Politique

Présidentielle 2022 : La gauche française résolue à perdre ? (Analyse)

- D’aucuns affirment que les socialistes, les Verts, les partisans de Mélenchon et les communistes verraient cette élection présidentielle comme une occasion de se positionner en vue des législatives prévues en juin 2022.

Fatma Bendhaou  | 21.03.2022 - Mıse À Jour : 21.03.2022
Présidentielle 2022 : La gauche française résolue à perdre ? (Analyse) Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidence du parti La France insoumise

Tunisia


AA / Tunis / Mourad Belhaj

La gauche française, qui dans son ensemble a obtenu de bons résultats aux élections régionales de 2021 et aux élections municipales de 2020, voit les partis qui se réclament d’elle, en particulier les socialistes et les Verts, bénéficier d'un solide ancrage local et être appréciés des électeurs lorsqu'il s'agit de gérer des administrations territoriales. A Paris, la socialiste Anne Hidalgo a été réélue maire face à une droite néo-gaulliste qui demeure bien ancrée dans la capitale.

Au niveau national, cependant, la « gauche au pouvoir » de François Mitterrand, ou encore la « gauche plurielle » de Lionel Jospin, ne sont plus qu'un lointain souvenir, ce qui porte nombre d’observateurs de la scène politique française à avancer que la gauche semble plus préoccupée par ses luttes d’égos que par les enjeux du scrutin présidentiel du 10 avril.

Sauf surprise, au soir du premier tour de la présidentielle, aucun candidat de gauche ne disposera, selon les sondages, de suffisamment de voix pour accéder au second tour. « Il ne restera que des décombres, sur lesquels il sera peut-être possible de reconstruire », commente la politologue Chloé Morin.


** Pléthore de candidats

- Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, avec un long passé au sein du parti socialiste, participe à sa troisième élection présidentielle.

Le septuagénaire a annoncé sa candidature bien en amont, en novembre 2020, avec un programme baptisé « L'avenir en commun » et portant notamment sur la fin du nucléaire, l'investissement dans la transition écologique, bloquer les prix des produits de première nécessité, la retraite à 60 ans, la titularisation des contractuels de la Fonction publique, sortir des traités européens et la convocation d'une Assemblée constituante pour le passage à une VIe République.

Candidat du Front de gauche en 2012, il était arrivé quatrième avec 11 % des suffrages derrière Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou. En 2017, il se présente sous la bannière de la France Insoumise, un mouvement qu'il a créé en 2016, et termine à nouveau quatrième avec 19 % des voix derrière Emmanuel Macron, Marine Le Pen et François Fillon.

Mélenchon est actuellement crédité de 13 % des intentions de vote, ce qui le place en troisième position derrière les deux favoris, Emmanuel Macron et Marine Le Pen.


- Cinquantenaire, membre du Parlement européen, Yannick Jadot est le candidat des Verts après avoir remporté de justesse la primaire du 28 septembre contre Sandrine Rousseau.

Il en est à sa deuxième campagne présidentielle, après s’être effacé en 2017 au profit du socialiste Benoît Hamon, qui n’avait toutefois recueilli que 6% des suffrages.

Après avoir travaillé au sein de diverses ONG, Yannick Jadot se distingue en tant que directeur des campagnes de Greenpeace France de 2002 à 2008. En 2007, il participe à la fondation d'Europe Écologie, une liste qui deviendra plus tard Europe Écologie-Les Verts et qui remportera 16,28 % des voix aux élections européennes de 2009, un résultat historique qui conduira Jadot au Parlement de Strasbourg.

Son programme de 120 points préconise notamment la sortie du nucléaire avec la fermeture de 10 réacteurs nucléaires d'ici 2025 et l'installation de 6 000 parcs éoliens, l’interdiction des ventes de voitures diesel et thermiques classiques à partir de 2030, de même que le rétablissement de l'impôt sur la fortune (ISF) pour les patrimoines de 2 millions d'euros et plus.

Jadot est actuellement crédité de 5% d’intentions de vote.


- Fabien Roussel se présente sous la bannière du Parti communiste, dont il est le secrétaire national. La dernière participation des communistes à l'élection présidentielle remonte à 2007 avec la candidature de Marie-George Buffet, éliminée au premier tour avec 1,93 % des voix, puisqu'en 2012 et 2017, les communistes s'étaient ralliés à Mélenchon.

