Les blouses blanches et la prison: L'autre "combat" qui se joue en Tunisie

Ankara
AA/ Tunis/ Afef Toumi
Plusieurs médecins tunisiens ont été incarcérés, cette année, en raison d'erreurs médicales. Ces erreurs ont été imputées, par la justice, à des "fautes professionnelles". Mais les "fautifs" ne s'y reconnaissent pas, souvent.
Insurgés contre le sort qui leur est réservé par la loi tunisienne en cas de fautes mortelles, les blouses blanches se mobilisent pour l'adoption de la loi de la responsabilité médicale. L'objectif étant de déterminer les prérogatives et les droits des médecins dans un cadre légal qui prend en considération la spécificité du métier.
Le mouvement dans la rue, aux alentours de la Faculté de Médecine de Tunis et des Centres Hospitalo-Universitaires du centre de la capitale, était lent à prendre forme, contrairement à d’habitude.
Mercredi était le premier jour de la grève de tout le cadre médical et paramédical, ainsi que des pharmaciens et des dentistes. Jusqu’à midi, on observait à peine une ou deux blouses blanches.
Les représentants syndicaux du secteur de la santé en Tunisie étaient en réunion avec le ministre Tunisien de la Justice, Ghazi Jeribi, négociant une initiative législative transitionnelle protégeant le corps soignant des mises en détention, sans expertise ni vérification, en attendant l’adoption de la loi sur la responsabilité médicale, a fait savoir à Anadolu, Jed Henchiri, Secrétaire général du Comité Fondateur de l’Organisation Tunisienne des Jeunes Médecins (OTJM).
Jed, qui représentait l’OTJM dans cette réunion, a souligné que l’on vise à sensibiliser la partie judiciaire de la spécificité de notre métier et de la nécessité de recourir à l’avis des experts, comme appui dans les procès. C’est pour cette raison que l’on propose une initiative législative transitionnelle, une mesure exceptionnelle en attendant l’adoption de la loi sur la responsabilité médicale.
« On l’a fait pour les cas des consommateurs des drogues, pourquoi pas pour les médecins ? », s’est-il interrogé ?.
Il a ajouté que le ministre de la Justice leur a assuré que cette initiative devrait être prise par le ministère de la Santé. « Sans un cadre législatif les protégeant et spécifiant les responsabilités de chaque partie, les médecins et le cadre soignant en général travailleront sous pression et dans un état de stress, ce qui se répercutera forcément sur la qualité du service », a conclu Jed.
Un problème se pose, entre autres, est le fait que les jeunes médecins, internes et résidents, soient les seuls à assumer les résultats des « accidents médicaux », comme tentent de les définir les médecins eux-mêmes. Ils refusent, d’ailleurs, que tout soit classé dans la catégorie des « fautes médicales », sans prise en considération des incidents, des complications, des facteurs incontrôlables par le médecin, au cours de l’acte médical, a expliqué à Anadolu, Malek Ketat, un jeune médecin membre de l’OTJM.
« Il ne faut pas se contenter d’élaborer les lois, il faut trouver les mécanismes pour les appliquer », souligne-t-il. Malek s’est mis, très enthousiaste, à parler des expériences des pays « qui se respectent » et des mesures légales prises au profit des médecins en respectant la spécificité du métier et les accidents qui peuvent survenir involontairement. « Le médecin a toujours l’intention de soigner et de sauver son patient par tous les moyens, mais, jamais l’intention de le tuer », a précisé le jeune médecin.
Il a, entre autres, évoqué, la nécessité d’un statut encadrant et protégeant les internes et les résidents, qui ne bénéficient pas d’un cadre clair d’existence, alors qu’environ 80% de l’activité hospitalière, est portée par eux.
Croisée sur son chemin vers son service, Dr. Hamida Maghraoui, assistante aux urgences de l’hôpital « La Rabta » a indiqué à Anadolu avoir assuré, malgré la grève, les soins aux urgences.
Elle a expliqué qu’aux plans disciplinaire et ordinal, la responsabilité est personnelle. « Au plan pénal, la responsabilité est purement personnelle car il s’agit d’une plainte déposée contre le résident ou l’interne en personne, à moins que la plainte ne soit déposée contre l’institution. Dans ce cas, c’est le médecin sénior qui assume », enchaîne Dr. Maghraoui.
« Nous, les séniors, nous sommes pour la protection des plus jeunes. Les gens qui sont sous notre responsabilité dans une garde, nous sommes appelés à les encadrer et à les corriger, mais, il se passe que certains prennent des décisions sans passer par leurs séniors. Dans ce cas, il n’est pas possible de les couvrir», souligne Dr. Maghraoui.
Ce jour même, en parallèle à notre entretien, Dr. Slim Hamrouni, médecin anesthésiste de Gabès (Sud), a été condamné à une année de prison pour homicide involontaire, dans l’affaire de la transfusion d’une quantité de sang incompatible, ayant engendré le décès de son patient. Ce verdict a provoqué la « révolte » des médecins et pourrait les pousser à observer une grève ouverte, considérant que c’était injuste de ne pas prendre en considération l’expertise, assurant que le médecin n’a pas commis de faute médicale.