La Tragédie de « Sheikh Jarrah » à Jérusalem: l'histoire complète
-Lorsque 28 familles s'étaient établies dans le quartier de « Sheikh Jarrah » en 1956, elles espéraient qu'il s'agirait de l’ultime refuge après qu'elles ont été contraintes de quitter leurs maisons et terres à la suite de la « Nakba » en 1948.

Palestinian Territory
AA / Jérusalem / Abderraouf Arnaout
- Des dizaines de familles palestiniennes dans le quartier de « Sheikh Jarrah » à Jérusalem sont menacées d'expulsion de leurs maisons.
- L'histoire a commencé par l'installation de 28 familles de réfugiés dans le quartier en 1956, durant le mandat jordanien sur la Cisjordanie.
- Depuis l’année 1972, (après l'occupation israélienne de la ville), ces familles mènent un combat à travers les tribunaux israéliens pour empêcher qu’elles ne soient déplacées.
- Il est attendu que la Cour suprême israélienne rende son verdict, lundi, au sujet d'une requête formulée par quatre familles palestiniennes menacées d’expulsion de leurs maisons.
- Au cas où la décision serait négative, les familles disent que leur combat dans les arcanes des tribunaux israéliens, combat qui aurait duré des années, serait terminé.
- Mohamed Sabbagh à Anadolu : « Nous craignons un deuxième exode ».
Lorsque 28 familles s'étaient établies dans le quartier de « Sheikh Jarrah » en 1956, elles espéraient qu'il s'agirait de l’ultime exode après qu'elles ont été contraintes de quitter leurs maisons et terres à la suite de la « Nakba » (La Grande Catastrophe) en 1948.
Toutefois, ces familles, dont le nombre s'est élevé à 38 depuis, disent qu'elles subissent une « Nakba », qui se renouvelle au quotidien.
Il est attendu que la Cour suprême israélienne rende son verdict, lundi, au sujet d'une requête formulée par quatre familles palestiniennes menacées d’expulsion de leurs maisons.
Au cas où la décision de la haute juridiction israélienne serait négative, les familles disent que leur combat dans les arcanes des tribunaux israéliens, combat qui aurait duré des années, serait terminé, et qu'elles seront contraintes de quitter leurs foyers.
Les autres familles craignent d'être livrées à ce même sort.
- Le début de la tragédie
En 1956, les 28 familles, toutes faisant partie des réfugiés qui ont perdu leurs maisons lors de la « Nakba » palestinienne de 1948, sont parvenues à un accord avec le ministère jordanien de l'Habitat et l'Office de Secours et de Travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) pour leur fournir des habitations dans le quartier de « Sheikh Jarrah ».
À l'époque, la Cisjordanie était sous mandat jordanien (1951-1967).
La Coalition civile des droits des Palestiniens à Jérusalem (ONG) souligne que le gouvernement jordanien a fourni le terrain et l’UNRWA a fait don des charges de la construction des 28 logements.
La même source ajoute qu'un contrat a été conclu entre le ministère de l'Habitat et les familles palestiniennes en 1956. Ledit contrat prévoyait, essentiellement, le paiement par les habitants d'un montant symbolique, à titre de loyer, dans l'attente qu'elles deviennent propriétaires, trois ans après la fin des travaux de construction.
Cependant, poursuit la Coalition dans un document dont l'Agence Anadolu a obtenu copie, la Guerre de juin 1967, sanctionnée par l'occupation d'Israël de la Cisjordanie, y compris la ville sainte de Jérusalem, a entravé le transfert de propriété du terrain et son inscription au nom des familles.
- Qu’as dit le gouvernement jordanien?
Le ministère jordanien des Affaires étrangères a annoncé, le 29 avril dernier, sa ratification de 14 accords qui ont été transmis aux habitants du quartier de « Sheikh Jarrah » à Jérusalem-est, par l’entremise du ministère palestinien des Affaires étrangères.
Il s'agit de nouveaux documents qui s'ajoutent à d'autres pièces qui avaient été remises à la partie palestinienne et qui viennent renforcer les droits des habitants du quartier et confirmer leur propriété de leurs biens et de leurs terrains.
