
AA/ Tunis/ Safwene Grira
Le recul notable de l'ethnie, comme principale source des conflits en Afrique, au profit de sources moins primaires, augure de l'entrée de plein pied, du continent noir, dans l'ère de la maturité politique, quoique certains obstacles subsistent.
L'ethnicisation des conflits recule sensiblement en Afrique au profit de nouveaux types de conflits:
1/ Les récentes "têtes d'affiche" des conflits en Afrique concernent ainsi, depuis plusieurs mois, des luttes pour le maintien au pouvoir, en dépit de verrouillages constitutionnels. Les conflits, de type nouveau, qui en résultent se situent ainsi quant à la fiabilité des arguments juridiques avancés. Ainsi, en était-il, récemment, du cas burkinabè et congolais (RDC). Plus loin dans le temps, si la crise politico-militaire ivoirienne (2002-2007), et dans son sillage la crise politco-électorale (2010-2011) puisent leurs sources dans le concept d'ivoirité, force est de constater que celui-ci renvoit davantage à une conception stricte de la citoyenneté, qu'à une appartenance ethnique.
2/ Soeur cadette des ethnies, l'idéologie vient parfois supplanter l'ethnicisation des conflits. Le changement de la nature de l'Etat en partant de bases idéologiques, motive une part considérable des conflits dans l'Afrique de 2015. Tel Boko Haram qui poursuit l'installation d'un Califat au détriment de milliers de victimes musulmanes de l'Extrême-Nord camerounais et du Nord-Est nigérian.
3/ La conscience des injustices, sociales ou politiques, supplante de plus en plus, celle des ethnies. Cette contestation accrue des injustices peut, toutefois, se cristalliser dans le cadre d'un conflit ethnique ou religieux. Cela a été le cas en Centrafrique, pays comptant environ 80 groupes ethniques, avec d'un côté, des musulmans d'origine tchadienne, se disant exclus, et d'un autre côté, des chrétiens majoritaires, se disant lésés par le mainmise des premiers sur le secteur économique.
Toutefois, l'aspect ethno-religieux, dans la crise interne qui agite la RCA, reste sous-tendu par des motivations politiques, en témoigne la présence au sein de l'ex-Seleka, ancienne alliance qui a porté les musulmans au pouvoir, de cadres de confession chrétienne.
La tendance à la baisse des conflits ethniques se fait à la faveur de nouveaux instruments:
1/ A l'appui d'un nouveau type de revendications, de nouveaux instruments de règlements des conflits, désormais à la portée des citoyens africains, premiers bénéficiaires d'une vague démocratique qui a soufflé sur le continent, dès les années 1990. Les nouvelles technologies de la communication prêchent le rapprochement entre les peuples et l'Unité africaine, ainsi qu'en témoigne l'élan de solidarité entre Burkinabè et congolais de la RDC.
2/ L'idée, ensuite, que les frontières du continent africain engagent peu les populations africaines, en ce qu'elles sont héritées du colonialisme, et ne dessinent que rarement, les contours d'un Etat Nation, tend, peu à peu, à céder le pas à un élan d'acceptation, fait davantage de citoyenneté que de résignation. Cette idée de la citoyenneté vient ainsi supplanter cette frustration, longtemps catalyseur de conflits dans le continent noir.
3/ Par ailleurs, l'activation de relais diplomatiques régionaux participe de la résorbation des problématiques ethniques. Ainsi en a-t-il été du rôle assumé par les organisations régionales, ou par des figures médiatrices, à l'instar de l'ex-président Blaise Compaoré, dans les différents conflits de la sous-région ouest-africaine.
Trois obstacles résistent toutefois, à cette tendance de recul de l'ethnicisation des conflits:
1/ Il s'agit, en premier lieu, d'un nombre grandissant de victimes, sur fond d'un conflit ethnique s'enlisant, qui hypothèque le règlement du conflit en question. Tel est le cas du conflit au Nord-Kivu (Nord-Est de la RDC), véritable poudrière d'Afrique centrale, dont l'enlisement est à rattacher au génocide rwandais de 1994. Tel est également le cas du conflit au Darfour, province de l'Ouest soudanais. Ces deux conflits ayant provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes et le déplacement de centaines de milliers d'autres.
2/ Si la commission vérité et conciliation de l'Afrique du Sud, conflit ethnique par excellence, a permis de réconcilier les belligérants, autour de la citoyenneté sudafricaine, peu de commissions équivalentes ont abouti à des pactes aussi concluants, entachant, ainsi, les accords obtenus, d'une fragilité intrinsèque, comme au Burundi.
3/ L'insuffisance du développement économique et les vices entachant la distribution de richesse dans nombre de pays africains, reste un critère fragilisant la paix sociale et mençant une ethnie de devenir le souffre-douleur de tout un pays.