Politique

"La France est loin d'être à la hauteur en matière des droits et libertés qu'elle prétend défendre"

11.08.2022 - Mıse À Jour : 12.08.2022
"La France est loin d'être à la hauteur en matière des droits et libertés qu'elle prétend défendre"

AA / Istanbul - Paris

Le CIPDR (Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation), organe directement rattaché à Matignon, et qui se présente comme animant "des politiques publiques transversales de prévention et de lutte face à des phénomènes de rupture avec l’ordre social, qui fragilisent" la société française, s’en est dernièrement pris à plusieurs figures de la lutte contre l’islamophobie en France.

Dans le contexte de la procédure d’expulsion à l’encontre de l’imam et conférencier Hassan Iquioussen, engagée par le gouvernement, le compte officiel du CIPDR sur twitter s’est ainsi laissé aller à tenter d’intimider, via une série de tweets, les personnalités ayant exprimé leur désapprobation d’une telle mesure en les désignant comme des "militants fréristes et salafistes".

Opposé à l’expulsion de Hassan Iquioussen, l’ancien directeur du CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France), Marwan Muhammad, s’est vu accusé de propager "un discours victimaire et anti-laïque ne visant qu’à provoquer l’affrontement entre nos concitoyens de confession musulmane et ceux qui ne le sont pas".

De passage à Istanbul, dont il a fait l’une des escales de ses vacances en famille, Marwan Muhammad a accordé un entretien au correspondant de l’Agence Anadolu.

Au cours de cette discussion à bâtons rompus, il a partagé avec nous son analyse de la situation des musulmans en France, expliquant les craintes et les appréhensions face à l’islamophobie rampante, qu’il n’hésite pas à pointer du doigt et à en décrypter les sources, tout en soulignant la portée de la lutte contre ce phénomène tant pour les acteurs actuels que pour les générations futures.

- Agence Anadolu (AA) : Pourriez-vous vous présenter ? Votre parcours ? Que faites-vous actuellement ?

- Marwan Muhammad (MM) : Je m’appelle Marwan Muhammad, je suis ingénieur en mathématique de formation. J’ai travaillé pendant 10-15 ans en finance de marché, avant de me consacrer à la question des droits humains. Donc aujourd’hui je suis statisticien et je conseille des organisations internationales en matière de respect des libertés fondamentales.

- AA : Vous étiez l’ancien directeur du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), pourriez-vous revenir sur le processus de dissolution de cette association en quelques mots ?

- MM : J’ai en effet été directeur du CCIF en 2016-2017.

Le Collectif contre l'islamophobie en France qui a été confronté en 2020, dans le contexte de l’horrible assassinat de Samuel Paty, à une décision gouvernementale de dissolution, essayant de se servir de ce crime comme prétexte pour dissoudre le CCIF.

Il a depuis été démontré qu’il n’y avait aucune espèce de lien entre le CCIF et l’horrible assassinat du professeur Paty. Mais cela ne compte pas du point de vue de l'extrême droite, de même que de celui du gouvernement qui a décidé d’aller au bout de sa démarche et de dissoudre le CCIF.

Le motif qui a été finalement retenu a été que le simple fait “de dire qu’il y a de l’islamophobie en France, c’était de l’incitation à la haine contre la France”. C’est comme si en fait, on tirait sur les ambulances, au lieu de résoudre le problème, qui ne réside pas dans le fait de mettre en évidence une situation de racisme, le problème c’est qu’il y ait du racisme dans une société.

Or, plutôt que de viser, de criminaliser les organisations de défense de droits humains, notamment celles qui travaillent sur les discriminations à l'encontre des musulmans, le plus important peut être serait de lutter contre les discriminations et le racisme sous-jacent plutôt que de mettre en cause des gens juste parce qu’ils font ce constat-là.

- AA : Pourquoi êtes-vous constamment dans le collimateur des autorités en France ? 

