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3e Sommet de Partenariat Turquie-Afrique : des ambitions confortées

- L'Agence Anadolu a interrogé des spécialistes de l'Afrique sur l'état et évolution des relations turco-africaines au cours des années passées.

1 23  | 30.12.2021 - Mıse À Jour : 31.12.2021
3e Sommet de Partenariat Turquie-Afrique : des ambitions confortées

France

AA/ Paris / Ümit Dönmez

À l'issue du troisième Sommet de Partenariat Turquie-Afrique qui s'est tenu à Istanbul du 16 au 18 décembre passé, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan a tenu une conférence de presse conjointe avec le président Félix Tshisekedi de la République démocratique du Congo, président de l'Union africaine (UA) co-organisatrice de l'événement, et le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat.

Erdogan a rappelé les liens historiques et fraternels liant les Turcs aux Nations africaines. Il a également souligné l'essor des relations diplomatiques, scientifiques, culturelles, économiques et stratégiques entre les pays africains et la Turquie, depuis l'année 2005, proclamée « Année de l'Afrique » en Turquie et depuis l'année 2008 lorsque l'UA a désigné la Turquie comme « partenaire stratégique ».



Le sommet organisé sous thème du « Partenariat renforcé pour le développement commun et la prospérité » a réuni les décideurs africains et turcs qui ont établi un plan d'action, couvrant la période 2022-2026, orientant le partenariat Afrique-Turquie « dans un large éventail de domaines allant de la paix, la sécurité et la justice aux investissements dans les infrastructures, le commerce et l'autonomisation des femmes ainsi que l'éducation des jeunes ».



Erdogan a remercié « tous nos amis qui ont soutenu notre lutte contre [l'organisation terroriste et putschiste] FETO en interdisant ses activités et en fermant ou en cédant à la Fondation Maarif les établissements d'enseignement affiliés à FETO. Nous nous attendons à juste titre à ce que cette attitude soit également adoptée par d'autres pays », a-t-il indiqué.



Le président turc a également exprimé sa détermination à maintenir et renforcer la coopération de son pays avec ses partenaires africains sur de nombreuses questions, notamment la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et la drogue, le développement, l'éradication de la pauvreté, l'éducation et la lutte contre les épidémies et pandémies.



- Large participation africaine au 3e Sommet de Partenariat Turquie-Afrique


Interrogé lundi par l'Agence Anadolu (AA), le président de l'Institut Prospective et sécurité en Europe (IPSE) note que « la troisième édition du sommet de partenariat Turquie - Afrique advient à un moment important pour les rapports de puissance en jeu en Afrique », alors que nombre d'États africains redessinent leurs relations diplomatiques et économiques avec leurs partenaires non-africains.


Rappelant la présence de « 16 chefs d’États et 102 ministres africains » à Istanbul lors du sommet qui s'est tenu du 16 au 18 décembre, Emmanuel Dupuy estime que cette large présence « conforte l’ancrage africain de la présidence Erdogan ».


Même constat pour Hichem Ben Yaïche, expert en géopolitique et rédacteur en chef de NewAfrican à Paris ainsi que Elem Eyrice Tepeciklioğlu, professeure au Centre de recherche et de mise en œuvre du droit international, à l'Université Yaşar, en Turquie.


« Ce IIIe sommet du partenariat Turquie-Afrique est l'affirmation des choix stratégiques de la Turquie vis-à-vis du continent africain. Puissance émergente, le pays bâtit et construit méthodiquement le socle de cette relation. Avec 40 pays présents, 16 chefs d'État et de gouvernements et des centaines de ministres sans parler des nombreux chefs d'entreprises. Cela montre le haut niveau de participation des décideurs. La symbolique politique se déploie à ce niveau-ci », estime Hichem Ben Yaïche.


Elem Eyrice Tepeciklioğlu rappelle la déclaration du « ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu dans son discours d'ouverture de la réunion au 2e jour du sommet », confirmant la participation élevées des dirigeants africains « malgré les conditions actuelles de pandémie ».


La chercheuse rappelle que « comme indiqué dans le même discours, les principaux points à l'ordre du jour du sommet étaient l'agriculture, l'éducation et la santé alors qu'à son troisième jour, les ministres de l'Agriculture et des Forêts, de la Santé et de l'Éducation, ainsi que les ministres des Affaires étrangères qui se sont réunis avec leurs homologues ».



- Les ambitions affichées de la Turquie


Emmanuel Dupuy constate également que « le président turc s’est rendu dans une trentaine de pays du continent. Son cinquantième déplacement depuis 2004 l’ayant amené en octobre dernier en Angola, Nigeria et Togo confirme la nouvelle stratégie d’Ankara ».


Selon le président de l'IPSE, il s'agit de « se positionner désormais sur la façade atlantique et plus spécifiquement sur les rives du golfe de Guinée, et ce, à l’aune de l’intensification du trafic maritime ».


Dupuy rappelle que « la Turquie dont les échanges commerciaux avec l'Afrique avoisine déjà 30 milliards de dollars [en 2021], ambitionne désormais de viser les 50 milliards d’ici 2030 ».


