Politique

La Révolution tunisienne 11 ans après... Un anniversaire au goût mitigé

- Mohamed Bouazizi, ce vendeur ambulant a déclenché les premières étincelles de la Révolution en Tunisie et lancé une série de soulèvements à travers le monde arabe, faisant ainsi naître ce qu’on appelle le "printemps arabe"

Hajer Cherni  | 17.12.2021 - Mıse À Jour : 18.12.2021
La Révolution tunisienne 11 ans après... Un anniversaire au goût mitigé

Tunisia

AA/Tunis/Hajer Cherni

Il y a 11 ans jour pour jour, une vague de contestations gagnait la Tunisie après le suicide de Mohamed Bouazizi qui s'était immolé par le feu, dans la ville de Sidi Bouzid (centre). Ne trouvant aucune issue à un chômage qui perdure et une injustice sociale qui se répand, ce vendeur ambulant a déclenché les premières étincelles de la Révolution en Tunisie et provoqué une série de soulèvements à travers le monde arabe, faisant ainsi naître ce qu’on appelle le "printemps arabe".

Ces étincelles ont eu l'effet de boule de neige et des contestations populaires massives et jamais vécues auparavant sont nées à travers le pays, mettant alors fin à 23 ans de dictature et à la fuite du président Zine el-Abidine Ben Ali.

Le 17 décembre 2021, la Tunisie s'apprête à célébrer le 11e anniversaire de ces événements, dans un contexte politique et économique au bord de l’asphyxie, où l’explosion du chômage des jeunes commence à fragiliser la société et la récession économique se trouve attisée par la crise sanitaire planétaire, pour cause de pandémie de la Covid.

Depuis plus de dix ans, le pays est en quête d'une stabilité politique et socio-économique et tente de poursuivre son processus de transition démocratique, au bout d’un chemin encore long et plein d’embûches.

A vrai dire, depuis plusieurs mois, plusieurs secteurs ont été touchés par la pandémie et connu plusieurs effets négatifs, suite aux mouvements sociaux importants dans plusieurs gouvernorats en Tunisie.

C'est ce qu'évoque, d’ailleurs, un rapport mensuel du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), relevant 1006 mouvements de contestation en Tunisie, durant le mois de septembre. Ajoutés à cela, 367 jours de grève, qui représentent 36,5% du total des mouvements enregistrés.


*Un pays qui n’est pas encore sorti de l’auberge…


Malgré des ''avancées dans le processus démocratique'', la Tunisie ce seul pays arabe ayant survécu aux démons du passé, tente de sortir la tête des dessous des décombres, d'un régime dictatorial et les Tunisiens vivent mal la mauvaise situation économique, l'augmentation de la pauvreté, et manifestent contre la corruption, dans un contexte aggravé par les tiraillements politiques locaux et interpatisans.

Le 17 décembre, un véritable ''tsunami'' a surgi et chamboulé la vie des Tunisiens et des Tunisiennes, où des rassemblements spontanés, dans toutes les rues et ruelles du pays ont réussi à produire un immense bouleversement, qui marquera à jamais un tournant décisif dans l'Histoire de la Tunisie.

Précaires et excédés par l'injustice sociale... étouffés par un régime policier répressif et après plusieurs années de censure, forcés de rester muselés, les Tunisiens ont vaincu leur peur et sont enfin sortis manifester. Partout, ils ont revendiqué le droit à l'emploi et le développement et érigé la ''dignité'' comme leur principale revendication.
Le peuple avait pris son destin en main et décidé de renverser le président en place Ben Ali. Ils rêvaient de lendemains meilleurs capables de changer leur quotidien tout en préservant leur dignité.

Qui sont ces Tunisiens et Tunisiennes ayant sacrifié la stabilité ‘’pour un avenir ‘’incertain’’?

Pour comprendre ces changements et revenir sur ces journées et nuits vécues en Tunisie en ce mois morose, l’Agence Anadolu a recueilli les avis et s points de vues de spécialistes tunisiens.

