
AA/Tunis/Seif Eddine Trabelsi
La convergence des intérêts entre Daech (EIIL) et les fidèles de l’ancien président libyen Mouammar Kadhafi, ajoutée au vide sécuritaire qui règne en Libye, ont fait de Syrte un fief de l’organisation terroriste dans le pays.
Le 1er avril dernier, le groupe Ansar al-Charia a prêté allégeance à l’émir de Daech (Etat Islamique) Abou Bakr al-Baghdadi, allégeance qui a été annoncée par le chef du groupe, Abou Abdallah al-Libi.
Située au nord du pays, sur la côte méditerranéenne, Syrte est la ville natale du colonel Mouammar Kadhafi et également le lieu ou il a été tué le 20 octobre 2011. Elle constitue toujours le plus important bastion des pro-Kadhafi, le colonel étant issu de la tribu des «kadhedhfa», originaire de la région.
La vidéo de l’exécution de 21 coptes égyptiens, publiée il y a quelques semaines et revendiquée par Daech, pose la question sur la présence et l’implantation de Daesh dans la région.
Plusieurs indices et témoignages indiquent en effet, que la vidéo a été tournée sur les côtes de Syrte; sachant que les victimes coptes avaient été effectivement enlevées dans la ville, en décembre 2014.
Dans les jours qui ont suivi la diffusion de la vidéo, de violents affrontements ont éclaté à Syrte entre Daech et la Katiba 166 des forces de Fajr Libya (aube de la Libye) l’armée du gouvernement du Salut, issu du Congrès Général National (CGN - Tripoli), ne laissant aucun doute sur la présence de Daesh à Syrte et dans ses environs.
Syrte a été le dernier refuge de Kadhafi lorsque les insurgés avaient étendu leur contrôle sur toute la Libye. Au début du mois de septembre 2011, il en avait même fait sa capitale après la chute de Tripoli.
Depuis l’arrivée de Kadhafi au pouvoir, en 1969, sa ville natale a pris une importance particulière. Tout au long des années 1980 et 1990, la plupart des ministères ont été transférés à Syrte, où des bâtiments modernes ont été édifiés, notamment la monumentale salle de «Ouagadougou» où le colonel organisait ses célèbres congrès.
Syrte a été la dernière à résister à la révolution libyenne et les derniers champs de bataille entre les rebelles et les pro-Kadafi ont eu lieu dans la ville.
C’est là, selon différentes sources, que le noyau du mouvement djihadiste qui se faisait appeler «Ansar al-Charia en Libye» a pu s’infiltrer dans la ville de deux manières: la sécurisation de la ville et l’action sociale. Syrte souffrait socialement et économiquement, et porte, encore aujourd’hui, les stigmates de la guerre.
Un certain nombre d’observateurs considèrent que l’action sociale a facilité l’implantation d’Ansar al-Charia dans la ville et leur acceptation par la population locale. Ils ont ainsi été mieux intégrés et communiqué avec les habitants, puis séduit et recruté une partie de la jeunesse qui se sentaient défaits et étaient animés d’une volonté de vengeance contre les forces du 17 Février.
le discours d’Ansar al-Charia a aussi contribué à les faire accepter dans le bastion de Kadhafi. En effet, le groupe djihadiste ne concentrait pas son discour sur la révolution du 17 février et ses slogans hostiles à l’ancien régime [en prônant une rupture totale avec lui], mais tenait des propos axés sur des valeurs idéologiques et religieuses extrémistes sans référence à la révolution Libyenne détestée par la population locale de Syrte
Ansar al-Charia ne s’est pas intéressé aux couleurs politiques des citoyens ni à leurs histoires d’avant-révolution, ils s’est en revanche focalisé sur leur présent et sur le respect de ce qu’ils considérent comme des préceptes de la Charia.
Les figures clés de l’ancien régime ont pu réapparaître dans le nouveau climat post révolutionnaire de la ville, par le biais d’une «Déclaration de Repentance» acceptée par les djihadistes ou un «serment d’allégeance» à Daech, qui leur confèrent une liberté de mouvement, d’activité et de port d’armes.
C’est ainsi qu’à Syrte, et ailleurs dans le pays, le rapprochement entre les pro-Kadhafi et Daech a été favorisé, expliquant pourquoi les fidèles à l’ancien régime préfèrent vivre sous la houlette de Daech plutôt que sous celle des Forces du 17 février, estiment certains observateurs et analystes.
Daech offre aux pro-Kadhafi une nouvelle casquette ou couverture qui leur confère légitimité et possibilité d’armement. Le plus important, pour eux, c’est qu’ils ne soient pas sous la bannière de la Révolution du 17 février, et de là, s’explique leur hostilité vis à vis des forces de «Fajr Libya» qui constituent le bras armé de la révolution Libyenne aujourd’hui.
Les figures de l’ancien régime, qui sont aujourd’hui alliées de Daech, orientent la politique de l’organisation principalement contre «Fajr Libya». C’est dans ce cadre que s’inscrivent les déclarations de Ahmed Kadhaf al-Dam, cousin de Mouammar Kadhafi, affirmant son «soutien à Daech».
En contrepartie, les courants djihadistes réunis sous le drapeau de Daech trouvent à Syrte une assise populaire et tribale, une base géographique pour s’organiser et se structurer et une source de recrutement d’hommes prêts à combattre sous leur bannière.
La fragilité du pouvoir central libyen après la chute de Kadhafi et le démantèlement de ses services de sécurité ont favorisé l’installation d’un «vide sécuritaire» qui s’est accentué avec les affrontements entre les deux camps opposés dans le pays, le gouvernement de Tripoli et celui de Tobrouk (à l'Est) .
La précarité de la situation a fait de la Libye une destination pour de nombreux djihadistes qui cherchent, habituellement, des pays en échec, souffrant de crise politique et sécuritaire, propices aux activités terroristes.
Après l’intervention militaire française au nord du Mali, commencée en janvier 2013, les djihadistes du Mali ont fui vers la Libye, et plus précisément vers Syrte [selon des sources sécuritaires ] où ils ont été accueillis par ceux qui y étaient déjà implantés.
Syrte est devenue une plaque-tournante du djihadisme, et une plateforme adéquate pour prêter allégeance à al-Baghdadi et transformer l’ouest libyen en une «wilaya» de «l’Etat Islamique».
Une troisième vague de djihadistes a alors rejoint Syrte en provenance de l’Algérie, du Soudan et de la Tunisie selon la Katiba 166 de «Fajr Libya» qui dit s’appuyer, dans ses affirmations, sur des données recueillies lors des combats et la prise de positions précédemment contrôlées par Daech.
L’un des principaux noms c’est sans doute celui de Ahmed Rouissi, accusé de l’assassinat des deux hommes politiques tunisiens Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi à Tunis. Rouissi, qui avait fui la Tunisie avec plusieurs de ses hommes, était un des «émirs» de Tripoli, selon le communiqué publié par Daech après sa mort dans les affrontements avec «Fajr Libya», à Syrte.
Plusieurs indices montrent que les manœuvres militaires des Forces de «Fajr Libya» visent à en finir avec les combats contre les forces alliées à Daech à Syrte, mais elles risquent de se heurter à une organisation «tekfiriste» bien ancrée dans le bastion de Kadhafi.