Dans son communiqué rendu public, le ministère jordanien a indiqué avoir remis aux habitants un certificat qui atteste que le ministère jordanien de l'Habitat avait conclu un accord avec l’UNRWA pour construire 28 logements dans le quartier de « Sheikh Jarrah », de même qu'il a conclu des accords à titre individuel avec les habitants pour la construction d'habitations dans le quartier.
Le ministère ajoute s'être engagé, en vertu de ces accords, que « la propriété des logements sera enregistrée au nom des habitants, mais à cause de la Guerre de 1967, l'opération d'inscription du mandat et de la propriété n'a pas pu avoir lieu ».
Le ministère jordanien des Affaires étrangères a relevé avoir fourni, auparavant, à la partie palestinienne l'ensemble des documents dont il dispose et qui sont de nature à aider les habitants de Jérusalem à préserver l’intégralité de leurs droits, s’agissant de contrats de location et de liste des noms des bénéficiaires ainsi que de correspondances et d'une copie de l'accord conclu avec l’UNRWA en 1954.
- Le début des souffrances en 1972
Mohamed Sabbagh, un des habitants du quartier, a, dans un entretien accordé à l’Agence Anadolu, indiqué que la souffrance des habitants a débuté, en 1972, lorsque le Comité des Séfarades et la Commission des Juifs ashkénazes à la Knesset israélienne, avaient prétendu être propriétaires, depuis 1885, du terrain sur lequel ont été bâtis les logements.
En juillet 1972, les deux entités israéliennes avaient demandé du tribunal l'expulsion de quatre familles du quartier, sous prétexte de « violation illégale des biens d'autrui », selon la Coalition civile des droits des Palestiniens à Jérusalem.
La Coalition a ajouté avoir « mandaté un avocat pour plaider leur cause et en 1976, un jugement a été rendu par les tribunaux israéliens en faveur des 4 familles qui faisaient l'objet de plaintes ».
Ce jugement prévoyait que les quatre familles sont établies de manière légale, selon les prérogatives du gouvernement jordanien.
Cependant, poursuit Sabbagh, le tribunal a décidé que la propriété du terrain revient à des associations israéliennes, selon les nouvelles inscriptions effectuées dans le cadastre israélien sans recourir aux preuves d'inscription faites en 1972 ».
- La loi raciste qui a légalisé le déplacement
En 1970, Israël a institué une Loi relative aux Affaires juridiques et administratives. Ce texte prévoit, entre autres, que les juifs qui ont perdu leurs biens à Jérusalem-est en 1948 sont en mesure de les récupérer.
Le Mouvement israélien « La Paix maintenant » (ONG) souligne qu'il est « important de préciser que la loi israélienne sur les biens vacants de 1950 n'autorise pas les Palestiniens qui ont perdu leurs biens et propriétés en Israël en 1948 de les récupérer et autorise en revanche le transfert des actifs à l’Etat ».
Le Mouvement israélien ajoute, dans un rapport dont l’Agence Anadolu a eu copie, « qu’ainsi et sans le mentionner explicitement, la loi israélienne différencie entre Juifs et Palestiniens ».
De plus, poursuit le Mouvement « La Paix maintenant », le gouvernement israélien a veillé à « indemniser tous les juifs qui ont perdu leurs biens en 1948, en leur accordant des actifs alternatifs à l'intérieur d'Israël et partant, les propriétaires des immeubles ont le droit, en vertu de la Loi sur les Affaires juridiques et administratives, de redoubler les indemnités pour les pertes subies en 1948 ».
- Un accord sans la connaissance des habitants
Sabbagh relève que les habitants ont subi, au début de la décennie 1990 du siècle dernier, une « tromperie, voire un acte de traîtrise, de la part d’un avocat israélien qu'ils ont mandaté pour les défendre ».
Il a explicité ses propos en indiquant « qu'en 1982, des associations de colonies israéliennes ont déposé une plainte pour expulser 24 familles du quartier de « Sheikh Jarrah » ».
