Politique

Tunisie- Youssef Chahed : Un Premier ministre désarmé face à la protesta sociale

Hatem Kattou  | 09.05.2017 - Mıse À Jour : 09.05.2017
Tunisie- Youssef Chahed : Un Premier ministre désarmé face à la protesta sociale

Tunis

AA/Tunis/AfefToumi

Les protestations sociales en Tunisie ont repris crescendo, depuis quelques mois. Plusieurs régions du pays,, notamment, Tataouine dans le Sud, sont révoltées et se sont «embrasées» pour revendiquer leur part au développement.

Le Premier ministre tunisien Youssef Chahed n’a pas manqué de réactivité et s’est déplacé vers deux de ces régions, Sfax et Tataouine.

En effet, Youssef Chahed a effectué, récemment, deux visites successives, dans ces régions secouées par des tensions. La première à Sfax, généralement baptisée capitale économique de la Tunisie, tandis que le deuxième déplacement l’a emmené à Tataouine, région où sont implantées plusieurs compagnies pétrolières.

Emporté par la volonté d’apaiser les tensions, Youssef Chahed s’attendait à ce que toutes les parties applaudissent son héroïsme, mais finalement, il s’est avéré que le Premier Ministre tunisien ne bénéficiait pas du soutien, politique et social s’entend, et n’avait assez de moyens efficaces d’agir. Chahed (témoin), devait témoigner et se résigner à ce qu’il ne dispose pas des moyens de sa politique.

Il visait à absorber la colère des habitants protestataires, en leur promettant une série de mesures en faveur de leurs régions.

A Sfax, la visite était plutôt satisfaisante, voire réussie. La ville s’est calmée dès lors que les promesses faites par Chahed étaient réalisables.

Toutefois, l’affaire n’était pas aussi simple dans la région de Tataouine. Ses habitants, qui observent un sit-in dans la ville chef-lieu de la province éponyme, depuis plus d’un mois, et dans la zone d’el-Kamour (zone pétrolière située à 120 Km de la ville) n’ont pas été très chaleureux en accueillant la délégation gouvernementale. Dix ministres accompagnaient Chahed dans son déplacement.

A Tataouine, tous les courants et les partis politiques étaient solidaires. Les bases de la majorité des partis ont pris part aux manifestations, encouragées et soutenues par les bureaux régionaux de ces formations.

Plus étonnant encore, le parti Ennahdha (coalition au pouvoir), a rejoint la position de l’opposition et a soutenu officiellement les protestations et les revendications à Tataouine.

Une explication plausible à cette position consiste au fait que les habitants de la région subissent tous le même sort et se sont retrouvés unis pour la même cause, indépendamment de leurs tendances politiques.

Ainsi, Chahed s’est trouvé lors de sa visite livré à lui-même pour faire face à des milliers de protestataires qui l’attendaient de pied ferme, l’obligeant même à écourter sa visite. Il devait réussir, accompagné de ses ministres, à rendre l’espoir à une ville du Sud tunisien, qui survit, théoriquement, de l’activité des sociétés pétrolières. Concrètement, les habitants de Tataouine souffrent du chômage, des mauvaises conditions de vie et de l’absence de projets de développement.

La colère des habitants, légitime par ailleurs, est la résultante d’une patience qui s’est avérée infructueuse. Le gouvernement d’Union nationale, conduit par Youssef Chahed, a donc voulu briser la règle et faire l’exception en étant un gouvernement proche du peuple et à l’écoute de ses soucis.

Sauf que ces protestations ont émergé « au mauvais moment ». En parallèle, Chahed était préoccupé, avec son équipe ministérielle, par la mise en place de stratégies de sauvetage de l’économie tunisienne, toujours en crise.

D’ailleurs, le glissement du dinar par rapport aux monnaies de référence, l’euro et le dollar, a fait «la UNE», durant la semaine écoulée, à côté du débat engagé autour du déficit de la balance commerciale par rapport aux grands pays exportateurs vers la Tunisie.

S’ajoute à ces indicateurs économiques inquiétants, un taux de chômage élevé, tout particulièrement dans les régions de l’intérieur. En effet, il ressort des chiffres de l’Institut National Tunisien de la Statistique (INS) que le taux de chômage parmi les diplômés de l’enseignement supérieur a dépassé 30%, en 2016.