- MM : Je ne suis pas visé par le gouvernement français mais je suis régulièrement visé par l'extrême droite et par des relais de l'extrême droite au sein même du gouvernement français.

Qu’il s’agisse du ministère de l'intérieur, ou de l’agence de propagande du gouvernement qui s’appelle le Secrétariat général du Comité interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (SG-CİPDR) et qui vise régulièrement toutes les organisations musulmanes, toutes les personnalités musulmanes qui oseraient dire “qu’il y a de l’islamophobie en France”, qui oseraient critiquer les questions de racisme en France ou de discrimination en France.

Je ne suis donc pas le seul malheureusement, car toute personne critiquant la politique du gouvernement sur ces questions de discrimination se retrouve dans le viseur de l’extrême droite d’abord, et puis ensuite de ses relais au sein du gouvernement.

S’agissant du Secrétariat général du Comité interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (SG-CİPDR), je dois dire que je m'inquiète du fonctionnement de ce bureau, qui se comporte comme un cabinet noir, qui ne rend de compte a personne, et dont l’activité principale c’est de harceler des musulmans sur les réseaux sociaux.

Je ne sais pas par quels fonds ils sont financés, apparemment par des fonds publics mais à un moment donné, on est responsable de ce qu’on fait de l’argent public et quand on voit que c’est un proche de Manuel Valls qui dirige ça, quelqu’un qui considérait qu’il n’y avait pas assez de “blancos” en France, qui expliquait que les Roms ont vocation à partir dans leur pays et ainsi de suite. Quand on voit que c’est dirigé par ce type de personne, on s’aperçoit que c’est une espèce d’officine politique qui produit de la propagande à longueur de journée sur les réseaux sociaux.

Moi je suis très inquiet de cette dérive parce que si c’était juste des trolls sur internet, au bout du compte ça ne serait pas la fin du monde. Mais le fait de cibler des personnes, des journalistes, des défenseurs de droits humains, des universitaires, des personnes musulmanes, des associations, cela les désigne comme cible, et ces personnes reçoivent ensuite des menaces de mort, des injures, des invectives, ce qui les met en danger.

Cette organisation qui est au sein de l'état français porte une responsabilité immense, avec des dommages et des conséquences qui peuvent être gravissime sur le terrain ! Je suis choqué en fait que ce cabinet-là fonctionne sans la moindre transparence, qu’il cible nommément des musulmans et qu’il n’y ait pas de sanctions qui soient prises au niveau de l’Etat, a l’heure actuelle.

- AA : Pourquoi avoir choisi ce domaine où vous devez parfois faire face à des considérations d’ordre raciste ?

- MM : Je ressens un sentiment de responsabilité, de responsabilité en tant que père de famille, je n’ai pas envie que mes enfants vivent dans un pays où on les vise pour leur couleur de peau, ou pour leur religion donc je m’implique et j’essaye de travailler pour changer les choses, et c’est pour ça que j’ai dédié 10 ans de ma vie à la lutte contre toutes les formes de racisme et de discrimination dont l’islamophobie.

Et puis il y a ma responsabilité en tant que citoyen, parce que quelque part on a une forme d’attachement à la France et on est convaincu que ce pays vaut mieux que ceux qu’il montre. Or, si nous ne faisons rien, c’est “non-assistance a France en danger” ! Si on voit une injustice, si on voit des personnes en souffrance, quelque soient ces personnes, quelques soient ces groupes vulnérables, c’est notre responsabilité collective d’aider et de travailler pour changer ça.

C’est bien sûr difficile, ça a un impact sur nos vies, mais que ce soit en France ou dans n’importe quel pays du monde, l’histoire nous a enseigné que quand il ya une injustice, elle ne change pas du jour au lendemain et donc les gens qui sont des oppresseurs, les gens qui sont des dominateurs, les gens qui excluent, ne se réveillent pas un jour en disant “Ah oui, zut on s’est rendu compte que c’était injuste”. Non. Ça passe par des changements, ça passe par des luttes, ça passe par des rapports de force et ça passe par un niveau de détermination et d’engagement qui doit tenir sur des générations.

