au gouvernement de la RDC et à toutes les autres parties concernées de "créer les conditions nécessaires pour que le processus électoral soit libre, juste, crédible, ouvert, transparent, pacifique et conforme à la Constitution congolaise", a en outre indiqué un communiqué du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Ces mesures sont venues sanctionner un long mutisme de Kinshasa, ce qui laisse une partie de l'opposition dubitative quant à la bonne volonté du maître du Palais de la nation. Elle ne s'en réjouit pas moins de le voir "obtempérer".
"Cet appel de la communauté internationale vient renforcer notre combat, nous avions perdu plusieurs dizaines de militants au cours des manifestations ici. La sanction reste un langage qui poussera Kabila à un minimum de respect de la Constitution et des droits de l’homme » a déclaré à Anadolu Bruno Tshibala, porte-parole de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS-opposition).
Ces pressions "salutaires" ont ainsi manifestement poussé Kabila à affirmer, le lendemain même, à l'occasion d'une tournée dans le Sud du pays: "J’entends les gens me demander de rester au pouvoir, mais nous sommes dans une démocratie, cela signifie que nous allons organiser des élections à tous les niveaux".
Reste à savoir si Kabila, dont "nul ne détient les clés du logiciel mental" et dont "personne ne sait comment [il] compte modeler son propre destin", selon l'expression de l'éditorialiste François Soudan (Jeune Afrique, 23 mai 2016), ne fera pas volte-face.
Au pouvoir depuis 2001, le fils du Mzee [Laurent Désiré Kabila] a déjà eu l'aval constitutionnel pour "rester au pouvoir jusqu'à l’installation de son successeur"; selon un arrêt controversé de la Cour constitutionnelle congolaise, rendu en avril dernier.
Kabila semblerait, en outre, "en proie" à son propre entourage, notamment dans le parti présidentiel, qui n'hésite pas à appeler carrément au maintien du président moyennant une manipulation constitutionnelle valable erga omnes. Si cette position demeure marginale (ou marginalement assumée), la position dominante au sein du parti présidentiel est à un souverainisme qui ne souffre aucune pression étrangère.
"Pas de moyens, il faut aller au dialogue pour organiser les élections [leur financement constituant le plus grand obstacle, selon Kinshasa], nous ne céderons à aucune pression étrangère" se limite à déclarer le camp présidentiel, par la voix du secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD-parti présidentiel), Mova Sakanyi approché par Anadolu.
Une résistance d'autant plus possible, rappelle Soudan, que Kabila "possède encore quelques atouts déterminants. L’armée, la police, l’ANR (services de renseignements), l’administration, un parti puissant, l’accès aux ressources financières, le levier du nationalisme au pays de Lumumba, ce n’est pas rien."
De son côté, l’opposition qui a toujours refusé le dialogue avec Kinshasa, sous prétexte qu'il sanctionnerait un glissement du calendrier électoral, a haussé le ton, à l'occasion d'une récente réunion tenue dans un hôtel de luxe dans la ville de Genval, en Belgique (ancien colon de la RDC). Si le fond de la déclaration finale épouse bien les contours de revendications populaires; exigences de l'alternance et revendications de libertés, le cadre "aurait gagné à être plus soigneusement choisi, vu les messages subliminaux qu'il dégage", glisse un diplomate ouest-africain à Kinshasa, approché par Anadolu.
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