Dix-sept familles ont mandaté l'avocat israélien Tusia Cohen pour les défendre et la bataille juridique a duré plusieurs années, sans que les associations de colonies n’aient réussi à prouver leur propriété et ce, jusqu’à 1991.
En 1991, raconte Sabbagh, un marché a été conclu quand l'avocat Cohen a reconnu avoir signé un accord, sans la connaissance des habitants du quartier, en vertu duquel la propriété du terrain revient aux associations de colonies.
Il a été accordé, a-t-il poursuivi, aux habitants du quartier le statut de locataire et ils sont désormais régis par la loi sur la « Protection du locataire ».
Selon la Coalition civile des droits des Palestiniens à Jérusalem, « ce à quoi a procédé l'avocat a placé les familles palestiniennes sous le coup de l'expulsion en cas de non-paiement du loyer aux associations de colonies ».
La même source a indiqué que « les habitants ont découvert après coup que le marché conclu est un complot ourdi qui leur a porté préjudice, en confirmant la propriété du terrain au profit des colons et à la suite de quoi les familles n'ont pas payé le loyer ».
Les tribunaux israéliens ont continué à examiner des plaintes déposées mutuellement par les habitants et les associations de colons.
- Une contre plainte fondée sur le cadastre ottoman
Sur la base des documents du cadastre ottoman ramenés de Turquie, le citoyen Souleiman Darich Hijazi a déposé en 1997 une plainte auprès du Tribunal central israélien, dans laquelle il affirme sa propriété du terrain sur lequel ont été bâtis les logements dans le quartier de « Sheikh Jarrah ».
Cependant, le tribunal a refusé en 2005 la plainte déposée par Hijazi, estimant que les documents en sa possession ne prouvent point sa propriété du terrain.
L'année suivante, la Haute Cour israélienne a rejeté l'appel interjeté par Hijazi, au sujet de la propriété du terrain.
- Les associations de colons vendent le terrain à une autre association de colons israéliens
Dans un développement notoire des événements, les associations de colons ont procédé en 2003 à la vente des droits de propriété du terrain à l'association de colons « Nahalat Shamoun ».
- Début des opérations d'expulsion
Durant plusieurs années, les tribunaux israéliens ont examiné des plaintes déposées par les associations de colons contre les habitants palestiniens et les appels interjetés par ces habitants contre des jugements rendus en faveur des colons.
Au mois de novembre 2008, la famille « al-Kurd » a été expulsée de sa maison et cette scène s’est reproduite en août 2009, lorsque les familles « Hannoune » et « Ghaoui » l’ont été également.
Des colons se sont installés pour vivre dans ces maisons après l'expulsion de leurs propriétaires et des drapeaux israéliens ont été plantés comme pour annoncer le début d'une nouvelle phase de la souffrance des habitants du quartier.
Jusqu’à présent, 12 familles palestiniennes habitant le quartier ont reçu des notifications d'expulsion qui ont été rendues par des tribunaux israéliens.
La dernière entreprise des habitants a été la requête formulée par quatre familles auprès de la Haute Cour israélienne (La Cour Suprême d’Israël, la plus haute juridiction du pays) contre les décisions portant expulsion de leurs maisons.
Il est attendu que la Haute Cour israélienne rende son verdict, lundi, au sujet d'une requête formulée par quatre familles palestiniennes menacées d’expulsion de leurs maisons.
Au cas où la décision de la haute juridiction israélienne serait négative, les familles disent que leur combat dans les arcanes des tribunaux israéliens, combat qui aurait duré des années, serait terminé, et qu'elles seront contraintes de quitter leurs foyers.
Les habitants craignent que toute décision rendue par la Haute Cour israélienne portant expulsion de leurs maisons est un prélude pour l'expulsion des autres familles.
Sabbagh, dont la famille est composée de 32 personnes, dont dix enfants, appréhende un nouvel exode après que sa famille ait quitté Jaffa en 1948, laissant derrière elle des maisons squattées par des Israéliens, sans que la loi israélienne ne l'autorise à les récupérer.
*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou