Rafic Hariri : De l’ascension fulgurante à la disparition explosive
- Après avoir fait fortune en Arabie Saoudite, le natif de Saida est devenu cinq fois Premier ministre au pays du Cèdre, avant d’être assassiné, le 14 février 2005, dans l’explosion de 1800 Kg de TNT qui a ciblé son cortège.

Canada
AA / Montréal / Hatem Kattou
Le 14 février 2005, une gigantesque explosion secoue la capitale libanaise, plus précisément, à proximité de l’hôtel Saint-Georges, qui surplombe le littoral beyrouthin, au passage du cortège de Rafic Hariri, cinq fois Premier ministre du pays du Cèdre, provoquant la mort de 22 personnes, dont l’homme politique et par ailleurs richissime homme d’affaires.
Ce n’est qu’un peu moins de dix-sept ans après cet attentat et après moult rebondissements, que l’enquête et le procès, initiés pour sanctionner les auteurs du forfait, ont connu leur épilogue, avec la condamnation d’un individu et l’acquittement de trois autres.
Mais qui était Rafic Hariri, quels faits, gestes et positions aurait-il affiché et qui lui ont valu cette fin horrible et quelles furent les conséquences de son assassinat à l’échelle locale et régionale ?
- Le fils d’un ouvrier agricole devenu multimilliardaire
Natif de Saida, troisième plus grande ville du Liban (sud), en 1944, Rafic Hariri, fils d’un ouvrier agricole, s’est envolé, après l’obtention d’un diplôme en hautes études commerciales de l’Université arabe de Beyrouth, vers l’Arabie Saoudite, où il enseigna les mathématiques, dans un premier temps, avant de se lancer dans le secteur du bâtiment et de la construction pétrolière, dans le riche royaume.
L’homme qui est issu d’un milieu modeste, a connu son véritable envol, en 1977, lorsqu’il réussit, en un temps record, (moins de six mois) à achever une mission qui lui a été confiée par le monarque saoudien, le Roi Khaled.
Il s’agissait de construire le Palais de Taef (ouest), une ville qui sera intimement liée, plus d’une décennie plus tard et à jamais au Liban, dès lors qu’elle abritera la signature de l’Accord éponyme, qui scellera la réconciliation entre les différents protagonistes de la Guerre civile qui a ravagé le pays du Cèdre (1975 – 1990).
C’est cette même fin qui permettra à Hariri, devenu depuis un prospère homme d’affaires propriétaire de sociétés dans le royaume mais aussi en France (Oger international), de s’implanter au Liban, avec son poids financier et une fortune estimée à plusieurs milliards de dollars.
Il s’est, ainsi, lancé dans la reconstruction d’une ville de Beyrouth, largement dévastée par le conflit intestinal, mais aussi pour représenter les intérêts de l’Arabie Saoudite, pays où il a fait fortune et qui lui a permis de diversifier ses investissements (Immobilier, téléphonie mobile, Banque…).
C’est à ce double titre d’homme d’affaires de premier plan et d’homme politique, mais aussi de magnat des médias (Chaîne de télévision Future – al-Moustakbel et Radio Orient à Paris et à Beyrouth) que Hariri, devenu leader du clan sunnite au Liban, assura pendant dix ans, en deux mandats séparés, la présidence de cinq gouvernements (1992 – 1998 et 2000 – 2004).
Notons qu’au-delà de son rôle de « garant » des intérêts saoudiens au Liban, ce pays levantin complexe à l’image de cet « Orient compliqué » où il est situé, en proie aux influences enchevêtrées et inextricables des puissances régionales et mondiales (Iran, Syrie, France, Arabie Saoudite, Etats-Unis), Rafic Hariri disposait de relations privilégiées et de liens assez étroits, voire intimes, avec le Président français, Jacques Chirac (1995 – 2007).
D’ailleurs, et après avoir quitté l’Elysée au terme de son deuxième mandat, Chirac et son épouse Bernadette s’étaient installés dans un duplex parisien de 180 mètres carrés, qui a été mis à leur disposition, à titre gracieux, par Ayman Hariri, un des fils de l’ancien Premier ministre libanais, assassiné trois ans plus tôt.
- La fin brutale d’un politique libanais anti-syrien
La déflagration provoquée par l’explosion du camion piégé, à bord duquel se trouvait une charge de TNT pesant 1,8 tonnes, a mis fin, à 61 ans, de manière brutale et tragique, à la vie de Rafic Hariri, qui avait quitté le « Grand Sérail » (siège de la présidence du Conseil des ministres au Liban), 115 jours plus tôt.
