En Côte d'Ivoire, des académies de foot sont l'exutoire de la précarité
Créé en 2009, l'académie Cissé Karim d'Abidjan s'est muée en centre social sous couvert de pratique sportive.

AA/ Abidjan/ Issiaka N'guessan
Abobo, un des dix quartiers de la ville d'Abidjan, capitale économique ivoirienne. Sur un vaste terrain sans gazon, en une matinée de juillet, ils sont plusieurs dizaines, minimes, cadets et juniors, à faire leur entrée, petit à petit, à courir dans tous les sens, sous un soleil de plomb, après des ballons à l'état inquiétant.
Pas loin du terrain, aux dimensions réajustées, se tient un trentenaire guettant les moindres gestes de ces jeunes. Bruno Konan Koffi est un entraîneur professionnel. En matière de promotion par le sport, ce coach dit savoir de quoi il parle.
"Quand je vois ces petits, plein d'énergie et d'intelligence, la solution qu'on doit leur trouver s'impose par sa simplicité. Au centre, nous imposons une assiduité à l'école. Des enfants qui ne voulaient plus aller aux cours y sont retournés, puisque c'est la condition pour jouer ici" indique à Anadolu le jeune entraîneur ivoirien.
Environ 200 jeunes garçons, constituant l'ensemble des élèves de cette académie de football, continuent de s'échauffer, certains font le tour des deux vastes terrains et commencent des mini-parties de jeu. Pour Koffi, qui ne cache pas sa fierté, leur niveau est "très satisfaisant". C'est que l'accès au centre de formation "Académie Cissé Karim" (ACK) se fait "sur la base du seul critère du talent".
Entre temps, cette Académie Cisse Karim, créée en 2009, s'est également muée en centre social sous couvert de pratique sportive. "Très souvent, le talent est associé à une forme de hargne, d'agressivité, qui n'est finalement que la volonté de dépasser sa condition, et c'est pour cela que talent et précarité se retrouvent, assez souvent, chez une même catégorie de personnes", explique le coach, philosophe.
"Il est devenu comme mon père" lance Frédéric Brou Koffi, 17 ans, en parlant de Koffi. Avec une mère malvoyante et trois petites soeurs, cet orphelin de père est "le seul espoir de la famille", ainsi qu'il se définit lui-même. Il rêve de mettre son talent en jeu pour subvenir, plus tard, aux besoins de sa famille, en devenant joueur professionnel.
Frédéric se souvient bien du cas de certains de ses collègues "académiciens" qui ont été cédés à des clubs populaires locaux, comme l'Asec Mimosas évoluant en Ligue 1 ivoirienne.
"Encore faut-il s'accrocher" poursuit-il. C'est que le quotidien n'est pas facile dans cette académie aux faibles moyens financiers, qui ne survit que grâce à "la débrouillardise" de son président-fondateur, Cisse Karim.
"C'est une amie restauratrice qui sert de la nourriture aux enfants, des plats sans protéines de 200F CFA (moins d'un 1 USD) matin, midi et soir" indique le président-fondateur de l'Ack.
"Elle sait que le jour où ça ira, elle ne sera pas oubliée, je rembourse un peu mais elle ne me met pas la pression" poursuit ce simple particulier, chauffeur de taxi de profession et passionné de football, qui dit avoir ,d'abord, lancé ce projet pour sortir sa famille du dénuement.
Depuis, il ne s'est pas particulièrement enrichi, puisque les seuls revenus du centre consistent dans "l'aide sporadique de quelques mécènes et la modique somme de 20.000 F CFA" (33 USD) dont s'acquitte chaque élève pour une formation qui s'étend sur plus de 5 ans. Des frais dérisoires à comparer avec ceux pratiqués ailleurs, dans plusieurs dizaines d'académies d'Abidjan, où ça peut atteindre la barre des 200 000 F FCA (330 USD).
"On a des enfants issus de milieux pauvres. Le quotidien est difficile mais chacun vit d'espoir. Si ce n'était que pour le salaire je serais parti depuis longtemps, les ballons sont délabrés, il faut attendre longtemps les mécènes pour avoir de nouveaux ballons" se plaint l'entraîneur Bruno Koffi.
"Mais nous faisons une oeuvre de bienfaisance et c'est ce qui nous aide à tenir ! Avec le football nous empêchons ces enfants de sombrer dans la délinquance puisque toute leur énergie est mise dans le jeu" soutient le coach, enthousiaste.
"Chacun fait ce qu'il peut ! renchérit Karim Cissé, en ce qui me concerne, j'héberge chez moi cinq jeunes orphelins dont j'assure la scolarité."
"Mon papa est au chômage et ma mère vend de l'attiéké (semoule de manioc cuite à la vapeur d'eau). Je veux devenir un joueur professionnel comme Bony Wilfried [international ivoirien, ndlr] mon idole. J'allie sport et études car je me dis que l'un ou l'autre me permettra une réussite sociale un jour" lance le petit Bamba Alassane, 14 ans, académicien heureux d'avoir pu décrocher, récemment, son brevet d'études du premier cycle (Bepc).
C'est que l'Académie, par sa vocation pédagogique et sociale, ne promet pas uniquement les portes d'une carrière professionnelle dans le football, mais offre, le cas échéant, à ses élèves, à travers les valeurs du savoir, de la discipline et du vivre ensemble qu'elle inculque, les rudiments de la réussite dans n'importe quelle carrière.
Pendant la séance d'entraînement, arrive Coulibaly Moussa N'golo, étudiant dans une grande école. Lui et son frère Coulibaly Wagninrin, devenu gendarme, ont appris les rudiments du football dans cette académie.
"Dans une semaine, nous finissons les cours, je compte venir jouer avec l'Académie qui passe au statut de club et participera au championnat national prochain" soutient le jeune étudiant, sous le regard bienveillant de son frère aîné.