France : L'immigration algérienne, bouc-émissaire des ambitions politiciennes
- La prise de position récente de l'ancien Premier ministre français, Édouard Philippe, prônant la remise en cause d'un accord migratoire signé avec l'Algérie en 1968, soulève la question du coup de com'.

France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Dans une article précédent [1] sur la politique en France, Anadolu a mis en évidence le changement récent de focalisation du débat sur la réforme des retraites vers les questions d'immigration et des Français musulmans.
Dans ce même contexte, l'ancien Premier ministre français Édouard Philippe a accordé un entretien à « L'Express » [2] et évoqué un sujet qu'il n'a pourtant pas coutume d'aborder : l'immigration en France, et plus particulièrement l'immigration algérienne.
Inspiré d'une "étude" menée par un ancien diplomate français [3], qui est toutefois loin de faire l'unanimité, notamment au Quai d'Orsay ou à la Place Beauvau, le chef du mouvement « Horizons » (membre de la majorité relative présidentielle) prône la remise en cause d'un accord migratoire signé avec l'Algérie en 1968.
En effet, depuis 1968, la France et l'Algérie appliquent un accord concernant les flux migratoires. Ce texte régit l'entrée, le séjour et l'emploi des Algériens en France, selon des règles dérogatoires au droit commun, qui s'applique au reste de l'immigration. Bien que ce texte favorise les Algériens sur certains points, en comparaison aux autres personnes immigrées, il constitue également un désavantage sur d'autres aspects. Par ailleurs, cet accord franco-algérien a été modifié par trois avenants (1985, 1994, 2001) le faisant converger avec le droit commun des étrangers.
En outre, cet accord franco-algérien ne régit pas la politique contre l'immigration illégale ou le droit d'asile, tout comme il n'apporte aucune réponse à la lutte contre les réseaux d'immigration clandestine mettant en danger la vie de milliers d'humains en Méditerranée centrale par exemple.
Ce retour dans l'arène politique nationale de l'homme qui a choisi la discrétion depuis qu'il a quitté Matignon en 2020 soulève la question de son objectif (mais aussi de sa méthode), alors que la réforme des retraites a occupé le centre de l'attention médiatique pendant la première moitié de cette année. Le thème choisi par l'ancien chef de gouvernement (2017-2020) d'Emmanuel Macron, pour faire ce retour en soulève davantage.
- Un contexte favorable au thème de l'immigration
Le débat et la longue contestation populaire sur la réforme des retraites avait permis de faire une pause relative de six mois sur le thème de l'immigration, malgré un grand nombre de manifestations, de rixes et d'autres actes violents de l'ultradroite. La fin de ce semestre focalisé sur la question des retraites a signalé le retour simultané du sujet de l'immigration dans le focus politico-médiatique. Le projet de loi sur l'immigration [4], présenté par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et le ministre du Travail Olivier Dussopt fait ainsi son retour dans l'agenda alors qu'il devrait être débattu cet été au Parlement.
À ce débat, vient également se greffer la proposition de loi sur l'immigration présentée par LR et qui se fonde notamment sur un rapport présenté en mai 2022 par le sénateur François-Noël Buffet. Il est à noter que Gérald Darmanin, ex-LR qui a rejoint le camp macroniste, s'en est également inspiré.
Dans ce contexte favorable à l'immigration, Édouard Philippe s'attaque à "trois non-dits" en matière d'immigration.
"D'abord, on dit qu'on veut moins d'étrangers en France, mais lorsqu'un certain nombre de nos concitoyens le disent, ils visent en réalité des personnes qui sont françaises, parfois depuis trois générations. Ce n'est pas le contrôle de l'entrée des étrangers en France qui réglera ce problème. C'est un sujet d'intégration, d'éducation, de civisme", déclare l'ancien Premier ministre.
"Le deuxième non-dit concerne l'islam" qui est devenu "un sujet central, un sujet inquiétant, un sujet obsédant", ajoute-t-il.
"Enfin, il y a le non-dit du travail. Beaucoup de Français trouvent qu'il y a trop d'étrangers en France, mais dans les restaurants parisiens, dans l'industrie touristique, dans le secteur agricole, dans toute une série de secteurs économiques qui ne sont pas en crise et qui sont indispensables à la réussite française, on se repose sur un nombre d'étrangers tout à fait impressionnant", estime encore Édouard Philippe, s'alignant ainsi sur un des points clés de la réforme voulue par son ami Gérald Darmanin, ancien ministre de l'Action et des Comptes publics dans son gouvernement (2017-2020), avec qui il partage ce point commun d'être issu du parti LR (Les Républicains, droite) avant de rejoindre Emmanuel Macron.