''Le 17 décembre et le 14 janvier sont deux dates importantes de l'Histoire de la Tunisie, où des mouvements de contestation ont fini par s'étendre dans plusieurs régions contre la persistance du chômage. En effet, le peuple tunisien vivait déjà un état de ras-le-bol et cette étincelle est, entre autre, la suite de ce ''processus révolutionnaire'' ayant commencé en 2008 dans le bassin minier de Gafsa'', affirme l'activiste et coordinateur au sein de l’organisation ‘’international Alert’’ Mehdi Barhoumi.

''Plus de 10 ans après, plusieurs régions tunisiennes vivent encore dans leur malheur, défavorisées et appauvries. La vie n'a pas véritablement changé. Les taux de chômage demeurent élevés et de nombreux citoyens sont encore privés de ce niveau de vie digne revendiqué il y a quelques années'', souligne notre activiste.
Et Barhoumi de poursuivre : ''La liberté d'expression acquise, cependant, l'injustice sociale et la marginalisation restent encore visibles''.

Il a évoqué, dans le même contexte, que la révolution n'est pas ''une simple date'' qu'on marque dans l'histoire mais plutôt un processus qui se poursuit au fil des années malgré les contraintes et la Tunisie essaye tant bien que mal de réussir sa démocratisation’’.

Selon lui, les réformes ayant touché différents secteurs (santé, éducation, les droits sociaux) sont temporaires et ne répondent pas réellement aux revendications des jeunes et à leurs attentes après tant d'années et ne préservent pas non plus leur dignité. La raison pour laquelle, des années après les manifestations populaires portées par les jeunes, la Tunisie assiste encore à des séries de mouvements de protestations dans plusieurs gouvernorats, car le peuple tunisien vit encore une crise économique et sociale. Ces cris de colère sont la réaction aux revendications délaissées.

‘’La Tunisie, le berceau de la révolution, est aujourd’hui fragilisée par l’absence de réformes, qui sont incapables d’offrir des perspectives sociales’’, a-t-il indiqué.


*Une lueur d’espoir…Mais…

Hammadi Khelifi, écrivain et avocat à New York, mais aussi l’une des voix jeunes ayant participé aux premières manifestations à Sidi Bouzid est revenu, lors de son témoignage à l’Agence Anadolu, à ce jour qui selon lui restera gravé à jamais dans sa mémoire.

‘’La Révolution de la Liberté et de la Dignité, malgré la situation économique effrayante qui a suivi, une lueur d'espoir a jailli dans le noir pour de nombreux Tunisiens, en particulier les plus marginalisés, les personnes démunies et les chômeurs. Originaire de Sidi Bouzid, Hammadi a vécu les premières étincelles qui ont déclenché la Révolution’’, raconte-t-il.
‘’La plupart de ceux qui sont descendus dans la rue et se sont retrouvés nez-à nez avec la police sont maintenant, soit au chômage, soit ont quitté le pays, ou derrière les barreaux, ou carrément ne font plus partie de ce monde’’, a-t-il fait remarquer.

‘’Malgré la liberté d'expression et celle de la presse, principaux acquis de la Révolution, la crise économique et le taux de chômage patinent et font body_abstraction à tout espoir. Cette marge de liberté a été le péché originel de la classe politique, opprimée pendant de nombreuses années, et certains en ont profité pour servir leur propre intérêt’’, a-t-il regretté.
Selon Hammadi Khelifi, ‘’Kaies Saied est entre autre le produit d'une grande déception et un échec de toute la classe politique, au cours de cette dernière décennie’’.

‘’Le peuple tunisien qui s'est forgé depuis 2011 le rôle de cet acteur révolutionnaire incontournable aux attentes élevées mais inassouvies, dit-il, accepte désormais toutes les formes d'oppression et arbitraires qui malheureusement commencent à prendre place’’.

D’après notre témoin, les Tunisiens ‘’acceptent désormais les formes répressives qui reprennent petit à petit sous le règne de Saied qui a concentré entre ses mains tous les pouvoirs au nom d’une ''révolution du peuple'' afin de réinstaller la dictature’’.

‘’Cette pièce de théâtre mal mise en scène qui met en avant l'annonce d'une nouvelle date pour commémorer l'anniversaire de la révolution changera-t-elle quelque chose? Cette décision remplira-t-elle le ventre d'un vieux affamé ou d'un trentenaire au chômage ?’’, s'est-il interrogé.