Ancien journaliste, Roussel est entré en politique à l'âge de 28 ans en tant que conseiller chargé de la communication de la secrétaire d'Etat au Tourisme Michelle Demessine. Élu conseiller municipal en 2014 à Saint-Amand-les-Eaux, il entre au Parlement trois ans plus tard en tant que député du Nord, pour remporter en 2018, la direction du parti.

Son programme "Les jours heureux" préconise notamment la retraite à 60 ans, la réduction du temps de travail à 32 heures, le maintien du nucléaire comme réponse au réchauffement climatique, de même que l’instauration d’une police nationale de proximité avec 30 000 agents, voulant ainsi faire sien le thème de la sécurité, qu'il ne veut « pas laisser à la droite ».

Roussel est actuellement crédité de 4% des intentions de vote.


- La maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, qui avait toujours été réticente à se présenter à l'Élysée est la première femme maire de Paris. Agée de 62 ans, l'ancienne inspectrice du travail franco-espagnole est membre du Parti socialiste depuis 1994. Elle a travaillé dans le gouvernement Jospin, mais s'est fait connaître en 2011 en devenant le bras droit du maire de Paris Bertrand Delanoë.

Son programme en 70 points ambitionne de répondre à « trois urgences : sociale, écologique et démocratique ». Elle veut notamment mettre en place le référendum d'initiative citoyenne (RIC), une des principales revendications du mouvement des « Gilets jaunes », abaisser l'âge du droit de vote à 16 ans et inscrire dans la Constitution l'obligation de lutter contre le réchauffement climatique.

Hidalgo est actuellement créditée de 3% des intentions de vote.


** Une primaire pour rien

Si d'aucuns considèrent que le recul de la gauche dans les sondages peut être attribué à la multiplication des candidats de gauche, il n'en demeure pas moins qu'en 1981, François Mitterrand avait été élu alors même que le communiste Georges Marchais, Huguette Bouchardeau du PSU (parti socialiste unifié), l'écologiste Brice Lalonde et le radical de gauche Michel Crépeau étaient également en lice au premier tour.

Il est vrai que ces temps-là étaient autres. Les socialistes et les communistes avaient en effet signé en 1972 un programme commun de réformes, né dans le sillage de Mai 68, qui allait permettre une refonte de la gauche et jouer un rôle décisif dans la victoire de Mitterrand en 1981.

Christiane Taubira a obtenu la majorité des voix lors des "primaires populaires", devançant Yannick Jadot, deuxième, et Jean-Luc Mélenchon, troisième. Anne Hidalgo, la maire socialiste de Paris, n'est quant à elle arrivée qu'en cinquième position, mais tous les candidats, qui n’étaient pas favorables à cette initiative citoyenne dès le départ, ont déclaré qu'ils resteraient dans la course.

Taubira a, certes, remporté la "primaire populaire" de la gauche française ! Mais le vote n'a pas atteint l'objectif pour lequel il avait été organisé : une candidature unique à la présidentielle.

Pire, la candidate victorieuse a dû se retirer deux jours avant la date de clôture des dépôts des parrainages.

"Il est évident que nous ne réussirons pas à avoir les parrainages", avait alors déclaré l'ex-garde des Sceaux, mettant ainsi fin "à un inutile suspense".

Une primaire qui n'aura ainsi servi à rien, sinon à mettre à nu une gauche sans leadership, à mille lieux des aspirations d’un électorat traditionnel déçu, déstabilisé et que les sirènes populistes ne manquent pas de séduire.

Mieux encore, le collectif à l’origine de la Primaire populaire, qui était censée permettre l'union à gauche, a dû « présenter ses excuses » pour avoir finalement apporté son soutien à Jean-Luc Mélenchon dans la course à l’Élysée, suscitant divisions et départs au sein du mouvement.

Alors même que Christiane Taubira n’a pas (encore) donné de consignes de vote à ses sympathisants, que Mélenchon était hostile à cette initiative et que ce fut l'écologiste Yannick Jadot qui était arrivé second, le collectif explique son choix déclarant : « La Primaire est finie. Il s’agit désormais de parier sur le candidat le plus à même d’arriver au 2nd tour et faire gagner les justices sociales et environnementales en 2022, avec enthousiasme et indépendance ».

