ISF ou taxe Zucman : la France cherche la bonne formule pour alléger sa dette
- Confrontée à une dette record et à un déficit persistant, la France cherche à faire contribuer davantage les plus riches. Entre le retour de l’ISF et la Taxe Zucman, le pays hésite sur la voie à suivre pour restaurer ses finances

Istanbul
AA / Istanbul / Serap Dogansoy
Confrontée à une dette publique de plus de 3 345,8 milliards d’euros et à un déficit chronique, la France est sommée de repenser sa stratégie fiscale et budgétaire.
Pour l’économiste et conseillère en investissements financiers, Binnur Alkan, l’urgence dépasse largement la question de choisir entre un retour de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou la création d’une taxe mondiale sur les milliardaires. « Le véritable problème est ailleurs. Il vient de la mauvaise gestion budgétaire, l’absence de vision à long terme et le manque de stabilité politique qui minent l’économie française », estime-t-elle.
Selon elle, la fiscalité « doit rassurer et fédérer, non diviser ». L’instabilité politique, l’incapacité des partis à s’accorder sur une stratégie durable et les changements constants de politique fiscale « nuisent à la prévisibilité économique et aggravent la défiance des investisseurs ». Dans ce contexte, elle juge qu’« un signal fiscal mal calibré risque de décourager l’investissement étranger et d’inciter les entrepreneurs à se tourner vers d’autres marchés ».
- Deux voies pour faire contribuer les plus riches
Dans le débat actuel, deux pistes se dégagent. La première est le rétablissement de l’ISF, supprimé en 2018 et remplacé par l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI). Créé en 1989, cet impôt reposait sur un principe de solidarité nationale qui est de faire contribuer davantage les ménages dont le patrimoine dépasse 1,3 million d’euros. Son rendement restait toutefois limité (4 à 5 milliards d’euros par an) et il avait parfois entraîné des départs vers l’étranger.
La seconde option est la « taxe Zucman », présentée en 2024 par l’économiste Gabriel Zucman. Elle propose une taxation annuelle de 2 % sur la fortune nette des milliardaires, indépendamment de leur résidence fiscale. L’objectif est de corriger les failles d’un système fiscal dépassé par la mondialisation, limiter l’évasion et instaurer une fiscalité plus efficace des grandes fortunes.
- Fiscalité nationale ou coopération mondiale ?
L’ISF est un outil strictement national. Chaque année, les foyers dépassant le seuil fixé devaient déclarer leur patrimoine et s’acquitter d’un impôt progressif. Mais sa mise en œuvre complexe et son impact limité sur les finances publiques ont conduit à son abandon.
La taxe Zucman repose, elle, sur une logique transnationale. Son efficacité dépend de la coopération entre États et de l’échange automatique d’informations financières. Elle viserait l’ensemble des actifs mondiaux, y compris ceux dissimulés dans les paradis fiscaux. Dans ce schéma, l’évasion deviendrait beaucoup plus difficile. Mais sans accord international, la taxe risquerait d’être contournée, réduisant considérablement sa portée.
- Redistribution ou justice mondiale
L’ISF a longtemps eu une portée surtout symbolique. Il reflétait une volonté de réduire les inégalités, mais dans les faits, il n’a pas suffi à enrayer la concentration de richesses. Beaucoup d’actifs échappaient à l’impôt grâce à des montages complexes, et certains contribuables choisissaient de quitter la France.
La taxe Zucman, si elle voyait le jour, aurait une ambition bien plus large. Selon les calculs de son concepteur, un prélèvement de 2 % sur les 3 000 milliardaires de la planète pourrait rapporter jusqu’à 250 milliards de dollars par an. Ces recettes pourraient financer des politiques sociales ou environnementales à grande échelle et contribuer à réduire les inégalités extrêmes.
- Des limites structurelles à prendre en compte
Pour B.Alkan, « sans coopération internationale, la taxe Zucman restera inefficace et coûteuse à mettre en œuvre. Quant à l’ISF, son retour serait surtout symbolique ». Elle met aussi en garde contre les effets secondaires d’un impôt mal conçu. « Si l’État devenait actionnaire d’entreprises en échange d’un impôt non payé en numéraire, cela pourrait fragiliser la confiance des marchés et compliquer la gouvernance des sociétés. »
Elle rappelle par ailleurs que « la fiscalité ne peut, à elle seule, résoudre les déséquilibres structurels des finances publiques ». Une grande partie de la population, note-t-elle, « ne comprend pas les mécanismes fiscaux, ce qui alimente la peur et l’incompréhension ». D’où la nécessité de former les citoyens à l’économie et aux impôts « dès l’école, pour leur permettre de voter et de débattre avec discernement ».
- Deux modèles fiscaux face à la mondialisation
L’ISF et la taxe Zucman partagent une ambition commune qui est de faire participer davantage les grandes fortunes à l’effort collectif. Mais ils reflètent deux époques et deux logiques. L’ISF, pensé dans une économie moins mondialisée, apparaît aujourd’hui dépassé par la mobilité des capitaux. La taxe Zucman, elle, incarne une nouvelle approche, fondée sur la coopération internationale et l’adaptation à une économie globalisée.
Pour Paris, le choix entre ces deux instruments, ou même leur combinaison, ne sera pas seulement fiscal. Il engagera la France dans une réflexion plus large sur son modèle social, son rôle dans l’économie mondiale et la manière dont elle entend restaurer la confiance dans ses finances publiques.