
AA/Le Caire/Maroua Jamal
L’appel au boycott des séries et feuilletons télévisés turcs lancé par le président de l’Union des radios et télévision d’Egypte, Issam Amir, a trouvé des échos mitigés chez les professionnels du domaine. Il semble bien que l’audimat soit plus fort que les décisions politiques.
Alors que les représentants des chaines privées ont indiqué qu’ils allaient examiner l’appel dans les prochains jours, des critiques d'art ont fait savoir que le boycott ne sera pas fructueux à partir du moment où les feuilletons turcs ont leur public qui les suit en version arabe et représentent une bonne part du marché.
Issam Amir avait adressé il y a quelques jours, un message à la chambre de l’industrie des communications (qui regroupe 10 chaînes de télévision), dans lequel il demande aux chaînes de télévision privées de boycotter les séries turques, en signe de protestation contre ‘’des attaques injustifiées du Président turc Recep Tayyip Erdogan à l’égard de l’Egypte’’.
Dans une déclaration à l’agence Anadolu, Amrou al-Kohki, secrétaire général de la chambre de l’industrie des communications, a indiqué qu’il tiendra une réunion avec ses pairs après les fêtes de l’Aïd al Idha, en vue de procéder à un vote sur les mesures que vont prendre les dix chaînes privées de télévision concernant le boycott des séries dramatiques turques. Les chaînes devront se conformer obligatoirement au résultat du vote, a-t-il souligné.
Al Kohki a précisé que pour remplacer la perte des grosses rentes publicitaires qui accompagnera le boycott des séries turques, il faudrait produire des séries égyptiennes similaires et dans le même esprit des histoires romantiques des feuilletons turcs.
Ce n’est pas la première fois qu’un appel au boycott des séries télévisées turques a été lancé, sans grand succès d’ailleurs puisqu’elles bénéficient d’une importante part d’audience.
De son côté, Mosaad Foudah, syndicaliste des métiers du cinéma, a déclaré à la correspondante de Anadolu, que le boycott des séries dramatiques turques est sorti au grand jour après la destitution de l’ancien Président Mohamed Morsi, en signe de protestation contre la position du gouvernement turc contre ‘’la Révolution du 30 juin’’ et les manifestations qui l'ont précédé.
«Cela fait une année que nous revendiquons le boycott du produit télévisuel turc’’, a-t-il affirmé, ajoutant que les appels qu’ils ont lancés aux chaines privées égyptiennes ont été rejetés ‘’parce qu’il ne faut pas mélanger l’art et la politique''. Avec la persistance de la crise entre Ankara et le Caire, ‘’Nous avons réitéré notre l’appel au boycott et attendons la réponse’’, a-t-il dit.
Pour sa part, l’acteur Sameh Sriti, vice président du syndicat des métiers du cinéma, a souligné que "les peuples égyptiens et turcs sont unis par des liens historiques, nous les respectons même si on est divergeant sur le plan politique, notamment à propos de la position du gouvernement d’Ankara concernant les derniers évènements en Egypte".
"Il ne faut pas contraindre les chaînes privées à boycotter les séries turques", a-t-il estimé, "comme on ne peut pas obliger un acteur égyptien à participer à une œuvre turque, si on le lui proposait", a-t-il ajouté.
Pour Magda Khairallah, critique d’art, l’appel au boycott est inutile. Elle a déclaré, dans ce contexte, à Anadolu que "la télévision égyptienne a perdu sa crédibilité et plus personne ne la regarde", précisant que sa part d’audience s’est effondrée, selon tous les sondages.
‘’Ce sont les chaînes égyptiennes privées qui cherchent à acheter les droits de diffusion des séries turques à cause de leur succès et du taux d’audience élevé, qui leur permet des revenus publicitaires substantiels’’ a expliqué Magda Kairallah. Aussi, a-t-elle estimé que ‘’les chaines égyptiennes privées ne peuvent se permettre de perdre des bénéfices importants’’. ‘’Il n’existe aucune autorité qui puisse imposer aux chaînes égyptiennes privées, le boycott culturel de la Turquie’’, a-t-elle rappelé.
Tarek Chennaoui, critique d’art égyptien, partage le même avis, affirmant que le temps des boycotts artistiques est révolu et largement dépassé’’. ‘’Si les chaînes privées ne diffusent plus les séries turques, d’autres le feraient à leur place à travers le bouquet satellitaire "Nilesat" et personne n’empêcherait alors les Egyptiens de les regarder chez eux, a-t-il expliqué.
Les divergences politiques entre la Turquie et l’Egypte ne doivent pas toucher l’espace culturel qui s’adresse d’abord aux sentiments des gens, a-t-il estimé, indiquant que la seule voie possible devant les chaînes de télévision égyptiennes pour atténuer l’influence des séries turques c’est de produire des feuilletons de la même qualité.
Le Président turc Erdogan avait sévèrement critiqué l'Egypte lors de son allocution à la dernière session de l'Assemblée générale des Nations Unies, évoquant ‘’un coup d’Etat contre un président élu et une farouche répression contre des manifestants qui ont dénoncé le vol de leurs suffrages ‘’. Le président turc avait également dénoncé la passivité des Nations-Unies et des pays démocratiques face au "coup d’Etat qu’ils ont, de surcroit, renforcé en lui conférant une légitimité".
Le ministère égyptien des Affaires étrangères a estimé que les affirmations du Président turc "relèvent du mensonge et bafouent la volonté du peuple égyptien".
Malgré le froid des relations entre les deux capitales, plus de 30 mille Egyptiens ont visité la Turquie entre janvier et avril 2014 contre 37 mille au cours de la même période en 2013, soit une baisse de 19%, selon le ministère turc de la Culture et du Tourisme. De même, plus de dix mille Turcs se sont rendus en Egypte pour des raisons touristiques durant la même période de 2014 contre plus de 25 mille en 2013, selon la même source.