Analyse, Afrique

Est de la RDC : Un accord sous l’égide des États-Unis peut-il vraiment apporter une paix durable ? (Analyse)

- La politique américaine en Afrique évolue, passant de l’aide et de la diplomatie à une approche plus transactionnelle, où les accords commerciaux remplacent le soutien au développement à long terme

Ekip  | 28.06.2025 - Mıse À Jour : 28.06.2025
Est de la RDC : Un accord sous l’égide des États-Unis peut-il vraiment apporter une paix durable ? (Analyse)

Ankara

AA / Tunis

L’accord signé vendredi à Washington entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, sous l’égide des États-Unis, a suscité un mince espoir dans une région ravagée par l’une des pires crises qu’ait connue l’Afrique ces dernières années.

Cette initiative intervient après une nouvelle offensive du groupe rebelle M23 et de ses alliés, qui a intensifié les combats dans l’est du pays, causant des milliers de morts et contraignant des millions de personnes à fuir leurs foyers.

Depuis décembre 2024, les combattants du M23 ont pris le contrôle de Goma et Bukavu — les capitales provinciales du Nord et du Sud-Kivu — aggravant l’instabilité dans cette région depuis longtemps en proie aux groupes armés et à la convoitise des ressources minières. Le groupe, l’un des centaines actifs dans l’est congolais, affirme défendre les droits de la minorité tutsie.

La Première ministre Judith Suminwa Tuluka a indiqué que les violences ont fait plus de 7 000 morts cette année. L’ONU, de son côté, estime à plus de 7,8 millions le nombre de déplacés.

Une dynamique de paix s’est enclenchée en mars, lorsque le président congolais Félix Tshisekedi et son homologue rwandais Paul Kagame ont accepté un cessez-le-feu à Doha, négocié par l’émir du Qatar.

Trois mois plus tard, les deux parties ont signé un accord de paix à Washington prévoyant le respect de l’intégrité territoriale, la cessation des hostilités, le désarmement des groupes armés non étatiques, la mise en place d’un mécanisme conjoint de coordination sécuritaire, le retour des réfugiés, l’accès humanitaire et une coopération économique régionale.

Mais selon les analystes, aucun accord minier ne pourra apporter une paix durable sans s’attaquer aux causes socio-économiques et politiques sous-jacentes.

Rose Mumanya, analyste des risques politiques basée au Kenya, évoque la marginalisation persistante des Tutsis du Congo, l’ingérence présumée du Rwanda voisin, et les liens supposés du M23 avec Kigali.

Elle a confié à Anadolu que l’objectif principal de l’accord serait surtout de « renforcer l’implication des États-Unis en tant que médiateur dans le conflit ».

Daniel Van Dalen, analyste principal chez Signal Risk est plus sceptique : « Je pense que l’accord en lui-même n’aura pas d’effet direct sur la sécurité. » Selon lui, cela ne fera que renforcer les capacités de l’armée congolaise via des ventes d’armes, de la formation et du soutien logistique, sans résoudre les problèmes de gouvernance qui minent la région.

Il met également en garde contre l’influence de certains acteurs politiques entretenant des accords secrets avec des groupes rebelles, estimant que même une armée congolaise renforcée ne suffira pas à elle seule à stabiliser l’est du pays.

- Le rôle du Rwanda

Le rôle du Rwanda reste central dans toute tentative de résolution du conflit. Kinshasa, l’ONU et plusieurs capitales occidentales accusent Kigali de soutenir le M23. Le Rwanda nie, et affirme en retour que l’armée congolaise collabore avec les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), un groupe dont certains membres sont impliqués dans le génocide des tutsis de 1994.

Selon Van Dalen, les États-Unis « jouent sur les deux tableaux », faisant notamment référence à l’intérêt de Washington pour un accord migratoire avec le Rwanda similaire à celui du Royaume-Uni.

En 2022, le Rwanda avait signé un accord controversé avec le gouvernement conservateur britannique pour accueillir des migrants irréguliers. Cet accord a été abandonné par le Parti travailliste, après quoi Kigali a demandé plus de 50 millions de livres (67,7 millions de dollars) en compensation.

Évoquant l’échec des négociations entre le Congo et le M23 au début de l’année, Van Dalen a souligné que Kigali avait refusé de participer au processus de paix de Luanda, mené par l’Angola.

Les États-Unis pourraient également utiliser l’accord pour pousser Kigali à plus de transparence sur l’origine de ses minerais, estime Mumanya, d’autant que l’essentiel des approvisionnements rwandais proviendrait de l’est du Congo. « Une grande partie de ce commerce est légal, mais il y a aussi des accusations de sources illégales », a-t-elle précisé.

En exerçant une pression sur Kigali pour réduire ses transactions avec les groupes armés, Washington espère affaiblir l’emprise des rebelles sur les revenus miniers. Cela pourrait aussi dissuader toute ingérence dans les grands projets miniers pilotés par des entreprises américaines — même si, selon Mumanya, la faiblesse structurelle de l’État congolais dans l’est rend peu probable une reprise complète du contrôle des ressources.

- Minéraux, géopolitique et l’ombre chinoise

L’effort des États-Unis pour jouer les médiateurs entre le Congo et le Rwanda, et pour établir des partenariats stratégiques, reflète un changement plus large de leur politique, dans une tentative de contrer la domination chinoise dans le secteur minier africain.

La RDC, riche en cobalt, cuivre, tantale et or, cherche à attirer les investissements occidentaux après des années de sous-développement et d’exploitation étrangère.

Van Dalen observe un tournant chez les pays africains, qui cherchent désormais à « mieux contrôler leurs ressources ». Et selon lui, « le Congo en est bien conscient ».

Mumanya note toutefois que si les États-Unis n’exploitent pas directement les ressources congolaises, leur approche perpétue une logique bien connue : l’Afrique reste perçue comme un simple réservoir de matières premières, dont la valeur est ajoutée ailleurs.

Toutefois, les entreprises américaines risquent de se heurter à la présence bien établie de la Chine dans ces marchés. Pékin reste le poids lourd de l’industrie minière congolaise.

Van Dalen estime que la quête d’armement et d’investissements par le Congo a offert aux États-Unis un certain « ancrage » dans le secteur stratégique des minéraux, traditionnellement dominé par la Chine.

Mais, selon lui, Washington ne sera « jamais en mesure » de remplacer Pékin dans son rôle de financier d’infrastructures ou de ports à grande échelle.

Il rappelle que les précédentes administrations américaines ont activement œuvré pour freiner l’influence chinoise en RDC — une stratégie qui a partiellement porté ses fruits, le pays se montrant désormais « très pro-américain, très pro-occidental ».

Cependant, Van Dalen souligne les limites de cette diplomatie transactionnelle : la diplomatie d’influence est révolue, et les relations sont désormais concentrées uniquement sur « l’aspect commercial ».
Sous la présidence Trump, la politique africaine des États-Unis pourrait devenir encore plus axée sur les affaires, avance-t-il.

Mumanya partage cet avis, estimant que Washington se dirige vers une relation plus transactionnelle avec l’Afrique, surtout sous Trump. Elle avertit néanmoins que l’aide reste un « levier d’influence important » pour les États-Unis sur le continent, et ne disparaîtra pas totalement.

Elle conclut que même si les entreprises américaines ont historiquement été réticentes à l’idée d’investir dans des régions instables ou corrompues comme l’est congolais, cela pourrait évoluer : « Les entreprises chinoises ont généralement une tolérance au risque plus élevée », note-t-elle, mais sous Trump, il pourrait y avoir « une incitation plus forte à contester la mainmise de la Chine ».

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