Le contexte politique à l’époque au Liban était extrêmement tendu, un doux euphémisme pour un pays constamment tiraillé entre les conflits internes et les ingérences étrangères depuis plusieurs décennies, et était, notamment, marqué par la volonté du chef d’Etat syrien, Bachar Al-Assad, au pouvoir depuis quatre ans, de maintenir Emile Lahoud au poste de président de la République.
Militaire de carrière, Lahoud, un ancien chef d’état-major de l’armée, était en poste depuis novembre 1998 et son mandat de six ans devait prendre fin en 2004. Il était considéré par de nombreux observateurs comme étant un des hommes fidèles de Damas au Liban.
Rappelant, à ce propos, que la Syrie avait pignon sur rue et dominait la vie politique et sécuritaire au Liban depuis l’intervention de son armée, en 1976, quelque mois après l’éclatement de la guerre civile, et ce à la demande des Chrétiens, bien que les alliances et mésalliances impactées par les changements des rapports de force et des équilibres régionaux, ont fait que Damas était devenu l’allié des chiites, en particulier, la formation du Hezbollah, fidèle allié, à son tour, de l'Iran.
Rafic Hariri faisait partie des hommes politiques qui avaient une aversion à l’endroit de la présence syrienne au Liban et s’opposait à la prorogation du mandat du locataire du Palais présidentiel de Baabda, Emile Lahoud.
Hariri s’employait à unifier les composantes politiques et parlementaires libanaises, qui s’opposaient à la présence syrienne, pour mettre sur pied un « Front de refus » et s’engager résolument lors des prochaines législatives sur la voie de l’émancipation du pays de l’emprise syrienne, ce qui était mal perçu par le pouvoir à Damas.
De plus, Bachar Al-Assad soupçonnait Hariri d’œuvrer, avec l’appui de la France et des Etats-Unis, de vouloir faire voter, par le Conseil de sécurité des Nations unies, une résolution exigeant le départ des forces syriennes du Liban ainsi que le désarmement du Hezbollah, ultra équipé par Téhéran. Cette résolution, qui porte le chiffre 1559, a été, d’ailleurs, adoptée en septembre 2004.
L’ensemble de ces ingrédients ont rendu la situation complexe et tendue et fait que Rafic Hariri était dans la ligne de mire du pouvoir syrien, d’autant plus que durant sa dernière entrevue, en août 2004 à Damas, soit moins de deux mois avant son départ de la Primature, il a été menacé par Al-Assad qui lui a explicitement signifié qu’il envisage en cas de maintien de ses positions, de « briser le Liban sur sa tête ». Des propos confirmés, des années plus tard, par l'ancien Président français Jacques Chirac, un proche de Hariri, dans ses mémoires.
Cela dit, ce faisceau d’indices et ces recoupements font-ils de la Syrie un coupable idéal ?
- Un procès interminable et des conséquences multiples
Quelques mois après l’attentat qui a coûté la vie à Hariri, la Saga judiciaire a été enclenchée lorsque le procureur allemand Dettey Mehlis, mandaté par l’ONU, a réclamé au procureur général libanais de mettre aux arrêts plusieurs hauts responsables sécuritaires locaux.
Le procureur allemand a, dans un rapport remis au Secrétaire général des Nations Unies, Koff Annan, mis en exergue une entente entre responsables sécuritaires libanais et syriens pour éliminer Hariri. Toutefois ce rapport a été récusé après que l’un des principaux témoins se soit rétracté.
L’internationalisation de l’affaire Hariri fut la principale caractéristique d’un dossier qui a été manipulé à souhait avec le changement du procureur en charge du dossier.
Un deuxième procureur, belge cette fois-ci, du nom de Serge Branmertz, un procureur adjoint à la CPI, vient succéder à l’allemand Mehlis à la tête de la Commission d’enquête internationale, qui travaillait théoriquement sous les auspices de l’ONU mais qui était en fait appuyée par la France et les Etats-Unis qui avaient la Syrie et ses alliés au Liban dans le collimateur.
Cette commission qui n’a pas abouti à des résultats significatifs sera remplacée, en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité, le 30 mai 2007, par un Tribunal spécial des Nations unies pour le Liban (TSL) chargé de juger les assassins de Hariri.
L’enquête menée par les forces de sécurité intérieure libanaises aboutit à l’implication d’éléments du Hezbollah, allié de la Syrie et de l’Iran au Liban dans l’assassinat, thèse que réfute la formation chiite qui dit ne pas reconnaître les conclusions et les décisions du Tribunal, estimant que c’est Israël qui est l’instigateur du crime, en présentant des preuves peu solides.
