Hakan Fidan : « Nous devons travailler sur des alternatives pour garantir la prévisibilité du commerce international »
- "Pour renforcer la confiance et assurer une plus grande prévisibilité dans le commerce international, il est plus nécessaire que jamais de coopérer sur des initiatives alternatives.", déclare le MAE turc

Ankara
AA / Ankara / Büşranur Keskinkılıç, Muhammet Tarhan
Le chef de la diplomatie turque a souligné que les récents événements internationaux ont mis en lumière l’importance stratégique des transports, dans un contexte géopolitique qui place l’énergie, la connectivité et la numérisation au cœur de la politique étrangère.
S’exprimant lors du panel intitulé « L’avenir de la connectivité mondiale dans un monde fragmenté » dans le cadre du Forum mondial des corridors de transport au Centre des congrès d’Istanbul, Fidan a insisté sur le rôle central que jouent les infrastructures et la connectivité dans les relations internationales.
« Ces domaines ne relèvent plus uniquement du commerce, des affaires ou du développement. Ils sont désormais au premier plan de la politique étrangère », a-t-il affirmé.
Il a rappelé que les bouleversements géopolitiques récents ont encore accru la valeur stratégique des questions liées aux transports et aux infrastructures. « Sans coopération, les instabilités que nous vivons aujourd’hui risquent d’avoir des répercussions négatives à long terme sur les investissements mondiaux dans les transports et sur la sécurité énergétique », a-t-il averti.
« C’est pourquoi nous devons aujourd’hui plus que jamais unir nos forces pour promouvoir des initiatives alternatives, renforcer la confiance mutuelle et améliorer la prévisibilité dans le commerce international », a-t-il poursuivi.
Fidan a également souligné que la Türkiye est particulièrement bien placée pour jouer un rôle de premier plan dans ce processus. « Tout d’abord, la Türkiye est un partenaire fiable. Par sa position géographique, sa capacité industrielle et commerciale, et son engagement en faveur de la paix et de la stabilité dans la région, elle est un acteur incontournable », a-t-il expliqué.
« Située au carrefour stratégique de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique, la Türkiye assure un accès privilégié aux marchés mondiaux », a-t-il ajouté.
Enfin, il a rappelé les investissements massifs réalisés sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan, soulignant que « près de 200 milliards de dollars ont été investis dans les infrastructures au cours des 20 dernières années ».
« Nous avons fait de la connectivité continue une priorité. C’est pourquoi nous soutenons les projets qui construisent, au sens propre comme au figuré, des ponts entre la Türkiye et ses partenaires dans le monde », a-t-il déclaré.
À ce titre, il a mis en avant le Corridor central – ou Corridor de transport international transcaspien – qui relie la Chine à l’Europe via l’Asie centrale, la mer Caspienne et la Türkiye, en tant que route la plus efficiente.
« Ce corridor jouera un rôle essentiel dans les connexions futures et offrira des avantages à tous les acteurs impliqués », a-t-il conclu.
- « Nous travaillons au lancement de la “Route du développement” »
Le ministre turc des Affaires étrangères a souligné que les avantages du Corridor central apparaissent encore plus clairement à la lumière des risques géopolitiques croissants liés à la guerre en Ukraine, ainsi qu’aux tensions actuelles en Palestine, au Liban, en mer Rouge et en Iran.
« Le Corridor central offre aux pays situés le long de cette route une opportunité de développement économique et de diversification du commerce », a-t-il affirmé.
Fidan a également précisé que cette voie permet le transport des marchandises avec rapidité et efficacité, ce qui en fait une option logistique stratégique.
Il a mis en avant le rôle essentiel de la ligne ferroviaire Bakou-Tbilissi-Kars dans ce corridor, soulignant qu’elle est le fruit d’une coopération trilatérale exemplaire entre la Türkiye, l’Azerbaïdjan et la Géorgie.
Afin de maximiser son potentiel, Fidan a estimé qu’il fallait poursuivre les efforts communs pour accroître son efficacité. Il a par ailleurs rappelé les avancées notables de ces dernières années pour aligner l’initiative du Corridor central transcaspien avec le projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie.
« Nous espérons faire progresser cette coopération avec la Chine dans un esprit de bénéfices mutuels pour toutes les parties », a-t-il ajouté.
Selon lui, le Corridor central représente une alternative fiable traversant le Caucase, la mer Caspienne et l’Asie centrale. « En parallèle, nous travaillons au lancement d’un deuxième projet : la Route du développement », a-t-il annoncé.
En effet, ce projet vise à créer un axe Nord-Sud, reliant le Golfe à l’Europe.
- « Le Corridor central et la Route du développement contribueront à la prospérité »
Le chef de la diplomatie turque a précisé que le projet démarrera depuis le port d’Al-Faw en Irak et comprendra la construction de chemins de fer, de routes et de lignes énergétiques à travers l’Irak, la Türkiye, puis vers l’Europe.
« Ces deux projets – le Corridor central et la Route du développement – renforceront la connectivité, favoriseront les investissements conjoints majeurs et généreront de nombreuses opportunités d’affaires tout au long des itinéraires », a déclaré Fidan.
« Ils permettront également d’établir une liaison directe entre l’Asie centrale et la région du Golfe », a-t-il conclu.
