Réfugiés Syriens en Turquie: Un modèle d'intégration
- Face à l’afflux de réfugiés, la Turquie a, dès le début du conflit en 2011, dû accueillir un nombre important de réfugiés Sriens dont le nombre avoisine aujourd’hui les 3 millions.

Bursa
AA/ Bursa (Turquie) / Şerafettin Kaygisiz
Le conflit syrien constitue, sans conteste, une des crises humanitaires les plus graves que le monde ait connues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Crise sanglante sans précédent dans l’histoire contemporaine de la région et dont les implications, en plus d’affecter durablement le Moyen-Orient, mettent véritablement à mal les chancelleries européennes.
La Turquie, en tant que pays voisin de la Syrie et qui partage avec elle une frontière de plus de 900 kilomètres, s’est retrouvée très rapidement entraînée dans la tourmente. Bien que le gouvernement actuel d’Erdoğan était en bons termes avec le régime de Bachar al-Assad avant le conflit, la répression sanglante que ce dernier mena contre les manifestations a fini par détériorer les relations entre les deux chefs d’Etat.
L’échec des tentatives de médiation menées par Ankara a fini par placer le gouvernement dans le camp des contestataires au régime qui exigent le départ du dictateur, considéré comme responsable du malheur syrien et de la déstabilisation de la région.
Face à l’afflux de réfugiés, la Turquie qui a adopté, dès le début du conflit, en 2011 une politique de porte ouverte, a dû accueillir un nombre important de réfugiés syriens dont le nombre avoisine aujourd’hui 3 millions. En effet, à elle seule, la Turquie abrite près de 60 % des 4,8 millions de Syriens qui ont fui la guerre. Il va sans dire que l’arrivée d’une vague aussi importante de réfugiés en l’espace d’une demi-décennie va marquer durablement le paysage socio-politique de la société turque.
Cette situation est d’autant plus délicate que la présence des réfugiés syriens sur le sol turc était considérée au début comme provisoire et que leur retour en Syrie serait envisagé dès la résolution du conflit. Aucun agenda politique à long terme visant à intégrer les Syriens n’avait donc été initialement prévu par le gouvernement.
Le conflit syrien s’enlisant chaque jour davantage, amplifié par la complexité des équilibres, des enjeux et des calculs géopolitiques, la question de la présence d’un nombre aussi important de réfugiés syriens en Turquie et de leur avenir a pris une toute autre dimension. Si la nécessité impérieuse de reconsidérer la question de leur avenir et de leur place dans la société turque semble désormais s’imposer, cela n’en demeure pas moins un défi colossal dans un climat géopolitique actuel particulièrement tendu et une conjoncture économique défavorable.
Pourtant, et malgré les défis titanesques auxquels la Turquie et son gouvernement actuel doivent faire face pour envisager une solution durable sur le dossier, il semble que la société turque, au-delà de ses clivages idéologiques sur cette question, a démontré une singulière capacité d’absorption des réfugiés là où les principes les plus élémentaires de protection du droit d’asile européen ont été, pour n’utiliser qu’un doux euphémisme, ébranlés. Et il est fort probable qu’une situation similaire aurait provoqué dans la plupart de sociétés actuelles des crises et de troubles particulièrement graves.
Cette capacité d’absorption de la Turquie est d’ailleurs mise à l’épreuve par la trame des conséquences sociologiques qui découlent de l’installation massive dans un espace de temps très court d’une nouvelle population dont la langue (arabe), la culture et les mœurs sont de nature à bouleverser de manière significative la structure socio-ethnique de la société turque. Quelles sont donc, dans leurs grandes lignes, ces conséquences observables ?
Sur un plan économique tout d’abord, on peut constater que les réfugiés syriens sont pour la plupart affectés à des postes subalternes dans les marchés informels compte tenu du fait qu’ils ne disposent pas d’une situation régulière au regard de la législation.
Ils occupent de facto des postes et travaux indésirables pour la plupart de nationaux et acceptent des salaires bas, compte tenu de leur situation. Ils ne sont donc pas en compétition directe avec les travailleurs turcs, mais plutôt avec d’autres migrants travaillant dans les marchés informels. Il serait toutefois excessif de chercher dans la relégation sociale des populations fragilisées à des postes subalternes une spécificité de la société turque. Car il s’agit bien d’un mécanisme sociologique universellement à l’œuvre dans la plupart des sociétés, voire toutes.