- AA : Il y a eu plusieurs dissolutions d’associations musulmanes, de mosquées fermées et le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a annoncé récemment l’expulsion de l’Imam Iquioussen. Comment analysez-vous cette situation ? Quels en sont les causes ?

- MM : En fait ce que les gens ont du mal à comprendre à l'échelle internationale, c’est que maintenant la France est dans une dérive où toutes les critiques en provenance de l’étranger, des Etats-Unis, de l’ONU, de la Türkiye, du Royaume Uni, ou d’ailleurs, vont être vécues comme des attaques contre la France "basées sur des informations erronées".

Des stratégies de lobbying sont mises en place au niveau du gouvernement pour empêcher que ce constat soit fait, pour empêcher ce bilan-là soit dressé. Mais il n’en demeure pas moins que ce qui se passe au niveau national, c’est qu’avec la loi dite sur “le séparatisme”, qui en vérité est une loi qui vise spécifiquement les musulmans, le gouvernement s’affranchit de l'état de droit.

C'est-à-dire que quand on veut condamner quelqu’un, on dépose une plainte ou on saisit le parquet et ça va en justice, et la personne est jugée. Sauf qu’avec cette nouvelle loi, le gouvernement peut prononcer des décisions administratives sans avoir à les justifier juridiquement, sans que la personne puisse se défendre devant un tribunal et c’est ensuite à la personne d’introduire un recours.

Ce mécanisme a été principalement utilisé contre les associations musulmanes, puis contre d’autres associations, notamment des associations qui soutiennent la Palestine, puis contre des médias de gauche qui critiquent le gouvernement, contre des structures qui mettent en cause les violences policières ou autres.

C’est un mécanisme qui peut être utilisé pour criminaliser n’importe qu’elle personne qui critique le gouvernement. Puisqu’après les associations de lutte contre l’islamophobie, des mosquées ont été visées, puis des personnalités musulmanes qu’il s’agisse d’imams, de prédicateurs, ou d’éducateurs ou autres. Avec à chaque fois le même dispositif : si quelqu’un ne nous convient pas, on va le traiter d’islamiste, on va le classer dans une case “İslam politique” sans jamais expliquer ce que c’est, et ensuite on va le criminaliser de manière administrative par tous les moyens possibles.

Si c’est une personne qui a une carte de résident, on va l’expulser, si c’est quelqu’un qui a une entreprise on va diligenter des contrôles abusifs, si c’est une mosquée on va la faire fermer, si c’est une association, on va la dissoudre.

Ce mécanisme de criminalisation globale des communautés musulmanes, il est à l'œuvre aujourd’hui, et les seuls musulmans qui conviennent à cette lecture de l'extrême droite-la, c’est les musulmans qui, au bout du compte, ne sont plus musulmans. Parce que si le simple fait d'avoir une barbe, le simple fait de jeûner, le simple fait de s'impliquer dans une association, le simple fait de parler de sujets de société, c’est déjà trop pour le gouvernement, ça veut dire que 99,999 % des musulmans seraient selon cette lecture-là “des islamistes”, et on reconnaît bien là l’idéologie de l'extrême droite.

- AA : Peut-on pour autant parler d’Islamophobie d’Etat en France aujourd’hui ?

- MM : On peut parler d’une islamophobie réelle en France d’autant qu’elle a des relais puissants au sein de l’Etat. Mais il faut souligner également que concernant ce problème, il n’y a pas une continuité au sein de l'État.

Si c’est bien l'État qui valide les perquisitions abusives, qui cautionne l’expulsion ou la criminalisation des associations musulmanes, ou qui ne réagit pas suffisamment pour protéger les musulmanes et les musulmans des discriminations qui les visent très spécifiquement, force est de reconnaître qu’au sein de l'État aussi, il y a des institutions qui œuvrent dans le bon sens.