Hammadi, se souvient encore d'une anecdote avec l’un de ses camarades et n’a pas hésité à la partager avec AA avec beaucoup de regret et amertume. ‘’Alors qu'on était littéralement encerclés par les forces de sécurité dans une ruelle, dans un moment de désespoir on s’était dit : Pourquoi tout ça? Pour quelles raisons?’’
Mon ami m'a répondu : ‘’parce qu'on adore Sidi Bouzid et on veut faire de cette ville le ''New York'' de demain. Et me voilà, aujourd’hui, à me balader dans les rues de Brooklyn, alors que mon compagnon a péri après avoir été attaqué au gaz lacrymogène par la police’’.


*Tunisie, la Révolution inachevée …

Les appellations et les dates relatives à la Révolution demeurent une source de débat et de dissension.
‘’Le 17 décembre est la date anniversaire de la révolution, et non le 14 janvier, comme cela a été annoncé après le 14 janvier 2011’’, a déclaré Kaïs Saïed à l’ouverture d’un conseil ministériel au palais présidentiel de Carthage.

Pour le locataire de Carthage, ‘’Sidi Bouzid est l’étincelle de la révolution, là où tout a commencé, mais malheureusement la ferveur révolutionnaire a été contenue durant cette période pour empêcher le peuple d'exprimer sa volonté’’.

Dans ce contexte, l’universitaire et activiste politique Lamine Bouazizi a souligné que ‘’cette décision reflète l’échec de la classe de politique et tous ceux qui ont été au pouvoir, dans un contexte fragile favorisé par la détérioration de la situation économique et sociale’’.

‘’En effet, ce changement est une atteinte à la mémoire du peuple car cette date symbolise la date du début de la révolution. On ne réécrit jamais l’histoire et la date du commencement des révolutions. En outre, cette décision est une sorte de falsification de l’histoire pour la mauvaise cause et pour d’autres calculs’’.
L’universitaire et activiste politique, Lamine Bouazizi, considère aussi que les révolutions racontent des histoires et symbolisent des dates clé. Mais malheureusement, la révolution tunisienne a été répudiée et tous ses symboles ont été ternis.

Toutes ces déceptions, 11 ans après le déclenchement de la Révolution, alimentent les débats et ravivent la colère des Tunisiens et Tunisiennes face à une classe politique qui se montre impuissante ou alors insouciante de tous ces appels au secours pour une vie digne. En revanche, la jeunesse tunisienne qui a grandi bercée par les souffles de libertés sera, à tout moment, prête à ‘’ Jeter de l'huile sur le feu’’ pour arracher sa liberté.

Pour Lamine Bouazizi, la Révolution n’est pas un simple événement, mais la continuité d’une série d’actes révolutionnaires ayant commencé en 2010. Par exemple lors d’un rassemblement en soutien à la cause la palestinienne. Depuis, les mouvements de contestations se sont succédé à Sidi Bouzid, mais ont été réprimés et sont passés inaperçus.
‘’En ce jour de l’immolation de Mohamed Bouaziz que je considère comme étant ‘’grandiose’’, qui a réuni toutes les classes politiques qui étaient au premier rang ainsi que des citoyens venus de tout bord’’. Cette tragédie est, en effet, devenue la cause de tout un peuple.

Toutes ces déceptions, 11 ans après le déclenchement de la Révolution, alimentent les débats et ravivent la colère des Tunisiens et Tunisiennes se trouvant face à une classe politique qui se montre impuissante ou alors insouciante à tous ces cris de secours pour une vie digne.

Ajouter à ceci : à quelques jours du onzième anniversaire du déclenchement de la révolution du 17 décembre, le président Kais Saied, a annoncé dans un discours menaçant la prolongation du gel du Parlement jusqu'à l'organisation d'élections législatives anticipées le 17 décembre 2022, soulignant que "tous ceux qui ont commis des crimes à l'encontre de l'Etat tunisien seront traduits devant la justice qui devra trancher en toute neutralité".

Il faut ainsi dire que la jeunesse tunisienne qui a grandi bercée par les souffles de libertés sera à tout moment prête à ‘’ Jeter de l'huile sur le feu’’ pour arracher sa liberté.

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