Tunisie: des jeunes ont la tête ailleurs, d’autres à contrecœur
Beaucoup de jeunes prévoient de boycotter, comme aux législatives, le second tour de l'élection présidentielle, tandis que d'autres prévoient de s'acquitter de leur devoir, à contre-cœur pour un certain nombre.

AA/Desk/Esma Ben Said
A moins de 48 heures de la première élection présidentielle libre en Tunisie, des jeunes tunisiens interrogés par Anadolu semblent partagés entre l’envie de boycotter un scrutin auquel ils ne s’identifient pas, et la responsabilité de faire valoir leur droit de citoyen, à la veille d’un événement historique et décisif pour l’avenir de leur pays.
Pourtant conscients de l’importance de leur voix, beaucoup de jeunes rencontrés dans les rues de Tunis affichent un désenchantement réel face à l’échéance électoral qui partagera les deux candidats de ce second tour, Béji Caied Essebsi et Mohamed Moncef Marzouki.
« Je n’ai jamais voté de ma vie et je ne voterais pas à l’élection présidentielle car en y réfléchissant, je ne trouve aucune bonne raison de le faire. Les politiciens n’ont que faire de nous et bien nous aussi nous n’avons que faire d’eux, c’est pourquoi beaucoup d’entre nous ne votons pas d'ailleurs», déclare Saber, jeune coiffeur de 24 ans.
« Je n’ai pas voté, et je ne vois pas pourquoi je le ferais. Le pays est fatigué, les jeunes sont fatigués, il n'y a que le chômage et pas d'avenir pour nous » lance pour sa part Mohamed, qui ajoute qu'à 22 ans, il n'est parvenu qu'à travailler «une semaine dans sa vie ».
« Moi ça ne m’intèresse absolument pas de voter. Je préfère encore travailler pour gagner mes 15 dinars par jour plutôt que de perdre une journée à choisir un candidat qui, de toute manière, se fiche bien de mon avenir », surenchérit Faycal.
« Tous les jeunes qui n’ont pas voté, c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé de candidats en qui croire, ni de gouvernement valable. Aux élections législatives j'aurais voulu voter, mais je n’ai trouvé personne qui m'a convaincu. Pour l'élection présidentielle c'est pire encore et je me rends compte que ma vie est très éloignée de la réalité de la politique », lâche Nidhal dans un haussement d'épaule.
« Nous n'avons rien à tirer des politiciens. Les grands jouent en haut et nous nous sommes encore en bas », conclu-t-il, las.
Pour Emna, étudiante de 20 ans, ce boycott est tout à fait compréhensible. « Beaucoup de jeunes n’ont pas la foi politique à cause de l’ancien système et garde à l’esprit que tout ça n’est qu’une grosse mascarade à laquelle ils ne veulent pas participer » explique-t-elle.
« Pourtant ils ont tort, nous devrions tous voter pour que les choses s’arrangent, et pour tenter de remodeler ensemble notre pays », nuance-t-elle tout en confessant qu’elle n’a toujours pas choisi son candidat.
Hamza, lui, a 28 ans, il est serveur dans un petit café du centre-ville et fervent supporteur de Mohamed Moncef Marzouki. « Je vais voter pour le Docteur. C’est un révolutionnaire ! » déclare-t-il fièrement avant d’expliquer qu’il fera les 350 km qui relient Tunis à Gafsa (sud-ouest), où se trouve son bureau de vote.
« Je suis allé à Gafsa pour les élections législatives et là j’y retourne avec beaucoup de joie car j’aime sincèrement le candidat que j’ai choisi », poursuit-il.
Le jeune homme avoue toutefois lui aussi comprendre les jeunes abstentionnistes. « Beaucoup de jeunes ne se sont pas enregistrés (sur les listes électorales ou ils représentent déja deux tiers des électeurs estimés au total à 5.3 millions), parce qu’ils étaient fâchés contre le gouvernement précédent. Ils espéraient tellement de changement après la révolution que la déception a été grande et les a dégoûtés de la politique », a-t-il informé.
Mais rares sont ceux qui, comme Hamza, s’empresseront de rejoindre les urnes. Les rares qui comptent voter dimanche, avoue le faire à contre-coeur.
« J’ai voté au premier tour et je compte aller voter pour le second», assure Nejla, 26 ans, architecte rencontrée par Anadolu sur un chantier. « Mais moi, je voterais blanc car on ne choisit pas entre la peste et le choléra, d’où mon choix de vote et j’invite tous les jeunes citoyens tunisiens à voter, que ce soit pour Caied Essebsi ou Marzouki, ou blanc qui est aussi un choix », ajoute-t-elle.
Hiba, 27 ans, assistante dans un magasin d'optique, votera elle aussi. « Je préfèrerais ne pas voter, mais ne pas le faire c’est laisser le pays entrer de nouveau dans l'instabilité. Alors il faut voter pour celui qu’on estime être le plus capable de gouverner », déclare-t-elle, ajoutant qu'elle ne votera pas pour Marzouki dans lequel elle ne se reconnait pas.
« Notre président idéal c’est le président du peuple, celui qui connait les besoins du peuple, qui connait la faim de celui-ci, celui qui a senti la misère des jeunes. Nous ne cherchons pas un président qui a été militant ou emprisonné, nous voulons un président qui a connu le chômage et la misère et qui sera capable de nous comprendre. L'un des nôtres », ajoute la jeune fille.
Les élections législatives et le premier tour de la présidentielle ont enregistré une faible participation des jeunes (- de 20 % dans la catégorie des moins de 30 ans enregistrés, selon des chiffres officiels), ce qui révèle l'expression d'une déception face à la non concrétisation des aspirations révolutionnaires, notamment celle de l'emploi, à l'orgine de la révolution de janvier 2011, selon les observateurs.
Mardi, cinq ONG tunisiennes agissant en majorité dans le domaine de l'observation du processus électoral, ont invité les jeunes tunisiens à voter en masse au deuxième tour de la présidentielle.
Le second tour de la présidentielle prévu le 21 décembre courant, permettra de départager les candidats de Nidaa Tounes Caied Essebsi (39,46% des voix au premier tour) et Mohamed Moncef Marzouki, candidat indépendant (33,43% des voix).
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