La CNCDH, la commission consultative des droits de l’Homme produit, chaque année, un rapport sur la discrimination et le racisme en France.

Cette commission n’a pas manqué d’épingler la France sur certaines problématiques, s’agissant notamment des migrants, des violences policières, du racisme quotidien dans la société française, de l’islamophobie et de la discrimination à l’encontre des musulmans. Selon la CNCDH la France est bien loin d’être à la hauteur de ses engagements et de la place qu’elle souhaite être la sienne sur la scène internationale.

Il y a également des relais au niveau de certaines préfectures ou au niveau de plusieurs rectorats au sein du ministère de l’éducation qui essaient de faire une prévention qui va dans le bon sens.

Il n’y a donc pas une continuité, ni une homogénéité des positions islamophobes et racistes au sein de l’Etat. Mais il y a des relais importants et ces relais sont d’autant plus puissants qu’ils sont au sein du ministère de l'intérieur, et que ces moyens-là permettent de criminaliser et d’utiliser les moyens de l’Etat, de l’administration, de la police pour mettre en cause des musulmans.

C’est cette dynamique qui est destructrice, c’est à l'œuvre depuis maintenant plus d’une quinzaine, bientôt plus d’une vingtaine d’années, et ça produit des dommages très durables au sein de la société française.

- AA : Comment la communauté internationale voit et interprète la situation de musulmans en France ? La France est-elle perçue comme islamophobe et raciste ?

- MM : Le constat de l’islamophobie en France n’est pas uniquement dressé par des associations françaises. Il est fait par des associations de défense de droits humains au niveau international, que ce soit Amnesty İnternational ou Human Rights Watch, mais aussi par des organisations internationales. L’OSCE produit chaque année des statistiques qui montrent la réalité de l’islamophobie en Europe et notamment en France.

Le Conseil de l’Europe et l’ONU font le même constat. La France vient d’être condamnée une nouvelle fois, justement, pour une discrimination vis-à-vis d’une jeune femme qui porte le foulard à l’école. La décision expliquant que la loi de 2004 (loi 2004 sur le port des signes ostentatoires) porte atteinte à la liberté religieuse.

- AA : Peut-on parler de discrimination à l’égard des citoyens français de confession musulmane ?

- MM : Du point de vue théorique, il n’y a aucune différence entre un citoyen musulman et un citoyen non musulman ou d’une autre foi ou sans religion. Plus encore, toujours du point de vue théorique, ce principe est présent dans les textes fondateurs, dans la Constitution et dans les lois de cette "République (qui) est une et indivisible”.

Le fait de catégoriser les gens par rapport à leurs origines, leurs couleurs de peau, leurs religions, cela est strictement interdit… du point de vue théorique.

Pourtant d’un point de vue politique, c’est précisément ce qui est fait, y compris en usant des moyens de l’Etat.

Quand l'État met en œuvre des politiques de contrôles des lieux de cultes, ils visent de manière écrasante les lieux de cultes musulmans. Quand il diligente des contrôles administratifs, il vise spécifiquement des commerces, des associations, des entreprises musulmanes. Des débats parlementaires visent des familles, des personnalités et des associations musulmanes qui sont omniprésentes dans les débats, par exemple sur la loi séparatisme.

L’économiste Marie-Anne Valfort, a dirigé une étude qui montre que les discriminations à l’embauche visent les musulmans. Il est donc interdit de catégoriser les musulmans dans le recrutement et dans la sélection, mais par contre de manière opérante, on voit qu’on les exclut sur leurs noms de famille en supposant qu’ils sont musulmans ou de telle ou telle autre origine.

Même chose dans l'accès au logement, dans l'accès à la culture, et à d'autres domaines ! On peut donc constater que si du point de vue théorique il n’y a pas de différence entre les citoyens, du point de vue pratique, social et politique, cette différence-là, cette différence de traitement, elle est malheureusement réelle.

Mais plutôt que se doter d’outils pour changer cela, le gouvernement l’appuie malheureusement et l’accentue.

