Qui est Mélanie Joly, la quadra aux commandes de la diplomatie canadienne ?

Canada
AA / Montréal / Hatem Kattou
Née en janvier 1979, Mélanie Joly, réélue députée à la Chambre des communes (chambre basse du Parlement Canadien), le 20 septembre dernier, sur une circonscription de la métropole québécoise Montréal, vient d’être nommée par le Premier ministre, Justin Trudeau, à la tête d’« Affaires mondiales Canada ».
Qui est cette « jeune » ministre intronisée à la tête de la diplomatie canadienne, et dont certains de ses détracteurs estiment qu’elle n’a pas « l’envergure et l’étoffe » pour occuper ce prestigieux portefeuille et représenter le pays de l’érable sur la scène mondiale ? Et quel début de réponse a été apporté par Mélanie Joly ?
Après avoir occupé successivement, à l’issue de son élection en tant que députée pour la première fois en 2015, les postes de ministre du Patrimoine et des Langues officielles, du Tourisme et de la Francophonie et du Développement économique, l’avocate de profession, doublement diplômée des Universités de Montréal et d’Oxford, a été choisie par Trudeau fils pour occuper le strapontin des Affaires étrangères.
- Critiques et éloges
Un choix et une désignation qui ont suscité certaines critiques de la part d’observateurs qui ont argué du fait que Mélanie Joly ne dispose pas de « l’envergure » nécessaire pour diriger la diplomatie d’un pays comme le Canada, un des deux géants nord-américains et faisant partie du G20 et du G7.
Cette appréciation sévère a été tempérée par « son bagage en droit qui va lui être utile, ainsi que son passage à la Francophonie, mais la courbe d’apprentissage va être raide », selon Peggy Mason, ancienne ambassadrice du Canada aux Nations unies à New York.
Abondant dans la même veine, Jocelyn Coulon, ex-conseiller à « Affaires mondiales Canada » estime que « Ceux (les ministres des Affaires étrangères) qui sont à la hauteur sont habituellement des gens qui ont un bagage important en relations internationales », fustigeant implicitement le manque d’expérience de la ministre.
Dans le camp « opposé », certaines personnalités n’ont pas tari d’éloges sur Mélanie Joly. Selon Pierre Fitzgibbon, ministre québécois de l’Economie et de l’Innovation, « elle (Joly) est une bonne politicienne qui a beaucoup évolué, et elle est très stratégique. »
Un témoignage qui a son pesant d’or venant d’un responsable provincial, sachant les relations « inamicales » entre les paliers municipal, provincial et fédéral des autorités au Canada.
D’autres observateurs tiennent à souligner que lors de son passage à la tête du ministère de la Francophonie de juillet 2018 à novembre 2019, Mélanie Joly s’est initiée à certaines arcanes de la diplomatie internationale, tissé des liens avec des responsables étrangers et soigné son carnet d’adresses qui lui sera utile « en temps voulu » et ce moment est effectivement venu.
En effet, et immédiatement après sa désignation et lors d’une intervention sur les ondes de « Radio Canada », la nouvelle ministre et autrice en 2015 d’un livre intitulé « Changer les règles du jeu », a lancé qu’elle prenait ses fonctions avec « humilité ».
Elle a ajouté dans un tweet diffusé le jour de sa désignation que « C'est un grand honneur d'être nommée ministre des Affaires étrangères. Alors que le monde change, il nous faudra être stratégique dans nos actions. Nous allons mener nos affaires internationales à l’image des Canadiens: avec humilité et audace ».
- Dossiers et défis
Humilité et audace, surtout de l’audace, c’est ce dont a besoin la troisième femme à être nommée à la tête de la diplomatie du Canada après la conservatrice-progressiste Flora Mac Donald (1979-1980) et la libérale Chrystia Freeland (2017-2019, actuelle vice première-ministre) pour relever les défis auxquels fait face son pays.
En effet, le Canada se doit d’agir et de ne pas se contenter d’être dans une posture de défense voire d’inaction, en particulier lorsqu’il s’agit des relations avec l’allié et ami américain ou avec l’adversaire chinois.
Mélanie Joly sera très attendue concernant le dossier du protectionnisme américain, qui a connu un regain certain, indépendamment du changement des administrations et du passage des Républicains aux Démocrates.
Partageant les plus longues frontières terrestres au monde (9 mille Km environ), le Canada et les Etats-Unis sont liés par des relations économiques des plus étroites, d’où l’impact certain des mesures prises par Washington sur le voisin du Nord.
Quant à la Chine, séparée du Canada par l’Océan Pacifique, les relations ont été des plus tumultueuses durant les années écoulées avec l’arrestation de deux ressortissants canadiens qui ont été libérés immédiatement après la libération de la dirigeante de Huawei dans un épisode où l’alliance indéfectible avec les Etats-Unis et le volet économique s’est mêlé aux vicissitudes judiciaires.
Un écheveau à démêler par la nouvelle ministre pour relancer des relations, notamment économiques, avec un autre géant mondial.
La crise humanitaire en Afghanistan, un pays où le Canada s’y était déployé depuis 2001 avec un contingent militaire important et une présence humanitaire sur le terrain, ainsi que l’aide apportée au développement de nombre de pays pauvres et en voie de développement (une tradition canadienne) fera également partie des dossiers que doit traiter l’ancienne candidate à la mairie de Montréal en 2013, une date marquante de son parcours qui l’a fait connaître au grand public.
- Ascension fulgurante
Celle qui a été nommée ministre pour la première fois à 36 ans a connu une ascension fulgurante depuis, malgré quelques couacs lors de son passage au département du Patrimoine, s’agissant du célèbre épisode raté de la taxe Netflix.
Ses déclarations et ses passages aux médias à cette époque ont provoqué des remous et elle a été même « ridiculisée » ce qui lui a valu d’être « rétrogradée » lors du premier remaniement ministériel opéré par Trudeau. Joly s’est dû se contenter du portefeuille du Tourisme.
N’empêche, « le résultat de son travail acharné » a donné ses fruits, selon les collaborateurs de la ministre qui n’a jamais douté de sa valeur et qui n’a jamais lâché, ce qui a abouti à son « intronisation » à la tête de la diplomatie canadienne.
Les deux prochains mois donneront assurément le la quand la quadragénaire ministre assistera à un Sommet pour la démocratie qui se tiendra à Washington en signe de défi lancé à la Chine.
Le positionnement du Canada par le truchement de la nouvelle cheffe de diplomatie est très attendu d’autant plus qu’Ottawa n’a pas été convié à l’alliance militaire tripartie Aukus initiée par Canberra, Londres et Washington dans le Pacifique et dirigée contre Pékin (épisode des sous-marins français à propulsion conventionnelle).
Le Canada sera-t-il amené à prendre une position tranchante contre Pékin alors que les deux pays viennent de sortir d’une crise de plus de 1000 jours après l’arrestation mutuelle de ressortissants.
Un alignement sur les positions de Washington ou un recentrage sur les intérêts économiques exclusifs d’Ottawa, c’est dire que Mélanie Joly aura à passer un test des plus épineux et périlleux en termes de positionnement sur la scène mondiale.
Le mois d’après, soit le mois de janvier 2022, sera marqué par la tenue d’une conférence d’examen du Traité de non-prolifération des armes nucléaires. Alors qu’une cinquantaine de pays avaient signé le « Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), en janvier 2021, le Canada fera-t-elle partie de nouveaux signataires pour ainsi changer de fusil d’épaule ou pas.
Encore une épreuve pour la nouvelle et « inexpérimentée » jeune ministre avec des conséquences aux plans international et local. Wait and see.