Politique

Poutine mise sur les "extrêmes" pour diviser l'UE

Le Kremlin offre son soutien politique et financier aux partis d'extrême-droite et d'extrême-gauche en Europe, dans le souhait de réunir les fractions antieuropéennes en son sein et de remettre en question l'intégrité de l'UE, estiment les experts.

Bilal Müftüoğlu  | 16.12.2015 - Mıse À Jour : 17.12.2015
Poutine mise sur les "extrêmes" pour diviser l'UE

Ile-de-France

AA - Paris 

Le président russe Vladimir Poutine cherche à établir des liens étroits avec les "extrêmes" de l'Europe, que cela soit de gauche ou de droite, dans une perspective de contrebalancer les politiques antirusses de l'Union européenne (UE) et de menacer l'intégrité de cette dernière, estiment les experts. 

Poutine et l'extrême-droite européenne en particulier ont une relation intrinsèque, qui est devenue de plus en plus visible après l'annexion de la Crimée par la Russie. Du parti Ataka en Bulgarie jusqu'UK Independence Party (UKIP) au Royaume-Uni, le régime de Moscou entretient des relations politiques et parfois financières avec les partis connus dans leurs pays pour leur position anti-européenne voire anti-OTAN. 

"Il ne fait aucun doute que le soutien du Kremlin aux partis d'extrême-droite est approuvé par Poutine. Pourtant, ni Poutine ni aucun autre haut responsable russe ne financeront explicitement ces partis politiques", explique Alina Polyakova, spécialiste d'Atlantic Council sur l'Europe orientale. 

Le parti "Russie unie" de Poutine a organisé plusieurs conférences et rencontres auxquelles étaient invités les représentants des partis d'extrême-droite en Europe, rappelle Polyakova, ajoutant que dans certains cas, notamment celui du Front national en France, le soutien est même de l'ordre financier, sous forme de prêts accordés par des banques russes. 

Poutine et les partis d'extrême-droite se réunissent dans une perspective "antioccidentale" mais aussi anti-UE, souligne la chercheuse d'Atlantic Council. Les deux parties se montrent critiques de ce qu'est devenu "l'Occident" à leurs yeux, notamment une déchéance morale et l'effondrement de l'ordre public, poursuit-elle. 

Le soutien du Kremlin ne se limite pas aux partis d'extrême-droite, fait souligner Polyakova, rappelant que Moscou a une histoire d'investir des moyens dans des "forces politiques déstabilisatrices" à gauche et à droite. 

"La stratégie de Kremlin n'est pas idéologique", insiste Polyakova. Et d'ajouter: "Le Kremlin joue sur tous les fronts, en investissant dans les partis et mouvements des deux côtés de l'éventail politique dans le but de déstabiliser les politiques nationales. S'agissant de l'extrême-droite, son investissement donne ses fruits car ces partis connaissent une percée à l'échelle nationale et européenne". 

Le Kremlin a l'impression que l'Occident a déclaré la guerre à l'Europe et cherche à affaiblir l'alliance transatlantique, estime Anton Shekhovstov de Legatum Institute et d'Institute for Euro-Atlantic Cooperation. 

Moscou profite des tendances au sein de l'UE vers l'extrême-gauche et l'extrême-droite dans le contexte de la crise des réfugiés et des mesures d'austérité, note encore Shekhovstov, signalant que cette coopération entre les partis extrêmes et la Russie "menace" l'intégrité de l'UE. 

- Le cas spécifique du Front national 

Les relations entre le FN et la Russie sont en constante évolution depuis la fondation même du parti en France. Le co-fondateur du FN Jean-Marie Le Pen avait établi des liens étroits avec le nationaliste russe Vladimir Jirinovski dès sa première visite à Moscou en 1991 et accueilli par la suite à plusieurs reprises par des hauts responsables russes.

Le Pen avait même eu l'occasion de visiter les appartements privés de Poutine au Kremlin, lors d'une visite plus récente en 2005.  

Les liens entre le FN et Moscou sont devenus plus "officiels" après l'accession de Marine Le Pen à la présidence du parti. Une fois devenue présidente du FN en 2011, Marine Le Pen avait accordé une interview à au journal russe Kommersant, dans laquelle elle affirmait que la "crise [en Europe] donne la possibilité de tourner le dos aux Etats-Unis et de se tourner vers la Russie". 

Elle notait aussi qu'elle ne "cach[ait]" pas son admiration pour Poutine, qui aurait "le caractère et la vision de l'avenir nécessaire pour rendre à la Russie la prospérité qu'elle mérite". 

Le Kremlin avait aussi suivi la recommandation d'Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie en France, pour embaucher les anciens hauts cadres du FN pour fonder en 2011 "ProRussia.tv", un site francophone de propagande russe. Ces anciens cadres du FN avaient alors signé un accord de coopération avec divers organes de presse, dont l'agence russe Itar-Tass en échange d'une aide financière de 415 000 euros. 

Le signe le plus visible des liens entre le FN et la Russie était l'accord des prêts de l'ordre de 9 millions d'euros par une banque russe. Le FN avait emprunté fin 2014 9 millions d'euros auprès de First Czech Russian Bank, basée à Moscou. 

Interrogée sur ce prêt après la révélation de cette information dans les médias français, Le Pen n'avait pas réfuté les allégations, assénant que les banques françaises refusaient de leur accorder un prêt. 

Aymeric Chauprade, conseiller spécial de Marine Le Pen pour les relations internationales, s'était rendu en Crimée à titre d'"observateur" du référendum qui a lieu mars dernier résultant par l'annexion de la région par la Russie. Marine Le Pen elle même avait été accueillie par Alekseï Pouchkov, président de la commission des Affaires étrangères de la Douma, un mois après ce référendum. 

Poutine avait félicité de son côté le FN pour son succès aux élections régionales d'avril dernier, peu après le soutien officiel du FN à l'annexion de la Crimée, une décision hautement contestée par l'UE. 

Une commission d'enquête à l'Assemblée nationale examine actuellement les sources financières du FN, suite à l'initiative des députés du Parti socialiste. 

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