Politique

Les États-Unis réussiront-ils à remplacer Abbas par Dahlan ? (Analyse)

Mona Saanouni  | 20.09.2020 - Mıse À Jour : 21.09.2020
Les États-Unis réussiront-ils à remplacer Abbas par Dahlan ? (Analyse)

Ramallah

AA / Ramallah

Des hommes politiques, des observateurs palestiniens estiment que les États-Unis d'Amérique et Israël ne pourront pas déloger l'actuelle Direction palestinienne pour remplacer le président Mahmoud Abbas par Mohamed Dahlan, appuyé par les Emirats.

Les observateurs interviewés par l'Agence Anadolu motivent cette position par le rejet massif de Dahlan par la Rue palestinienne.

Le journal « Israel Today », proche du Premier ministre Benyamin Netanyahou avait rapporté, jeudi, en citant l'ambassadeur américain Tel Aviv, Friedman, que Washington pense remplacer le président palestinien par le dirigeant expulsé du Fatah, Mohamed Dahlan.

Cependant, le journal a, rapidement, modifié cette déclaration en apportant le démenti de l’ambassadeur de toute intention de Washington de changer l'actuelle direction palestinienne.

Au début, le journal avait rapporté en citant Friedman, qui répondait à la question si Washington examine la possibilité de désigner Dahlan, qui réside aux Emirats comme chef palestinien, en remplacement du président Abbas, « Nous pensons à cela mais nous n'avons pas la volonté de nous occuper de l’architecture de la Direction palestinienne ».

Neuf heures plus tard, le journal a modifié l’interview en changeant la réponse de l'ambassadeur américain par les termes suivants. « Nous ne pensons pas à cela et nous n'avons pas la volonté de nous occuper de l’architecture de la Direction palestinienne ».

Le média n'a pas clarifié les raisons de ce revirement et si cela avait été à la demande du diplomate américain, ou si c'est le journal qui a commis l'erreur et qu’Il s’est arrangé pour la corriger.

Le correspondant de l'Agence Anadolu a rapporté que l'ambassade américaine à Israël s’est employée à remettre et à faire circuler la déclaration modifiée parmi les journalistes.

La Direction palestinienne a fait peu de cas du changement des déclarations de Friedman qu'elle a attaqué fermement.

Trois heures après la publication par le journal israélien de la modification en question, le comité central du Mouvement Fatah, dirigé par le président Abbas, a diffusé un communiqué dans lequel il condamne avec force les déclarations de Friedman.

« Ce qui a été annoncé par Friedman est une ingérence flagrante dans les affaires intérieures palestinienne. Il s'agit d'une question rejetée en bloc par le peuple palestinien », lit-on dans le communiqué.

Les auteurs du communiqué ont attaqué Dahlan qu'ils ont qualifié de « dénommé », en précisant qu'il a été expulsé du Fatah depuis l'année 2011 et qu'il est condamné dans plusieurs affaires et accusé par la justice de même qu’il est réclamé par la justice palestinienne et la police internationale.

Le texte ajoute que Dahlan est « instrumentalisé pour s'ingérer dans les affaires intérieures de plusieurs pays arabes et de la région, et cela ne peut être accepté par le peuple palestinien qui n'est pas prêt à payer ce tribut ».

Le Premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh a publié un communiqué également dans lequel il condamne et dénonce les déclarations faites par Friedman et qui dévoilent la volonté de l'Administration américaine visant à remplacer le président Mahmoud Abbas par le dénommé Mohamed Dahlan, ancien membre expulsé du Mouvement Fatah.

Shtayyeh a ajouté que « ces déclarations, bien que retirées ultérieurement, en prétextant qu'il s'agit d'une erreur, interviennent dans le cadre d'un plan américano-israélien qui n’est dissimulé à personne, et dans lequel sont impliqués nombre de parties arabes, qui sont mises à nu par les positions et les politiques qui tentent qui ont pour dessein de porter atteinte à la légitimité du président Mahmoud Abbas ».

Des hommes politiques et des observateurs palestiniens ont estimé que les Etats-Unis, en dépit des modifications apportées aux déclarations de leur ambassadeur, pourraient être sérieux dans son intention de remplacer l'actuelle Direction palestinienne par Dahlan, dans le but d'entériner l'Accord du siècle rejeté par le président Abbas.

Ils ont cependant indiqué que l'Administration de Trump ne réussira pas dans son entreprise.

Abbas Zéki, membre du Comité central du mouvement Fatah a relevé que l'unique voie pour changer le président palestinien demeure celle des « élections ».

Dans une déclaration faite à Anadolu, Zéki a souligné qu’aucune direction ne sera parachuté sans élections pour diriger le peuple palestinien.

Commentant les déclarations de Friedman, il a précisé que ces propos n'ont aucune importance et qu'il s'agit d'une attaque contre la Direction palestinienne légitime.

Evoquant le rôle des Emirats dans le soutien de Dahlan, le membre du Comité central du Fatah a indiqué que les Emirats n'achète que la conscience des « pseudo hommes » et qu'ils ne peuvent rien imposer au peuple palestinien.

De son côté, le professeur Nacha’t al-Aftach, de l'Université de Bir Zeit, a dit que Washington et Tel-Aviv seraient en mesure d'imposer Dahlan à bord d’un char et avec le soutien des Emiratis.