Je pense pour ma part que les musulmans, ne devraient pas se laisser catégoriser, il ne faut pas se laisser enfermer dans cette appartenance unique. Il faut vraiment être dans l’ensemble des compartiments de la société comme le serait un citoyen normal. İl n’y a pas de “vous et de nous”, il ya un grand “nous collectif” et à l'intérieur de ça, dans cette génération d'êtres humains qui vit en France, il y a des gens qui ont la nationalité, d’autres qui ne l’ont pas, d’autres qui ont telle confession, d’autres pas. Mais il ne faut pas accepter de se faire enfermer là-dedans. Sinon c’en est fini en fait, on se retrouve dans un ghetto ethnique, et il n’a pas besoin d’être physique pour être opérant. Il suffit qu’il soit psychologique.

- AA : Plusieurs femmes portant le foulard ont subi des agressions ces derniers mois. Comment peut-on expliquer cela ; les actes islamophobes ont-ils augmenté ? Quelle corrélation entre islamophobie et femmes, notamment celles qui portent un voile ? La visibilité musulmane pose-t-elle un problème en France ?

- MM : En fait, la responsabilité politique et administrative est énorme, car quand on désigne à longueurs d’années les musulmans pour cibles et quand on explique que “le foulard est une provocation”, quand on explique que “c’est le symbole de l’islamisme”, et que même au sein du gouvernement on valide ces positions racistes et on valide ces positions d'extrême droite, cela désigne les femmes musulmanes pour cibles.

Il ne faut pas s’étonner que des mosquées soient visées, ou bien des femmes musulmanes soient visées puisqu’on les a littéralement désignées pour cibles. On a expliqué que le “simple fait qu’elles portent un bout de tissu pour celles qui le choisissent, en fait ça fait d’elles des ‘ennemies de la République’”.

Il y a donc a des gens qui prennent ça au sens littéral, qui vont les traiter comme des ennemis, qui passent à l'acte et les agresser. Elles vont ainsi être discriminées, insultées, voire agressées physiquement dans la rue.

Il est malheureux de noter qu’entre 75 et 85 % des actes d’islamophobie visent des femmes musulmanes et notamment celles qui portent un foulard, puisqu’elles ont été littéralement désignées pour cibles. Mais ce qu’il est également important de comprendre c’est qu’elles elles ne sont pas protégées de ces discriminations et de ces violences-là qu’elles portent le foulard ou qu’elles ne le portent pas.

La discrimination va s’exprimer et va fonctionner dans des termes différents : à l’une qui porte le foulard on va expliquer “qu’elle n’est pas la bienvenue dans un service, dans une entreprise, dans un commerce ou autre”, alors que celle qui ne porte pas le foulard va être suspectée “ de s’absenter sur son temps de pause pour prier".

Si elle s’habille de telle manière pour le mois de ramadan, on va en faire une interprétation religieuse. Si elle demande, une promotion ou une évaluation dans le cadre du travail, parfois on va lui poser des questions tendancieuses qui débordent sur sa vie privée.

Je dirai donc que, malheureusement, il y a une corrélation très forte entre la forme de racisme contemporaine qu’on appelle l’islamophobie, et le sexisme qui vise les femmes. On voit des convergences entre ces différents modes d’oppression et cette corrélation est malheureusement durable. Dans l'accès à l'éducation, dans l'accès au travail, dans l'accès à la participation à la société française les femmes musulmanes cumulent un certain nombre de stigmates qui les bloquent dans leur parcours.

- AA : Comment voyez-vous la situation des Musulmans en France ?

- MM : Je pense d'abord qu’il y a une dimension psychologique à prendre en considération : il faut arrêter d’avoir peur. Vous n'êtes pas sur un siège éjectable, vous êtes des gens avec une dignité, avec une présence, avec un courage, avec une détermination que vous devez revendiquer. Sur quoi compte l'extrême droite en fait ? Elle compte sur le fait que les gens vont avoir peur, vont se cacher, partir, être réduits au silence. Elle compte qu’ils vont accepter de se faire traiter comme ça.