- Ambitions présidentielles pour 2027
L'ambition présidentielle d'Édouard Philippe pour 2027 n'est pas un secret, ni celle de Gérald Darmanin qui, on se souviendra, avait accusé, dans un débat télévisé, Marine Le Pen, d'être "un peu molle" sur la question de l'immigration.
De façon un peu similaire, malgré sa loyauté à son ami actuellement ministre de l'Intérieur, le président du mouvement « Horizons » ne manque pas de critiquer son projet de loi. Édouard Philippe se dit "très en soutien des propositions formulées par Gérald Darmanin et Olivier Dussopt", sur lesquelles le gouvernement vise à constituer une majorité parlementaire avec LR. "Cette loi est nécessaire, mais je sais qu'elle n'est pas suffisante", ajoute l'ancien premier ministre, cherchant à marquer une différence avec son ami, sans en perdre la loyauté, et à se rapprocher des positions du parti de droite en voie 'd'extrémisation' (LR) sous la houlette d'Éric Ciotti, qui emprunte les thèmes et le ton de l'extrême droite, dans sa communication comme dans la proposition de loi de son parti.
L'ancien Premier ministre remet en cause l'accord franco-algérien de 1968, exprimant son opposition à une "immigration du fait accompli", et reprenant ainsi une expression [5] chère à Marine Le Pen, cheffe de file du Rassemblement national (RN) et à Éric Zemmour, leader de « Reconquête ! », deux partis d'extrême droite, pourtant très éloignés la vision libérale et européiste d'Édouard Philippe. Il est à rappeler que les deux leaders d'extrême droite affichent pour ambition de se libérer du "joug de l'Europe" (Union européenne et Cour européenne des droits de l'homme), notamment sur la question de l'immigration et du droit d'asile.
De cette façon, Édouard Philippe pratique - peut-être plus habilement- le fameux "en même temps" d'Emmanuel Macron, qui consiste à cocher des cases, c'est-à-dire à communiquer sur divers sujets avec l'objectif de s'attirer la sympathie de différentes de couches de la population, quitte à tenter de lier l'inconciliable, voire de se contredire.
En même temps, comment s'attaquer à la question de l'immigration en France, qui représente un potentiel important d'électeurs, sans être anti-européiste, comme savent l'être les leaders de l'extrême droite, et ceux de la droite extrême tels qu'Éric Ciotti ? Édouard Philippe a trouvé son chemin : s'attaquer à l'accord franco-algérien de 1968 sur l'immigration (même si la révision ou disparition de celui-ci n'apporte aucune solution réelle au dit "problème de l'immigration").
Le potentiel candidat à la présidentielle de 2027 - alors qu'Emmanuel Macron en est à son second mandat, donc non reconductible - tente aussi, peut-être, de faire une pierre deux coups, en s'attaquant à l'Algérie, qui a gardé sa proximité avec la Russie dans un contexte de guerre en Ukraine, Édouard Philippe s'inscrivant ainsi dans le camp européiste, mais aussi atlantiste...
Notes :
1. « France / Attaque d'Annecy : Ciao la réforme des retraites, bonjour la haine des migrants (Analyse) », Anadolu, le 10 juin 2023
https://www.aa.com.tr/fr/analyse/france-attaque-dannecy-ciao-la-r%C3%A9forme-des-retraites-bonjour-la-haine-des-migrants-analyse/2919164
2. « Edouard Philippe : immigration "subie", Algérie, délinquance… "On crève des non-dits" », L'Express, le 5 juin 2023
https://www.lexpress.fr/politique/exclusif-edouard-philippe-immigration-subie-algerie-delinquance-on-creve-des-non-dits-UKTIL7AR4RFF7CJ4MN3ALWAMIE/
3. « Politique migratoire : que faire de l'accord franco-algérien de 1968 ? », Fondapol, mai 2023
https://www.fondapol.org/etude/politique-migratoire-que-faire-de-laccord-franco-algerien-de-1968/
4. « France / Darmanin : le projet de loi immigration vise à "mieux intégrer et à mieux expulser", Anadolu, le 6 décembre 2022
https://www.aa.com.tr/fr/monde/france-darmanin-le-projet-de-loi-immigration-vise-%C3%A0-mieux-int%C3%A9grer-et-%C3%A0-mieux-expulser/2756585
5. « France : Les oppositions expriment leur colère face au projet de loi immigration du gouvernement », Anadolu, le 3 novembre 2022
https://www.aa.com.tr/fr/monde/france-les-oppositions-expriment-leur-col%C3%A8re-face-au-projet-de-loi-immigration-du-gouvernement/2728705