Il a, néanmoins, nuancé en indiquant que « Dahlan ne pourra pas résister face au peuple palestinien …les États-Unis peuvent changer et remplacer les dirigeants mais dans le cas palestinien, la donne est différente ».

Même via les élections, Dahlan ne pourra pas sortir vainqueur. Il ressort des indicateurs en présence que le Mouvement Fatah ne remportera aucune élection, y compris le courant du dirigeant expulsé », a-t-il ajouté.

Evoquant les motifs du soutien de Washington à Dahlan pour diriger l'Autorité palestinienne, le professeur a souligné que des pays arabes, autres que les Émirats, tel que le Bahreïn, l’Arabie Saoudite et l'Égypte soutiennent Dahlan.

« Tout cela est lié à ce qui s'est passé à Washington », a-t-il ajouté, dans une référence à l'accord de normalisation conclu entre les Emirats et le Bahreïn avec Israël. « Les États-Unis, veulent dire qu’ils peuvent ramener qui ils veulent, quand ils veulent pour établir la paix avec qui ils souhaitent », a-t-il encore souligné.

Mardi dernier, Israël a signé deux accords de normalisation avec les Emirats et le Bahreïn à Washington, ce qui a été rejeté fermement par la Direction et les factions palestiniennes qui ont considéré ce pas comme une trahison à la Cause palestinienne.

A son tour, l'analyse palestiniens Talal Awkal a abondé dans le même sens que cette approche.

Dans une déclaration faite à Anadolu, il a indiqué qu'il n'est « pas exclu que Dahlan accède au pouvoir à bord d’un char mais que se passera-t-il après.

Les palestiniens vont-ils accepter. Je pense que cela n'aura pas lieu ».

Il a estimé que les déclarations faites par le diplomate américain, bien que rectifiées, sous entendent une menace à l’endroit de la Direction palestinienne.

L’analyste palestiniens a lié cette déclaration à l'appui apporté par Abou Dhabi au dirigeant expulsé du Fatah. « Dahlan bénéficie d'un grand soutien émirati et est accepté aux Etats-Unis et dans d'autres pays arabes », a-t-il poursuivi.

Pour sa part, Mohamed Abou Errab, professeur de science politique à l'Université arabo-américaine à Jénine, a relevé que les accords de normalisation arabo- israéliens conclus aux États-Unis balisent la voie à une nouvelle phase où Dahlan pourrait être le chef du peuple palestinien avec un appui arabe et américain et une acceptation israélienne.

Il a, cependant, indiqué que Dahlan ne « bénéficie pas de d'une grande popularité en Cisjordanie, ni dans la bande de Gaza où il a perdu la bataille face au Hamas de même que face au président palestinien Mahmoud Abbas et son retour ne sera pas chose aisée ».

De son côté, Slimane Bisharat, chercheur palestinien en études stratégiques, a déclaré que les propos tenus par Friedman, bien que modifiés, interviennent pour atteindre une série d'objectifs, essentiellement, celui d’exercer une pression sur l'Autorité palestinienne.

Dans une déclaration faite à l'agence Anadolu, Bisharat a relevé que la prochaine étape sera marquée par les pressions exercées sur la Direction palestinienne de la part de l'Administration américaine et Israël, l'objectif étant de faire accepter à l’Autorité palestinienne les thèses de « l'Accord du siècle » et le plan d’annexion israélien.

Faire toujours miroiter la carte du dirigeant expulsé Mohamed Dahlan en tant qu’alternative politique sera présente face à toute position du président palestinien rejetant les revendications et requêtes israélo-américaines.

Il a estimé que ces déclarations interviennent pour parachever les efforts américains déployés pour renforcer le rayonnement et l'image de Dahlan, afin qu'il joue un rôle plus central, le tout dans le cadre de la vision américaine dans la région, vision fondée, a-t-il soutenu, sur l'élargissement de la sphère de normalisation des relations israélo-arabes après la signature par les Emirats et le Bahreïn d'un accord avec Israël.

Cependant, Bisharat a précisé que la question demeure entière compte tenu de l'ampleur du réalisme dans la volonté d'imposer Dahlan, en tant que chef de l'Autorité palestinienne, que ce soit en présence du président Abou Mazen ou au lendemain de son départ.

Il a ajouté penser que le pari américano-israélien porté sur cette carte n'est pas garanti, dès lors que le peuple palestinien rejette en bloc Dahlan.

La Palestine et la Turquie poursuivent Dahlan, qui réside aux Emirats, en lui adressant une série de chefs d'accusation, dont la corruption, le meurtre et l'espionnage international ainsi que son implication dans la tentative de putsch qui a échoué en Turquie à la mi-juillet 2016.

La justice turque accuse Dahlan d’implication dans ce putsch et de tentative de changement par la force du régime constitutionnel ainsi que d'avoir dévoilé des informations et des renseignements secrets inhérentes à la sécurité nationale.

En Palestine, le Mouvement Fatah a expulsé Dahlan en 2011 et la justice a émis une série de jugements à son encontre d’emprisonnement pour avoir commis une série de « crimes et de forfaits ».

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou

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