Il ne faut pas se fâcher, il ne faut pas s’énerver mais il ne faut pas se laisser faire non plus. Ça c’est le premier ressort et il est psychologique.

Le deuxième ressort, toujours psychologique, c’est de se construire une forme de fierté, une fierté sur le plan de l’implication dans la société, une fierté aussi d’être musulman. Il n’y a strictement rien de honteux, au contraire par rapport à ça.

Là, on est à İstanbul, dans un quartier historique ou il existe des vestiges historiques, un fort héritage culturel, un héritage musulman, un héritage chrétien, un héritage juif, un héritage de la période ottomane, mais aussi un héritage de la diversité de ce qu’a été İstanbul. C’est la même chose en France, la présence musulmane participe de cette richesse et participe de cette diversité culturelle.

Il faut en être fier !

Et puis, à un moment donné, il va falloir s’organiser. Les choses ne changent pas d'elles-mêmes. Elles ne changent pas sans intervention humaine. Connaître ses droits, se former, se soutenir les uns les autres, s’entraider, être présent pour aider et participer à des luttes pour aider d’autres personnes vulnérables dans la société, c’est ça qui fait qu’au fur et à mesure la société française devient de plus en plus cohérente et que les injustices, qu’elles soient sociales, économiques ou raciales sont plus facilement combattues.

Mais cela ne changera pas sans ce niveau d’organisation, de formation, d’implication non pas d’une minorité, mais de la majorité des musulmans, sinon, ils vont continuer à être des spectateurs de leur mise en cause systématique en commentant ce qui se passe à la TV mais en ne s’impliquant pas au quotidien pour changer les choses.

Cela n’est pas uniquement dangereux pour eux, mais également pour leurs enfants et pour la société française dans son ensemble. Parce que ce qui est en train de se passer c’est le basculement de la France dans un Etat, dans une politique et une idéologie d'extrême droite qui n’a pas de limites.

Aujourd’hui, l'extrême droite est aux portes du pouvoir. L’Etat de droit est véritablement en danger et si on ne fait pas quelque chose pour changer cela, nous nous retrouverons malheureusement dans une situation gravissime dans les années qui viennent. Cette responsabilité est collective et les musulmans et les musulmanes de France font partie de cette collectivité et doivent faire leur part.

- AA : Comment voyez-vous l’avenir des nouvelles générations musulmanes en France ?

- MM : Il est très difficile ne serai ce que d’entrevoir ce que la prochaine génération de musulmans va vivre. Ce que l’on sait aujourd’hui, malheureusement, c’est que de plus en plus de musulmans se posent la question de savoir s'ils doivent rester en France ou partir. Et on a maintenant un certain nombre d'études, de reportages qui sont menés, le New York Times ou Radio France l’ont évoqué, et selon des chercheurs de l’université de Lille, des musulmans diplômés, entrepreneurs, pères, mères de familles ou plus jeunes quittent la France par milliers. Ils quittent la France spécifiquement à cause de la discrimination et du racisme qui les visent, ils se disent a quoi bon de continuer à faire des efforts, si dans notre propre pays on n’est pas traité comme les autres citoyens.

Il y a donc cette dynamique-là qui est à l'œuvre et qui prend de plus en plus d’ampleur et c’est relativement inquiétant.

Nous avons par ailleurs des gens qui sont ghettoïsés, qui sont exclus, qui sont mis en souffrances parce que les questions sociales, les questions raciales, les questions économiques en France, restent des enjeux prédominants et quelque part ces formes de racismes elles sont aussi le moyen de servir de diversion par rapport aux questions sociales et aux questions économiques prégnantes et déchirantes.

Il ya des gens qui vivent dans la précarité aujourd’hui en France. Et l’islamophobie ne va pas avoir uniquement un impact idéologique ou politique, elle va avoir un impact sur la vie des gens et ça va aggraver par ailleurs des problématiques économiques et sociales, qui existent déjà en France.

