AA / Istanbul / Serap Dogansoy

Dans une tentative de désamorcer la crise politique qui menace son gouvernement, le Premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé ce vendredi matin depuis Matignon qu’il renonçait à recourir à l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le budget. Ce dispositif controversé permet à l’exécutif de faire passer un texte sans vote, sauf en cas de motion de censure adoptée.

« J’ai décidé de renoncer à l’article 49.3. Nous ne pouvons pas passer en force et contraindre les propositions. Le gouvernement déporte davantage de pouvoir à l’Assemblée et au Sénat », a déclaré M. Lecornu, évoquant un « geste » envers les oppositions pour favoriser « le dialogue et le compromis ».

Le chef du gouvernement, qui a reconnu avoir « peu parlé » depuis sa nomination pour laisser « sa chance au dialogue », a appelé chaque formation à « faire un geste » pour « faire avancer le pays ». Il a insisté sur la nécessité de sortir des oppositions « binaires » sur des sujets comme la réforme des retraites ou la fiscalité, promettant de proposer « dans les prochains jours » une liste de ministres prêts à s’engager dans cette « nouvelle méthode ».

La présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a salué un « acte de confiance envers la représentation nationale » qui permettra au Parlement de « débattre pleinement » et de « voter sur les orientations budgétaires ».

L’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, qui avait eu recours à l’article 49.3 au cours de ses 19 mois passés à Matignon, a également réagi sur le réseau social américain X : « Face aux nombreux défis, le Premier ministre a choisi le chemin du dialogue au Parlement. C’est la voie de la co-construction avec les parlementaires dont notre pays a besoin aujourd’hui pour prendre ensemble des décisions responsables au service des Français. »

- Réactions contrastées et scepticisme des oppositions

L’annonce n’a toutefois pas suffi à apaiser les tensions. Plusieurs partis d’opposition ont dénoncé une manœuvre politique, accusant le gouvernement de chercher à gagner du temps sans changer de cap.

Marine Le Pen a jugé que les propositions du Premier ministre étaient « vagues » et « mal calibrées », estimant ne pas « voir la rupture avec le macronisme » à l’issue de leur rencontre.

À gauche, les critiques sont encore plus virulentes. « Ce n’est pas ça qui va changer la vie des gens », a réagi un cadre socialiste, tandis que le sénateur Rémi Cardon dénonçait sur le réseau social américain X un « piège » combinant « deals Macronie-RN » et recours à d’autres outils parlementaires pour « verrouiller le débat ».

La France insoumise (LFI) a d’ores et déjà annoncé qu’elle déposerait une motion de censure « dès la nomination de ce gouvernement illégitime », selon Manuel Bompard. Éric Coquerel a pour sa part fustigé un « accord entre extrême-centre et extrême-droite » visant à faire voter un « budget macrolepeniste ».

- La majorité tente de se ressouder

Dans la majorité, certains saluent au contraire une « clarification ». Aurore Bergé a qualifié la décision de « choix de clarté », tandis que le socialiste François Kalfon y voit une manière de « condamner le camp de la censure ».

Mais la situation politique reste fragile. À la veille d’un « rendez-vous de la dernière chance » avec les socialistes, Les Républicains menacent toujours de ne pas participer au gouvernement. Andrea Kotarac (Reconquête) estime pour sa part que « l’objectif de M. Lecornu n’est pas de faire vivre la démocratie, mais de faire en sorte que les débats s’enlisent ».

Malgré le retrait du 49.3, le sort du gouvernement reste donc incertain. Les débats budgétaires, qui débuteront la semaine prochaine, s’annoncent houleux et pourraient déterminer l’avenir politique de Sébastien Lecornu.