- « Les routes de transport dans le monde sont complémentaires »
Le ministre turc des Affaires étrangères a souligné que l’un des objectifs fondamentaux de la politique étrangère d’Ankara est d’instaurer une zone de paix, de prospérité et de stabilité dans la région. Il a insisté sur le fait que la prospérité joue un rôle clé dans le maintien de la sécurité et de la stabilité.
« Dans un monde où le volume du commerce mondial ne cesse de croître, nous considérons les routes de transport comme des réseaux complémentaires au sens large », a déclaré Fidan.
Dans cette optique, il a rappelé que la Türkiye développe de nouveaux partenariats, et qu’elle est récemment devenue partenaire stratégique de l’Initiative des Trois Mers.
Mentionnant des projets tels que Via Carpathia et Rail Baltica, Fidan a indiqué que ces initiatives reflètent la volonté commune de renforcer les interconnexions. Il a aussi souligné que l’expérience de la Türkiye dans les partenariats public-privé contribuera activement à la mise en œuvre de ces projets.
- « Nous poursuivrons nos investissements dans les infrastructures »
Le ministre a fait part de l’enthousiasme d’Ankara à travailler avec ses partenaires européens dans le cadre de cette initiative.
Rappelant l’importance des synergies entre pays en matière de connectivité, il a noté que ces coopérations ouvrent la voie à de nombreuses initiatives et projets, notamment dans les domaines du transport et de l’énergie. Il a précisé que de tels corridors ne peuvent voir le jour qu’à travers une coopération étroite entre États, mais aussi entre les secteurs public et privé.
Réaffirmant l’engagement de la Türkiye, Fidan a conclu :
« Nous sommes déterminés à poursuivre nos investissements dans les infrastructures et à adopter les réformes nécessaires pour faciliter la circulation des marchandises. Par ailleurs, nous continuerons à soutenir les efforts de nos voisins et partenaires. »
- « Une grande partie de notre diplomatie repose sur la médiation »
Le ministre turc des Affaires étrangères a souligné le rôle de la Türkiye en tant qu’acteur de paix et de sécurité dans la région, en déclarant :
« Quand nous observons notre environnement régional, nous voyons de nombreux conflits, guerres et occupations. Il est difficile d’y distinguer des évolutions positives. La majorité de nos efforts diplomatiques s’articule donc autour de la médiation. »
Il a expliqué que l’objectif principal est de réduire les tensions pour instaurer un climat plus apaisé, propice à la connectivité et au commerce :
« La connectivité est essentielle pour renforcer les liens entre pays et régions. C’est pourquoi chaque projet d’infrastructure doit aussi viser à instaurer la confiance, favoriser la paix et promouvoir la prospérité dans une région morcelée. »
Fidan a salué l’Initiative de la Route du développement, précisant qu’elle a été proposée par le Premier ministre irakien Mohammed Shia al-Sudani et soutenue dès le départ par Ankara.
« Le président Erdogan croit en l’importance de la coopération régionale et de la gestion locale des problèmes. Il estime que la paix et le développement durables passent nécessairement par une appropriation régionale », a-t-il affirmé.
Rappelant l’instabilité persistante en Irak au cours des deux dernières décennies, Fidan a souligné l’importance de cette initiative :
« C’est la première fois depuis longtemps qu’un projet positif et régional est proposé par l’Irak, et il représente une opportunité précieuse pour nous tous. »
Il a précisé que ce projet ne se limite pas à des infrastructures routières ou ferroviaires, mais inclut également des connexions numériques comme les réseaux de fibre optique.
« Si nous parvenons à achever ce projet, nous renforcerons la connectivité et créerons une dynamique positive dans une région marquée par les divisions. Quand on regarde à l’est, à l’ouest, au nord ou au sud, les 20 dernières années ont été marquées par des guerres et des conflits. Grâce à notre leadership politique, la Türkiye a su rester à l’écart de ces violences. Mais l’environnement régional continue d’impacter notre commerce, notre économie et nos affaires », a-t-il ajouté.
Fidan a indiqué que, dès sa prise de fonction, ses premières mesures ont porté sur la connectivité, le commerce et le développement dans la région.
« Cela crée une interdépendance bénéfique pour tous, une véritable approche gagnant-gagnant. Et j’y crois profondément », a-t-il affirmé.
- L’impact des guerres sur les routes commerciales
Évoquant le conflit en Ukraine, Fidan a rappelé que la guerre entre Kiev et Moscou a fortement perturbé les réseaux de transport et d’énergie, affectant la connectivité globale.
Il a reconnu que de nouveaux projets sont en discussion pour contourner les perturbations, mais a souligné que leur mise en œuvre exige du temps et des ressources considérables.
Concernant Gaza, Fidan a appelé à l’arrêt immédiat des attaques israéliennes et au respect des besoins humanitaires fondamentaux des civils.
« Notre priorité est de faire cesser cette guerre », a-t-il insisté.
Il a précisé que les routes commerciales dans la région sont directement impactées par les conflits armés.
Enfin, interrogé sur les éventuelles conséquences d’un futur conflit sur le canal de Suez ou le détroit d’Hormuz, Fidan a mis en garde contre les effets déstabilisateurs des guerres sur les mécanismes de coopération régionale.
* Traduit du Turc par Adama Bamba