Constat similaire pour Hichem Ben Yaïche : « Les retombées de cette diplomatie économique se constatent tous les jours dans un monde concurrentiel où il faut se démarquer par une grande agilité et une grande efficacité. Surprenante Turquie qui a appris l'Afrique en marchant », note l'expert rappelant également les « 50 voyages en Afrique du président turc ».


Selon Hichem Ben Yaïche, « Les chiffres parlent d'eux-mêmes : de 5,3 milliards de dollars en 2003, le volume des échanges commerciaux est passé à 25,3 milliards en 2020. Infrastructures, services, formation militaire, vente d'armes et partage de technologies, la Turquie est à l'offensive. Les milieux d'affaires turcs sont aux anges. Ils jouent à fond la carte de l'Afrique et prennent des risques en Somalie, en Éthiopie et ailleurs. Cette façon d'oser l'Afrique a incontestablement un retour sur investissement », note rédacteur en chef de NewAfricanà Paris, Ben Yaïche estime que « cette démarche bouscule les partenaires traditionnels et les surclasse par une certaine ingéniosité ».



- Un « déploiement turc » en Afrique


« Au fil des années, on perçoit mieux le fil conducteur de cette stratégie à travers un certain soft power turc. 44 ambassades (49 est le chiffre visé dans le futur) œuvrent sur le terrain pour le travailler au corps et dénicher les pépites », selon Ben Yaïche qui évoque également la posture de la Turquie face à l'ordre international.


« Au-delà de cette dimension, la Turquie plaide aux Nations unies et d'autres instances pour que l'Afrique soit bien représentée dans les instances internationales en ayant un siège au Conseil de sécurité des Nations unies », constate le journaliste français.


« Malgré certaines voix qui soufflent sur les braises de la turcophobie, la Turquie trace son chemin et place ses pions sans complexe », note-t-il.


Faisant référence au « soft power turc », Ben Yaïche évoque également ce qu'il qualifie d'« un système médiatique, notamment à travers des agences telles qu'Anadolu[1], qui accompagne et donne la vision turque de la géopolitique mondiale et particulièrement à l'attention du public en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne », à l'instar de pays occidentaux, pourrait-on ajouter, tels que la France avec les réseaux de l'AFP et de France 24 notamment, de l'Allemagne avec la Deutsche Welle (DW), du Royaume-Uni avec la BBC Africa, ainsi que de la Chine et de la Russie.


« Cette soft policy se confirme par l’attractivité de son modèle universitaire et économique qui attire désormais de plus en plus de jeunes africains en Turquie », constate Emmanuel Dupuy.


Il est également important de rappeler le soutien humanitaire de la Turquie aux nations africaines, à travers ses agences gouvernementales et ses ONG agissant dans les domaines de l'aide alimentaire, de soutien et de formation médicale, de dons de vaccins et équipement dans la lutte contre la Covdi-19, ainsi que dans l'éducation des jeunes et la formation des adultes, notamment en faveur du gain d'autonomie des femmes africaines.



- Superposition du « hard power » au « soft power »


Selon le président de l'IPSE, la Turquie cherche autant à développer sa soft power que renforcer ses relations économiques et militaires » avec l'Afrique.


Selon Elem Eyrice Tepeciklioğlu, « La politique africaine de la Turquie s'est d'abord développée sur des éléments de soft power, mais récemment, la Turquie a adopté une approche dotée également de hard power alors que les questions de coopération militaire et de vente d'armes gagnent en importance ».


« Je pense que la présence militaire de la Turquie en Afrique a attiré l'attention des puissances étrangères traditionnellement présentes sur le continent, notamment en raison de l'intervention en Libye, du centre de formation militaire établi en Somalie et de la récente vente d'armes de drones aux pays africains », mais aussi de véhicules autonomes (drones terrestres) de déminage vendus par Ankara à des pays comme le Burkina Faso et le Togo.


« D'autre part, l'augmentation des exportations d'armes et véhicules militaires en lien avec le développement de l'industrie de défense de la Turquie donne aux pays africains un avantage pour diversifier leurs sources d'approvisionnement dans ce domaine et d'équilibrer les relations avec leurs partenaires traditionnels », estime la chercheuse turque.


« Le fait que le premier élément de la déclaration acceptée à l'issue du sommet soit « la paix, la sécurité et la justice » le confirme. Cette même déclaration souligne également que la Turquie est prête à soutenir les pays africains dans la lutte contre le terrorisme », rappelle l'académicienne.


Le premier ministre nigérien, récemment interrogé par l'Agence Anadolu (AA)[2], a estimé que son pays avait besoin de l'aide de la Turquie dans ce domaine.








Hichem Ben Yaïche est expert en géopolitique et rédacteur en chef de NewAfrican à Paris

Emmanuel Dupuy est président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)

Elem Eyrice Tepeciklioğlu est professeure au Centre de recherche et de mise en œuvre du droit international, à l'Université Yaşar, en Turquie




Notes :


1. L'Agence Anadolu se donne pour mission d'informer avec objectivité.



2. Mahamadou Ouhoumoudou: "le Niger a besoin de l'expérience de la Turquie dans la lutte contre le terrorisme" – Agence Anadolu – 22 décembre 2021

https://www.aa.com.tr/fr/afrique/mahamadou-ouhoumoudou-le-niger-a-besoin-de-lexpérience-de-la-turquie-dans-la-lutte-contre-le-terrorisme/2454954


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