Après le début officiel des travaux du TSL, en mars 2009, à La Haye, le Tribunal a abouti à l’implication du Hezbollah lançant un mandat d’amener contre quatre éléments de cette organisation.
Ce n’est que cinq ans plus tard, soit en 2014, que le Tribunal international ouvre ses audiences, mais en l’absence des quatre individus faisant l’objet d’un mandat d’arrêt.
Au terme de onze ans d’enquêtes et de six ans d’audiences, le Tribunal a prononcé son verdict – rejeté par Hezbollah à la base – déclarant Salim Ayyash, membre présumé du Hezbollah en fuite, coupable de l’assassinat de Hariri, et acquittant les autres prévenus,
Une commission onusienne, un Tribunal international, prés de quinze ans d’enquêtes et six ans d’audiences, des changements intempestifs et des rebondissements à répétition, des arrestations et des libérations, des manipulations politiques, des tiraillements locaux, régionaux et internationaux et autres accusations et contre-accusations et une personne condamnée, tel est le « complexe et maigre » bilan de l’enquête enclenchée après l’attentat qui a visé Rafic Hariri.
Quant aux conséquences de la disparition « explosive » de Rafic Hariri, l’on doit mentionner en premier lieu la « Révolution du Cèdre », cette contestation populaire à large échelle, enclenchée en réaction à sa mort tragique, et qui exigeait le départ des forces syriennes après 28 ans de déploiement, ce qui a été obtenu, à la faveur de pressions étrangères, le 27 avril 2005.
De plus, et lors des élections législatives organisées, deux ans plus tard (juin 2009), les forces politiques libanaises hostiles à la présence de la Syrie ont remporté un franc succès avec 71 députés, soit la majorité absolue des 128 sièges. La coalition victorieuse était conduite par Saad Hariri, fils du président du Conseil assassiné.
L’entrée de Saad Hariri, fils cadet de Rafic, a été aussi une des conséquences de la disparition du patriarche. Né à Riyad en 1970, Saad Hariri, qui détient trois nationalités (libanaise, française et saoudienne) a occupé le poste de président de Conseil à deux reprises, de novembre 2009 à juin 2011 et de décembre 2016 à janvier 2020, date à laquelle il a été chassé du pouvoir sur fond de manifestations populaires supra-communautaires (une fois n’est pas coutume au Liban) de grande ampleur.
Saad a ainsi rejoint dans l’arène politique sa tante Bahia, qui fut députée depuis 1992 et ministre de l’Education et de l’Enseignement supérieur en 2008-2009. Hariri fils est ainsi devenu le chef du clan politique sunnite au Liban (une tradition au Liban avec les familles Gemayel, Joumblat, Franjieh, Karamé, Solh, Chamoun…), mais sans l’aura ni le brio de son père défunt, avant d’annoncer, récemment (janvier 2022) sa décision de se retirer de la vie politique.
Sur un autre plan, l’élimination violente de Hariri a renforcé le hiatus sur la vie politique libanaise, une scène morcelée et tendue à la base, malgré l’Accord de Taef qui n’a garanti la sérénité que pendant quelques années avant le retour en force de conflits entre les camps du 8 mars et du 14 mars.
De plus, et après la Guerre de juillet – août 2006 qui a vu la formation chiite du Hezbollah résister à l’agression israélienne, la puissance de l’allié de l’Iran s’est accentuée avec l’affaiblissement des autres composantes.
Toutefois, et au vu de la crise sans précédent que subit le Liban d’aujourd’hui, une crise multidimensionnelle, mais essentiellement sociale et économique (la pire de son histoire contemporaine), et qui a éclipsé au second plan les considérations familiales, communautaires, religieuses et sectaires, le corollaire aux questions qui hantent les Libanais ne serait pas l’utilité de la présence d’un autre Hariri.
Un Hariri utile avec ses milliards de dollars, mais surtout un Hariri bâtisseur et disposant d’une vision économique claire, un Hariri perspicace avec son « insolente » réussite financière et son carnet d’adresse des plus riches, que ce soit au Moyen-Orient en Arabie Saoudite notamment, ou en Europe, en France en particulier, deux pays où il avait ses entrées chez les hautes sphères économiques et les décideurs politiques, ce qui pourrait s’avérer nécessaire pour redresser un pays en banqueroute et au bord du précipice.