La tentation est grande d’imputer la responsabilité de l’inflation et du taux de chômage à la présence des réfugiés. Or, ces deux faits sont avant tout structurels et que si inflation significative il y a, elle se limite surtout aux régions où les réfugiés se sont installés.
Une augmentation de population, quelle que soit d’ailleurs ses origines socio-ethniques, dans un milieu, engendre systématiquement une hausse de la demande sur les biens à la consommation, le transport et l'immobilier. Ce qui a surtout un impact négatif sur la part la plus modeste et la plus fragilisée de la population locale.
De même pour le chômage, affirmer que les réfugiés constituent à eux seuls la raison de son augmentation, c’est oublier que le chômage est avant tout structurel et dépendant d’une multitude de facteurs. Les réfugiés ne sont tout au plus qu’un élément parmi ceux-ci.
Par ailleurs, la tendance à établir une causalité mécanique entre l’arrivée des réfugiés syriens en Turquie et la hausse du chômage c’est vite oublier qu’ils sont aussi créateurs d’emploi et qu’il se trouve parmi eux des investisseurs. Et en matière de création d’emploi, les Syriens sont plutôt entreprenants. Il suffit pour s’en convaincre de se rendre dans n’importe quel quartier d’une ville où ils ont majoritairement élus domicile pour constater de visu le nombre impressionnant de commerces qu’ils créent et gèrent, voire même des entreprises de manufactures et de production.
Nombre d’études soulignent les effets positifs des immigrés sur la création d'emplois. D’ailleurs, l'économie turque maintient une croissance qui est au-delà des attentes, et, paradoxalement, différentes études soulignent en cela le rôle conjoncturel des réfugiés. En effet, bon nombre d’hommes d’affaires syriens ont investi en Turquie et beaucoup d’entre- eux y ont même délocalisé leur commerce et leurs unités de production. Sans oublier que les réfugiés syriens contribuent logiquement à une augmentation de la consommation, ce qui revient de facto à stimuler l'économie.
Reste à savoir si les effets positifs des réfugiés syriens sur l’économie turque se maintiendront à long terme. Est-il besoin de rappeler que sur cette question-là, les économistes sont loin d’être unanimes ? En revanche, nous pouvons affirmer, sans craindre le démenti, que cette question trouvera sa réponse dans la place que la société turque accordera à l’avenir aux Syriens et celle qu’ils choisiront ou accepteront eux-mêmes.
Car, dans l’éventualité (assez probable) que le conflit perdure et qu’une résolution du conflit demeure lointaine, une partie non négligeable des réfugiés choisiront probablement l’accès à la naturalisation. En effet, beaucoup d’enfants syriens sont aujourd’hui scolarisés dans les écoles turques et la plupart parlent le turc couramment en plus de leur langue maternelle, l’arabe. Ces futurs citoyens, par leur maitrise des deux langues, seront sans nul doute dans un avenir proche de véritables catalyseurs pour le compte des sociétés turques dans leurs échanges commerciaux avec les pays arabes.
Sur le plan sociodémographique, la plupart des réfugiés se sont installés massivement dans les régions du sud de la Turquie dans des villes telles que Hatay, Gaziantep ou Kilis dont la composition ethnique présente de grandes similitudes avec celle de leur pays d’origine.
C’est dans ces villes que l’on notera surtout une recomposition démographique significative. Kilis en est un exemple significatif. Hormis quelques tensions ponctuelles avec les populations locales suite à des incidents isolés, la cohabitation s’y est maintenue dans des conditions normales.
La seule véritable entrave à une bonne intégration des réfugiés syriens à la population locale concerne ceux qui choisissent de s'établir en périphérie des villes dans des maisons à loyer bas, souvent illégales. Situation qui constitue un terreau pour la délinquance et les activités criminelles.
À terme, l’accès à la citoyenneté par voie de naturalisation d’un grand nombre de réfugiés syriens et de leurs enfants semble être une option incontournable tant la situation précaire dans laquelle ils ont dû se résigner à vivre plusieurs années n’était pas tenable.
Au-delà des discours idéologiques de certains élus, de rejet d’une part de la population et de toutes les formes d’instrumentalisation politiques internes ou externes dont les réfugiés syriens font l’objet, c’est dans la citoyenneté et les réformes que l’Etat entreprendra à leur égard qu’ils trouveront la reconnaissance sociale nécessaire, seule garante de leur pleine participation à l’histoire de leur nouveau pays.