Pourquoi Guantanamo est toujours ouvert ?
- Le 22 janvier 2009, deux jours seulement après son investiture comme Président des États-Unis, Barack Obama a signé un décret présidentiel ordonnant la fermeture du camp de Guantanamo. Au 22 janvier 2022, le camp est toujours ouvert.

Dubai
AA/Mohamed Badine El Yattioui
A Guantanamo, il y avait près de 800 prisonniers. Tous étaient des terroristes présumés accusés d'appartenir à Al-Qaïda ou d'être liés à l'organisation, ayant planifié les attentats du 11 septembre 2001, ou d´avoir commis une attaque contre une cible américaine.
Vingt ans plus tard, et après diverses promesses de fermeture, Guantanamo reste ouvert et n'abrite plus que 39 détenus. Cette grande tache pour les États-Unis provient notamment des accusations de torture, de transferts clandestins et de détentions arbitraires, dont de mineurs.
Ce camp représente une dépense annuelle de 540 millions de dollars pour les États-Unis et est considéré comme la prison la plus chère du monde. Pourtant, la fermeture tant de fois promise continue d'être repoussée et serait loin de se concrétiser. Pourquoi, après deux décennies, n'a-t-il pas été possible de fermer Guantanamo malgré les allégations d'abus et les demandes de la communauté internationale ?
Deux raisons principales semblent se dessiner : l'une relative à la politique intérieure américaine et l'autre à la politique étrangère.
La prison a été ouverte sous l'administration George W. Bush, après les attentats du 11 septembre. Le Président Obama, au cours de ses huit années de mandat, a tenté de la fermer à plusieurs reprises, mais le Congrès à majorité républicaine ne l'a pas permis.
La raison invoquée est la suivante : si certains de ces prisonniers étaient transférés sur le territoire américain, la justice fédérale pourrait les libérer faute de preuves. Cela peut être considéré comme une intrusion de l’exécutif fédéral au sein du système judiciaire et une volonté de le dominer.
Dans un pays où la Constitution sépare de manière assez stricte les trois pouvoirs, selon le modèle de Montesquieu, cela peut surprendre. Depuis 2002 dans le cadre de la “guerre contre le terrorisme”, la base a permis de contourner les droits garantis par la Constitution des États-Unis, selon Enrique Prieto-Rios, professeur de droit international à l'Universidad del Rosario, en Colombie.
Également car il a été difficile d’envoyer certains prisonniers dans leurs pays d’origine, car ces pays n’ont pas voulu ou n’ont pas pu les recevoir. Le Yémen est un cas très particulier car c'est un pays en situation de conflit. Il convient donc pour les Américains de négocier avec l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis pour recevoir des prisonniers yéménites. Cela a beaucoup compliqué le transfert des détenus ces dernières années et engendre de facto un risque, celui que ces gens restent là-bas éternellement. Il y a par exemple le cas d´un Pakistanais de 74 ans, qui est très malade et qui ne peut toujours pas en sortir. Selon "The New York Times", il y a aussi le cas d'un Tunisien de 56 ans, l'un des premiers arrivés, qui a été autorisé à partir pendant des années, mais a refusé de coopérer aux tentatives de rapatriement.
Malgré tout, quelque 760 prisonniers ont déjà quitté Guantanamo, et beaucoup d'entre eux ont raconté l'horreur de leur captivité, en particulier ceux qui n´ont jamais été liés à des activités terroristes, et qui ont eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, lorsqu´ils ont été capturés.
Si nous faisons un petit bilan, George W. Bush a autorisé autour de 540 prisonniers à sortir de prison, Barack Obama environ 200 et Donald Trump un seul. Sous Joe Biden, un prisonnier a déjà quitté Guantanamo. Cela nous amène à penser que l'ouverture de la prison n’a évidemment pas été un succès pour l'image des États-Unis et de son système judiciaire, ni en termes de sécurité nationale. Par ailleurs, car beaucoup de ceux qui ont été emprisonnés ont déjà été libérés parce qu'ils n'avaient aucun lien avec des organisations terroristes ou une relation directe avec le 11 septembre.
Afin de démontrer l'inefficacité de ce camp, précisons que seuls neuf détenus ont été inculpés ou condamnés depuis 2002, selon un rapport de dix experts des droits de l'Homme des Nations Unies. Par ailleurs, neuf détenus sont morts en prison, dont sept par suicide. D'une part, les Etats-Unis demandent aux États « de la périphérie » de protéger les droits de l'Homme car inviolables, d'autre part, cette même demande ne s'applique pas à ce pays qui peut méconnaître ces droits fondamentaux, alléguant la raison d'État, insiste l'expert colombien Enrique Prieto-Rios.
Guantanamo est un centre de détention situé sur un terrain loué par les États-Unis à Cuba depuis 1903. Il est inaccessible sauf par consentement des deux parties. Michael Strauss, professeur au Centre d'études diplomatiques et stratégiques de Paris et auteur du livre "The Leasing of Guantanamo" (publié en 2009) affirme, sans surprise, que "on peut dire que ce que les États-Unis paient pour Guantanamo n'est presque rien". Le loyer annuel est de 4 085 dollars... Depuis 1960, le gouvernement cubain refuse d'encaisser cette somme. L´ancien ambassadeur mexicain Oscar Gonzalez Garcia va plus loin et affirme qu´ "il ne s'agit pas seulement de fermer Guantanamo mais de le rendre. Il est temps pour un empire en retraite de reconnaître ses limites".