Politique

Maroc – Régime de retraites: Les dessous d’une réforme controversée

Hatem Kattou  | 12.04.2017 - Mıse À Jour : 13.04.2017
Maroc – Régime de retraites: Les dessous d’une réforme controversée

Rabat

AA / Rabat / Mohamed Taleb

Alors que la défaillance des régimes de retraite constituait une lapalissade au Maroc étant donné que le feu n’est pas d’aujourd’hui, le gouvernement sortant (Benkirane) avait décidé de s’attaquer à ce dossier auquel aucun gouvernement n’a osé toucher. Finalement, il semble que celui-ci n’a fait que taire des vérités « longtemps cachées aux Marocains à propos de la santé financière de la Caisse marocaine des retraites et les véritables raisons de sa détérioration, plus précisément, du régime des pensions civiles (RPC) seul cible de la réforme ».

C’est l’un des principaux constats dressés par le rapport présenté par une commission d’enquête sur la CMR formée à la Chambre des Conseillers dont Anadolu détient une copie. A l’issue d’un travail de longue haleine, elle a appelé au « gel de la réforme » et à la restitution des fonds « perdus » à la caisse. Chose avec laquelle, il n’y aura plus de déficits et par ricochet pas de raison pour continuer la réforme. Un dossier chaud est donc sur la table du fraichement nommé Chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani. Aura-t-il le courage de revenir sur ce qui a été considéré comme une réalisation par son prédécesseur, Abdelilah Benkirane.

L’opposition attendait Benkirane au tournant

La commission d’enquête présidée par le chef du groupe du principal parti de l’opposition, le Parti Authenticité et Modernité (PAM), à la chambre haute, a réussi à désavouer le gouvernement en mettant le doigt là où le bât blesse. Formée par la Chambre des Conseillers pour déterminer les raisons de la détérioration de la situation du RPC et les responsabilités, celle-ci n’a pas été soutenue sur les plans administratif et politique.

Sur pas moins de 30 missives envoyées pour auditionner les responsables politiques ou administratifs et 24 demandes de fourniture des documents exigés, la Commission a dû convoquer par voie d’huissier de justice dans 3 cas.

« Des responsables politiques et administratifs se sont abstenus de répondre à des interrogations des membres de la commission, malgré le fait qu’ils s’y étaient engagés à travers une prestation de serment conformément aux dispositions de la loi organique relative aux travaux des commissions d’enquête », a-t-elle souligné dans son rapport.

L’actuel et ancien ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Boussaid, a été à la tête des responsables réticents en compagnie de son ancien homologue à la Fonction publique, Mohamed Moubdii. Mais cela n’a pas empêché la commission de poursuivre son travail et d’ôter le voile sur les défaillances et manques de gouvernance qui n’incriminent que l’Etat qui a monopolisé écartant au passage les organes de gouvernances notamment le conseil d’administration de la caisse.

L’Etat mauvais gestionnaire

«Notre commission a établi la responsabilité de l’Etat dans ce qu’est devenu la CMR et en particulier le régime des pensions civiles (RPC) », a déclaré à Anadolu le représentant du groupe de la Confédération générale des entreprises marocaines (CGEM) à la chambre des conseillers et membre de la commission d’enquête, Youssef Mohyi.

Même son de cloche chez le président de la commission et également chef du groupe du PAM, Abdelaziz Benazzouz, qui a confié que le constat principal dressé par sa commission est que « l’Etat doit beaucoup d’argent à la CMR ». Car, selon lui, « les services concernés (trésorerie générale du royaume) n’ont pas comptabilisé l’ensemble des fonds que versait la caisse à d’autres régimes de retraite et qui, dans certains cas, étaient dépensés dans d’autres choses que les pensions de retraite ».

Partant de ce fait, Abdelaziz Benazzouzn appelle « l’Etat à rendre cet argent », qu’il évalue à des milliards de dirhams, et « non seulement s’acquitter des arriérés impayés, mais également des intérêts potentiels de leurs placements » (étant donné que la caisse place ses réserves évaluées officiellement à 87 milliards de dirhams sur le marché obligataire et sur le marché boursier).

Le rival farouche du Parti Justice et Développement (PJD) qui préside le gouvernement depuis 2011, est allé plus loin. D’après lui, « il n’y a pas de raison de continuer l’application progressive de la réforme ». « Nous demandons le gel de la réforme sur la base des réalités qu’on a constaté », a souligné pour sa part le représentant de la Confédération démocratique du travail (CDT) au sein de la commission, Abdelhak Hissane, dans une déclaration à Anadolu.

Les conseillers du PJD sur la défensive

« Après une lecture attentive du rapport, le groupe a conclu qu’il n’a rien dévoilé de nouveau », a indiqué le groupe du PJD à la deuxième chambre dans sa réponse au rapport.

« Une commission d’enquête n’a de par la loi pas le droit de formuler des recommandations selon le deuxième alinéa de l’article 67 de la Constitution et le deuxième article de la loi organique relative aux commissions parlementaires d’enquêtes », a affirmé Abdessamad Mrimi, conseiller du PJD dans une déclaration à Anadolu.
Bien que les remarques et les vices de forme relevés par le groupe du PJD à la deuxième chambre ont lieu d’être, mais cela ne peut pas justifier les aberrations à la pelle dont le PJD qui a pris le pouvoir en 2011 ne peut être responsable.

D’entre les innombrables et hallucinantes découvertes de la commission, on trouve « un écart de 5,300 milliards de dirhams entre le montant des cotisations et la part patronale sur la période 1996 à 2010 », a confié à Anadolu le représentant de la Confédération démocratique du travail (CDT) dans la commission, Abdelhak Hissane. Celui-ci affirme qu’aucun des responsables convoqués, y compris Benkirane et ses ministres, n’a pu répondre à cette question.

Des anomalies à la pelle

Sur la liste des abus et « contrairement à ce que stipule la loi, le Régime des pensions civiles (RPC) -qui a été le seul des régimes visé par la réforme- versait des avances pour le régime des pensions militaires. Aucun des responsables auditionnés n’a nié cette vérité », regrette Abdelhak Hissane.

Par ailleurs, la Société civile n’est pas en reste devant ce qu’a révélé la commission d’enquête. Suite à l’enquête parlementaire, l’Association marocaine pour la protection des biens publics « a déposé une requête au bureau de l’ancien ministre, Mustapha Ramid,(à quelques jours de la fin de sa mission) demandant de diligenter une enquête et déterminer les responsables », a déclaré son président, Mohammed Ghalloussi.

A rappeler que la réforme de la Caisse marocaine des retraites (CMR) a été adoptée en juillet 2016 alors que celle-ci passait d’une période creuse, son conseil d’administration seul habilité à prendre ce genre de décision (selon la loi 43-95) était gelé depuis 2014.

Durant ces 88 ans d’existence, la caisse a passé par trois étapes marquantes, la période du protectorat (de sa création en 1930 à 1956), la période obscure de 1958 à 2000 durant laquelle l’Etat en tant que patron ne versait pas sa part patronale et la période de la normalisation depuis 2000. Sa réforme de 2016 a consisté en un relèvement du départ à la retraite à 63 ans, une hausse des cotisations et une baisse des pensions). Loin de constituer une véritable réforme puisqu’il n’y a aucune amélioration à constater d’entre ces trois mesures paramétriques, cette réforme a été opérée aux forceps et cachaient un déficit de gouvernance énorme. Que fera donc le gouvernement qui vient d’être nommé de ce lourd héritage de son prédécesseur.

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