Mélenchon étant le mieux placé dans les sondages, le choix semblait pourtant s’imposer de lui-même, mais il semble, comme de coutume, qu’il y ait toujours « quelque chose de pourri au Royaume de la gauche »


** Une gauche laminée par Macron

L’intellectuel Jacques Julliard écrit dans son pamphlet intitulé "Comment la gauche a déposé son bilan" : "Le parti socialiste a abandonné son peuple et ses valeurs".

Bien que métaphorique, le titre renvoie au lot actuel d'un parti qui a dû se séparer de son siège historique de la rue Solferino, dans le septième arrondissement de Paris, pour s'installer dans la banlieue de la capitale, et auquel plusieurs critiques reprochent son attachement au maintien de sa candidate à l'Élysée, qui viserait l’accès au financement public accordé aux partis.

Pour Stéphanie Roza, philosophe politique chargée de recherche au CNRS, interrogée par le quotidien Ouest-France, « il y a de vraies lignes de clivages, sur les questions de la laïcité, sur le nucléaire ou encore sur l'Europe, qui restent importantes chez les candidats ».

Pour d'autres, la gauche, trop indifférente à des questions telles que la sécurité et l'immigration, a perdu une grande partie de son électorat au profit de l'extrême-droite, qui s'est emparée de nombreux fiefs dans lesquels les gens votaient à gauche.

Roza abonde dans ce sens, estimant que la gauche a perdu l’électorat populaire, « en partie, si on en croit les études statistiques », précise-t-elle, soulignant : « Il y a un écrasant poids des abstentionnistes dans l’électorat populaire mais il y a aussi une part importante d’électeurs populaires qui votent pour l’extrême droite et la droite désormais ».

Et d’expliquer : « Dans l’électorat du PS, il y a tout un tas de gens qui ont peur d’une victoire de la droite ou de l’extrême droite et qui se reportent sur Macron. Emmanuel Macron a donc réussi le pari d’assécher l’électorat du Parti socialiste ».

« Mais c’est un peu de leur faute », souligne la chargée de recherche au CNRS, qui explique : « Il faut quand même se souvenir qu’Emmanuel Macron est au départ un ministre de François Hollande. C’est un produit du PS (…) Ils ont ‘’droitisé’’ leur politique et ont habitué leur électorat à une politique libérale jusqu’au moment où quelqu’un de franchement libéral a pris leur place et leur électorat ».


** Les législatives en ligne de mire

Faisant référence à l'élection présidentielle de 1969, Frédéric Dabi, directeur de l'Ifop souligne que : « Même en additionnant les intentions de vote pour les différents candidats, la gauche n'a jamais été aussi faible depuis (le président Georges) Pompidou ».

Dans les sondages, la somme des intentions de vote pour les candidats de gauche se situe sous la barre des 25%, soit moins que les intentions de vote pour les candidats d'ultra-droite Marine Le Pen et Éric Zemmour (18% et 13% selon le sondage BVA pour RTL du 18 mars), et moins que les intentions de vote pour Emmanuel Macron (30% selon cette même enquête).

Pour certains observateurs de la scène politique française, il semblerait presque que la gauche ait intériorisé sa défaite à la présidentielle et se prépare, surtout, à peser sur les élections législatives qui suivront.

D'autres, comme le journaliste et politologue Alberto Toscano, affirment que « la présence simultanée de trois candidats comme Mélenchon, Jadot et Hidalgo prive la gauche (sauf grosse surprise) de la possibilité de porter un des siens au second tour de la présidentielle ».

Selon Toscano, « pour prétendre à un second tour, la gauche aurait besoin d'un accord politique solide, avec des sacrifices qu'aucun de ses membres n'a la volonté ou la force de faire ».

Les partis, notamment ceux de gauche, abordent selon lui la présidentielle tout en se projetant aussi (voire surtout) dans les élections législatives qui se tiendront en juin 2022 et qui verront le renouvellement des 577 élus de l'Assemblée nationale.

Les socialistes, les Verts, les partisans de Mélenchon et les communistes appréhendent l'élection présidentielle d'avril 2022 comme un passage obligé vers les législatives, qui leur permettra d’évaluer leur poids politique réel dans la prochaine Assemblée, estime Toscano.

Et de conclure : "L'affrontement Jadot-Mélenchon-Hidalgo au premier tour de l'élection présidentielle révélera le profil du futur leader de la gauche française dans son ensemble. En pratique, le premier tour de l'élection présidentielle d'avril constituera la véritable primaire de la gauche. Les partis de gauche commenceront alors à chercher des rapprochements pour les élections législatives. Mais cela est une autre histoire ».

Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.