Macron embourbé dans son double-discours sur l’Algérie
- Plusieurs épisodes ont conduit à une inéluctable crise entre Paris et Alger

France
AA/Nice/Feïza Ben Mohamed
Les relations historiquement électriques entre la France et l’Algérie, ont connu cette semaine une nouvelle dégradation, sur fond de crise diplomatique.
En cause, les propos tenus par le Président français Emmanuel Macron, et qualifiés « d’inacceptables » par Alger qui a choisi d’opter pour la sanction en répliquant par l’interdiction du survol de son espace aérien par la flotte militaire française engagée au Sahel.
La présidence algérienne a également annoncé dès samedi, le rappel de son ambassadeur à Paris, Mohamed-Antar Daoud, officiellement « pour consultations ».
En effet, si le Président Abdelmadjid Tebboune adopte une posture de fermeté, pour contester le positionnement de son homologue français, plusieurs épisodes ont conduit, ces derniers jours, à une inéluctable crise.
Chronologie de la dégradation
Le 20 septembre dernier, Emmanuel Macron, qui a reçu 300 représentants de harkis, avait demandé « pardon » aux « combattants ayant subi les camps, la prison et le déni » estimant que la France « a manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes, leurs enfants ».
Le chef de l’Etat en a profité pour annoncer que l’Exécutif « portera avant la fin de l'année un projet visant à inscrire dans le marbre des lois, la reconnaissance et la réparation à l'égard des harkis ».
À ces déclarations, le ministre des Moudjahidine, Laïd Rebigua avait furtivement réagi en assurant que « le pardon de la France aux harkis est une question purement française qui ne concerne en rien l’Algérie ».
Le 28 septembre, le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, faisait parallèlement état de la décision unilatérale de la France, de durcir drastiquement les conditions d’octroi des visas pour les ressortissants marocains, tunisiens et algériens, en réduisant leur nombre de 50% pour ces derniers.
Paris assumait ouvertement la mise à exécution de « menaces » afin que les trois pays du Maghreb accordent des laissez-passer consulaires à leurs citoyens déboutés de leurs demandes d’asile.
Mais ce qui a mis le feu aux poudres dans un contexte déjà tendu, c'est la déclaration du Président Emmanuel Macron, jeudi dernier, alors qu’il recevait des « petits-enfants de harkis, d'indépendantistes, de rapatriés, de juifs d’Algérie, d’appelés, de militaires et d’immigrés ».
Le chef de l’Etat français a profité de cette occasion pour critiquer une « histoire officielle » qui aurait été « totalement réécrite et qui ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui, repose sur une haine de la France ».
« La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle, et qui dit : tout le problème, c’est la France », a-t-il poursuivi avant de déclarer que « le système politico-militaire » algérien « s’est construit sur cette rente mémorielle ».
Il a, également, estimé que « le système algérien est fatigué » et que « le Hirak l’a fragilisé ».
La colère d’Alger
La réaction algérienne ne s’est pas faite attendre et El Mouradia, qui a dans un premier temps rappelé son ambassadeur à Paris, a également fait le choix d’interdire aux avions militaires français, de survoler son espace aérien. L’interdiction concerne principalement la flotte militaire engagée au sein de l’opération Barkhane au Sahel.
La présidence algérienne regrette une « situation particulièrement inadmissible engendrée par ces propos irresponsables » et « les appréciations superficielles, approximatives et tendancieuses énoncées en ce qui concerne l’édification de l’Etat national algérien ainsi que sur l’affirmation de l’identité nationale qui relèvent d’une conception hégémonique éculée des relations entre Etats ».
« Cette malencontreuse intervention heurte fondamentalement les principes devant présider à une éventuelle coopération algéro-française en matière de mémoire », pointe également le communiqué de la présidence algérienne qui souligne, en outre, que « rien ni personne ne peut absoudre les puissances coloniales de leurs crimes, y compris les massacres du 17 octobre à Paris dont l’Algérie et sa communauté établie en France s’apprêtent à commémorer dans la dignité ».
L’obsession turque en toile de fond
Si les propos d’Emmanuel Macron ont provoqué les foudres de l’Algérie, ils ont également été teintés d’attaques à peine voilées contre Ankara.
« Même sur l’Algérie, Emmanuel Macron ne parvient pas à s’affranchir de son obsession anti-turque », a même noté le journaliste Jean-Dominique Merchet sur les réseaux sociaux.
Macron s’est en effet dit « fasciné par la capacité qu’a la Turquie à faire oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée » puis « d’expliquer » que la France « est le seul colonisateur ». « Les Algériens y croient », a-t-il raillé.
Face au positionnement de la Turquie qui rend régulièrement hommage aux victimes du génocide rwandais comme aux martyrs de la guerre d’Algérie, le Président français souhaite « une production éditoriale en arabe, plus offensive et portée par la France », écrit le journal Le Monde dans son édition du 2 octobre courant.
Il espère ainsi « contrer au Maghreb » ce qu’il qualifie « de désinformation et de propagande » et dont il accuse ouvertement la Turquie d’être à l’origine, poursuit le journal.
La réconciliation mise à mal
Emmanuel Macron avait pourtant porté une ambition réconciliatrice, durant la campagne électorale de 2017.
Il avait à l’époque concédé sans détour depuis Alger, que « la colonisation est un crime contre l’humanité ».
Dans un rapport commandé par le chef de l’Etat et remis en janvier 2021, l’historien Benjamin Stora a formulé plus d’une vingtaine de propositions destinées à apaiser les relations entre la France et l’Algérie.
Emmanuel Macron avait expressément demandé à l’historien de « dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie ».
Le rapport comporte un large volet relatif à la mémoire historique, et préconise notamment de multiplier les commémorations, mentionnant par exemple le 17 octobre 1961, terrible soir de répression dans les rues parisiennes où des dizaines d’Algériens sont morts noyés dans la Seine.
Benjamin Stora souhaite la création d’une commission « mémoires et vérités » qui pourrait donner la parole à des survivants de la guerre d’Algérie et recueillerait leurs témoignages.
Le rapport invite ensuite la France à honorer la mémoire de figures de cette terrible guerre.
Sont notamment mentionnés l’Emir Abdelkader, à qui il propose de rendre hommage en consacrant une stèle, et en restituant son épée à l’Algérie.
Il est également proposé de créer un « guide des disparus » retraçant le parcours de ceux qui sont tombés, et qui répertorierait les lieux de leurs exécutions.
Pour illustrer sa préconisation, Benjamin Stora évoque notamment l’avocat Ali Boumendjel, militant du FLN, assassiné en 1957 durant "la Bataille d’Alger".
Selon l’historien, cette initiative permettrait à Alger d’accélérer le travail déjà entamé pour identifier et localiser les corps de ses morts, afin de les rapatrier sur son territoire.
L’auteur du rapport, plaide par ailleurs pour un renforcement de la coopération entre les deux pays.
Un conseil qui pourrait être difficilement applicable au vu des derniers événements.
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