Cependant, cette question n’a pas encore été prise au sérieux par le gouvernement et une solution efficace pour résorber le chômage dans les régions, à travers, notamment, les investissements, prendrait, semble-t-il, plus de temps que prévu.

C’est ce qu’ont déduit les jeunes chômeurs dans les régions, plus ou moins éloignées de la capitale Tunis. Manifester dans la rue demeure l’unique choix de ces gens désespérés devant un gouvernement faisant la sourde oreille à leurs revendications.

Au Kef (Nord-ouest), à Kairouan (Centre) ou encore à Sfax et à Tataouine (Sud), pour ne citer que ces régions, les protestations sociales ont réussi à secouer le gouvernement. Mieux encore, son chef en personne s’est déplacé, tout confiant, en vue de diagnostiquer la situation de près.

Chahed a porté la casquette du sauveur et est parti transmettre «de main en main» les mesures prises au profit de Tataouine. Mais en si peu de temps, quelles mesures pourraient répondre aux attentes de cette région et exaucer les vœux de leurs habitants ?

Ces mesures, qui impliquent le renforcement de l’existence des sociétés pétrolières dans la région, n’ont pas répondu aux attentes des protestataires. Ces derniers ont déduit que le gouvernement ne prend pas au sérieux leurs revendications.

Ils ont considéré que les décisions relatives à l’emploi demeurent et ne sont pas fixées par des échéanciers préetablis , d’autant plus qu’elles n’imposent aux sociétés pétrolières aucune mesure d’urgence.

En effet, les 64 mesures sont réalisables, au mieux, sur le moyen terme. En attendant, les habitants devraient, encore, s’armer de patience.
Pourtant, Youssef Chahed assure que cette région du Sud est prioritaire au niveau du plan quinquennal de développement, « mais, pas au point d’y agir avec une baguette magique ». C’est l’expression préférée des responsables tunisiens, voulant argumenter leur inefficacité.

Finalement, le Premier ministre a échoué à absorber la colère des protestataires. Il est tout simplement désarmé face à ces protestations sociales et s’est juste hâté de se montrer réactif et soucieux du peuple.

Défendu uniquement par ses ministres et conseillers, Youssef Chahed n’a réellement rien porté, dans sa visite. Il n’a fait que reformuler les points, déjà mentionnés, dans le plan de développement. Il s’agit d’une constatation faite dans plus d’un débat médiatique au sujet des protestations de Tataouine.

En toute franchise, Mehdi Ben Gharbia, ministre auprès de la présidence du gouvernement, a déclaré dans une chaîne tunisienne privée, que la revendication de 20% des revenus de la production pétrolière pour le développement à Tataouine est inadmissible.

D’un autre côté, les partis politiques, y compris le parti Ennahdha, ont tous exprimé, dans des communiqués officiels, leur soutien inconditionnel aux protestations des habitants de Tataouine, considérant que leurs revendications sont tout à fait légitimes.

A citer le communiqué cosigné par Ennahdha et un nombre de partis de l’opposition ainsi que des organisations telles que l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat UTICA), appelant le gouvernement à trouver les solutions adéquates dans de brefs délais.

La preuve de l’échec de la visite de Youssef Chahed, sur tous les plans, était visible avant même son retour à la Capitale. Les protestataires ont repris leurs sit-in, dans les villes et en plein désert du gouvernorat de Tataouine.

In fine, Youssef Chahed se trouve désarmé à double titre. Le premier motivé et justifié par une conjoncture économique des plus délicates et somme toute objective, au vu des difficultés endogènes et exogènes qui entourent le pays, et une relance qui tarde à venir.

De plus, le jeune Premier ministre est affaibli par un manque de soutien franc et direct par ses « mentors » et par les partis politiques, tout particulièrement, ceux faisant partie du gouvernement « d’Union » ainsi que par les parties signataires du Document de Carthage, document qui lui avait balisé la voie de Carthage à la Kasbah, siège de la Présidence du gouvernement, où il avait été « intronisé », en août dernier, succédant à un autre Chef de gouvernement, Habib Essdid, « affaibli et désarmé ».

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