Stratfor, l’ombre du renseignement américain plane sur les tentatives putschistes
-Comment le centre américain d’études sécuritaires (Strategic Forecasting, Inc) est parvenu à déterminer la position de l’avion du président Erdogan, le soir du 15 juillet, le désignant comme cible pour les putschistes

Washington
AA/ Washington
Stratfor (Strategic Forecasting, Inc), le centre américain d’études sécuritaires et stratégiques, a suscité la controverse après avoir diffusé sur Twitter, lors de la tentative de coup d’Etat qui a secoué la Turquie le 15 juillet, des informations sur la position de l’avion du président turc Recep Tayyip Erdogan. Les questions persistent, sur la nature du travail du centre, les sources de ses renseignements, et les parties qui le soutiennent.
Dans la nuit de la tentative de putsch, Stratfor a en effet publié trois tweets dans lesquels il a déterminé la position de l’avion du président turc. Dans le premier message diffusé, le centre a indiqué que l’appareil survolait la mer Marmara. Puis, dans un deuxième Tweet, il a déclaré que l’avion était parvenu à la périphérie d’Istanbul. Avant d’affirmer, dans une troisième publication sur Twitter, que l’avion du Chef de l’Etat turc avait atterri à l’aéroport Ataturk, agrémentant le message d’une carte des lieux.
Autant d’éléments qui pourraient laisser croire que le centre américain a adressé ces précisions aux putschistes, pour leur permettre d’assassiner le président turc.
Interpellés par Anadolu sur les motifs de telles publications concernant un pays qui vivait une tentative de putsch, et sur les moyens qui leur ont permis d’obtenir de telles informations, les responsables de Strafor ont préféré éludé les questions.
A noter que l’officine a également partagé sur le même réseau social, les fausses informations diffusées par la chaîne américaine MSNBC, faisant état d’une «demande d’asile adressée par Recep Tayyip Erdogan à l'Allemagne».
Le lendemain de la tentative de coup d'Etat, le 16 juillet, Stratfor a publié une biographie d’Erdogan, incluant une nouvelle fois de fausses informations, dont le fait que l'actuel président de Turquie avait été emprisonné en 1999 pour "incitation à la violence et à la haine religieuse et ethnique".
La biographie mentionnée soutient également qu’Erdogan a œuvré, durant l’année 2000, à affaiblir l’armée turque, laissant entendre que le président est animé par son inimitié personnelle à l’égard des militaires. Autant de motifs censés légitimer la tentative de putsch auprès des abonnés du centre américain.
Cependant, après la polémique provoquée par ses publications, Stratfor a supprimé de Twitter sa publication sur la prétendue «demande d’asile d’Erdogan».
Mais ce n’est pas la première fois que le centre d’étude cible un Chef d’Etat. L’un de ses principaux analystes sécuritaires, Fred Burton, a affirmé, dans un mail fuité au sujet de l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez : «Un certain temps, nous avons prévu de lui organiser un accident d'avion».
Or Stratfor compte parmi ses abonnés, des institutions médiatiques du calibre de la chaîne d’information américaine CNN, des agences de presse telles Associated Press, Reuters, ou Bloomberg. Les informations rapportées par ce centre d’études sont habituellement attribuées à une «source de renseignement».
Reste à déterminer la crédibilité des «informations» fournies, et surtout, leurs motivations sous-jacentes.
WikiLeaks dévoile le pot aux roses
En 2012, Wikileaks a révélé au public la correspondance interne de Stratfor, dévoilant en partie les rouages du centre.
Les mails publiés indiquent que le «Centre d’études stratégiques et sécuritaires» emploie des «espions» dans différentes régions de la planète.
Ainsi, WikiLeaks a révélé que Stratfor verse un salaire mensuel de six mille dollars à un élément de l'armée libanaise, en échange de renseignements.
Le centre Stratford basé à Austin, dans l’Etat américain du Texas, a été fondé en 1996 par le célèbre analyste politique néo-conservateur, George Friedman, connu pour son penchant pro-israélien, et son aversion pour le monde musulman.
L’officine affirme financer ses activités notamment grâce à ses abonnés, dont le Département d'Etat américain, le Pentagone, et le Département du renseignement et de la sécurité intérieure.
Des sociétés privées telles que Lockheed Martin (la plus importante entreprise active dans l'industrie militaire dans le monde), Northrop Grumman, spécialisée dans la fabrication de navires de guerre et de porte-avions, Raytheon (systèmes électroniques et aérospatiale) figurent également parmi les abonnés de Stratfor.
Le centre d’études sécuritaires et stratégiques compte dans ses rangs plusieurs anciens agents des services de renseignement ainsi que des ex-officiers de l’armée américaine, et de hauts responsables du Département d’Etat.
Le rédacteur en chef de Stratfor, David Judson, quant à lui, a passé huit ans en Turquie, en tant que coordinateur général du journal «Referans», du groupe de presse Dogan, avant d’assumer les responsabilités de directeur de la publication auprès du quotidien «Hurriyet Daily News».
L’arrière-cour de la CIA
Pour Birol Akgün, un professeur à l'Université turque Yildirim Beyazit, la publication heure par heure, d’informations ayant trait à la tentative de putsch en Turquie, laisse entendre que Stratfor agit «dans l’ombre des services de renseignement américains».
«Il est clair que l’objectif était de faire réussir la tentative de coup d’Etat. Ces officines ne peuvent être indépendantes, et agissent officieusement, dans l’ombre des services de renseignement américains», a-t-il affirmé.
«Ils sont soit en contact direct avec les putschistes, soit ce sont les services de renseignements qui leur fournissent des informations. En diffusant des renseignements sur la position de l’avion du président [Erdogan], ils n’ont pas simplement publié une information, mais tenté de créer l’événement. Ils n’auraient pas osé agir de même aux Etats-Unis», a martelé le professeur.
Akgün a estimé qu’il est possible que Stratfor ait recruté des agents au sein de l’armée turque.
De son côté, Ahmet Uysal, professeur à l’Université turque de Marmara, a considéré que la publication de telles renseignements la nuit de la tentative de putsch, visait à faire tomber Erdogan entre les mains des conjurés.
«Stratfor n’aurait pas pu publier de telles informations au sujet de la position du président américain. Cela aurait été considéré comme un acte de haute-trahison par les médias des Etats-Unis. Mais quand c’est de nous qu’il s’agit, on évoque la liberté d’expression», a-t-il ajouté.
Uysal a, par ailleurs, relevé la relation entre le chef de l'organisation parallèle, Fethullah Gulen, et Graham Fuller, l’ex-responsable de la CIA, et ancien vice-président du Conseil National du renseignement américain.
«Ils ont agi comme en Egypte. Ils affirment ne pas être informés de la tentative de coup d’Etat, puis prétendent être devant le fait accompli. Il n’est pas possible que les services de renseignement occidentaux n’aient pas été informés. Ce sont eux qui tirent les ficelles. Et il est clair que Fuller et d’anciens agents sont impliqués dans la tentative de putsch qui a eu lieu en Turquie», a conclu Uysal.
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