Mais il y a un tel niveau de conscience et d’implication, notamment chez les jeunes musulmans, qui présagent de changements dans la société. L’islamophobie s’avère également être le symptôme d’un changement dans la société, quand on voit que dans les écoles d'ingénieur, dans les écoles de médecine, dans les entreprises, parmi les meilleurs boulanger, ou les meilleures artistes, les sportifs, la diversité de la société française se voit de plus en plus.

Le fait que cela fasse grincer des dents dans les rangs racistes pourrait même paraitre "normal". Pour eux, une femmes musulmane médecin, un homme noir qui devient universitaire de premier plan ou un musulman ou une musulmane qui va s’impliquer dans la société sans renier sa personnalité, sans renier sa foi, ses origines, ni sa culture, tout en étant parfaitement français, cela vient faire voler en éclats le logiciel raciste et c’est ça aussi qui explique, l’animosité, la violence et la brutalité des réactions et des soubresauts de cette machine-là a l’heure actuelle.

- AA : Lors d’une conférence en France, vous aviez raconté une anecdote concernant votre papa et l’administration en France. Pourriez-vous nous en faire part ?

- MM : Oui ! En fait mon père, qui avait des petites difficultés en langue française et avait un accent très prononcé, avait des papiers à renouveler à la préfecture. Or, à chaque fois qu’il arrive au guichet, la personne lui dit qu’il manque tel fichier, tel document, ou tel papier et ainsi de suite. À la fin il s’est dit "pas de problème". Un jour on a pris la journée, il est venu avec un sac rempli de tous ses papiers, il les a posés sur la table et il a dit “merci beaucoup madame, je vois que vous êtes quelqu’un de très compétente, quel que soit le papier qui manque, il est là, donc je pense que vous allez pouvoir m’aider, et comme vous êtes de bonne volonté c’est sure qu’on va y arriver”.

Je cite parfois cette anecdote parce que l'état d’esprit de mon père, c’est de mettre les gens dans une situation où ils ne vivent plus de blocage : ce n’est pas “est ce que tu veux oui ou non m’aider ?”, la question “c’est puisque tu es compétent et tu es de bonne volonté, comment tu vas m’aider à résoudre le problème ?".

Je trouve que c’est une bonne image, puisqu’il ne s’agit pas de se demander si les noirs, les arabes, les turcs, les asiatiques, les juifs de France, vont partir ? Non, ils font partie de ce pays, ils définissent ce pays comme n’importe qui d’autres en France. La question ce n’est pas “est-ce qu’ils vont partir, oui ou non ?”, la question c’est “comment est-ce qu’on va vivre ensemble ? Comment est-ce qu’on va apaiser les choses ? Comment est-ce qu’on va résoudre les points de tensions et les injustices qui existent au sein de la société française ? ”

- AA : Un dernier mot sur votre voyage en Türkiye ?

- MM : Je suis en vacances en famille, nous avons entrepris un road trip à travers l’Europe qui nous a menés jusqu’en Türkiye. İstanbul est une ville que j’aime particulièrement, parce que j’y ai beaucoup d’amis et que j’ai eu l’occasion de venir souvent.

J’apprécie particulièrement la nature turque et la simplicité de la vie des familles turque. J’ai eu l’occasion surtout d’aller dans des zones rurales au sein de familles, dans des petits villages, au sein de petites communautés locales, et l’accueil qui nous est réservé me touche particulièrement.

Voyageant en plus avec des enfants, je me rends compte que dans n'importe quelle ville, il y a des activités pour enfants ce qui est pratique quand on est en famille. Les turcs sont les professionnels du pique-nique et des sorties en famille, et ça aussi on l’apprécie. Mais aussi, le fait d'être dans une ville qui a une histoire en fait, une histoire avec une telle richesse et une telle diversité, cela me plait forcément.

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