"La France doit cesser de diaboliser les Musulmans pour éviter un scénario semblable à celui qu’ont connu les Juifs" (Edwy Plenel, président de Médiapart)
"Les français doivent comprendre qu’on peut vivre l’un avec l’autre, pas l’un sans l’autre ou l’un contre l’autre, ou encore l’un malgré l’autre, mais véritablement l’un avec l’autre".

AA/Tunis/Esma Ben Said
Les musulmans, nouveaux boucs-émissaires de la France, doivent être acceptés et intégrés si l’on ne veut pas tomber dans un engrenage semblable à celui qui a conduit à l’extinction de millions de juifs durant la seconde guerre mondiale, juge EdwyPlenel, président de Mediapart et auteur de l’ouvrage « Pour les musulmans ».
« Aujourd’hui, en France, on diabolise les musulmans, comme on avait diabolisé les juifs et les tziganes durant le siècle dernier », a estimé, Plenel, lors d’une rencontre-débat, tenue samedi à Tunis, à l’Institut Français, et placée sous le thème « Nos causes communes ».
« Quand la chancelière allemande Angela Merkel a dit un jour, l’Islam appartient à l’Allemagne, j’aurais aimé entendre ça de la France», a-t-il déclaré.
Merkel qui s’était exprimée à la suite des attentats perpétrés par des « jihadistes » en France les 7 et 9 janvier 2015 et qui ont fait 17 victimes, entendait « envoyer un signal très fort pour la cohabitation paisible des différentes religions en Allemagne» alors que le mouvement allemand anti-islam Pegida espérait, selon certains observateurs, « profiter de l’occasion pour gonfler ses troupes ».
«Les français doivent comprendre qu’on peut vivre l’un avec l’autre, pas l’un sans l’autre ou l’un contre l’autre, ou encore l’un malgré l’autre, mais véritablement l’un avec l’autre», a insistéPlenel, estimant qu’on pouvait être sans mal à la fois « français et musulman».
Alors que son ouvrage, « Pour les musulmans », publié en 2014 aux éditions La Découverte, a créé la polémique, ses détracteurs estimant que la vision de l’auteur est celle de « l’indignité de l’homme blanc dominateur marqué pour l’éternité de la flétrissure colonialiste », Plenel a indiqué que cet ouvrage aurait tout à fait pu s’appeler « Pour la France », tant il se veut un appel à la cohésion.
« J’ai choisi « Pour les musulmans » en résonnance à un article d’Emile Zola qui s’intitule « Pour les Juifs », écrit deux ans avant le célèbre«J’accuse» », a indiqué l’ancien directeur du « Monde ».
Dans son article publié dans le Figaro, le 16 mai 1896, Zola avait pris parti publiquement pour les Juifs, en s’opposant aux campagnes antisémites de « La libre Parole », le quotidien dirigé par Edouard Drumont.
« A cette époque, on diabolisait une partie de l’humanité, qu’était les Juifs, mettant en péril tout un peuple, l’attaquant pour ce qu’il était, pas pour ce qu’il faisait. Aujourd’hui, les mêmes attaques se font contre les musulmans, également dans les médias, par des personnes qui se disent être des intellectuelles», analyse le journaliste.
« Les mots violents utilisés contre la communauté musulmane, installe l’indifférence, et plonge le pays dans un engrenage terrifiant. Même si nous ne sommes pas dans un scénario de « solution finale», il faut arrêter la violence qui épouse les craintes du moment et qui habitue l’opinion publique à la discrimination », a-t-il encore jugé.
« Ce livre est donc une alarme face au fait que les préjugés contre les musulmans habituent à l’indifférence et à l’inhumanité. Dans un pays des droits de l’homme, c’est évidemment intolérable », a martelé l’auteur.
« Comment pouvons-nous accepter l’indifférence face à ces discriminations ou encore s’indigner d’accepter la venue, en deux ans, de 24 mille réfugiés syriens quand on sait que si aujourd’hui, la France est libre, c’est grâce aux autres pays, c’est grâce aux 66% de troupes coloniales qui se sont battues pour elle », a-t-il lancé, rappelant par la même occasion que la France « est en dette par rapport aux pays qu’elle a colonisé ».
Dans le même temps, il faut refuser la victimisation, a fait savoir l’auteur. « La victimisation crée du ressentiment et cette dernière est la voie où peuvent survenir des chemins de perdition. Si la jeunesse est en mal d’idéal, si on la rejette elle choisira des voix extrêmes. Il faut intégrer ce monde pour ne pas le perdre » a-t-il dit.
« La France que nous devons défendre c’est la France multiple, celle qui est à l’image des 17 victimes de janvier. Juifs, martiniquais, algérien, tunisien, français. Ces victimes étaient le visage de la France », a indiqué Plenel, rappelant que le sauveur de l’hypercasher, était malien, sans papiers, un migrant « pas venu voler le pain des français mais juste venu travailler ».
« Lassana Batiny, a sauvé ceux qu’il considérait être « ses frères », sans même y voir un acte de bravoure. Pour lui, c’était normal et c’est cette France que nous devons défendre ». Citant Nelson Mandela, l’ex directeur du « Monde » a également défendu l’idée d’un « pays arc-en-ciel ».
« Nous devons nous associer, c’est notre force. Nous devons accepter notre pluralité car seul un mouvement collectif peut nous sauver. Le multiculturalisme n’est pas une division, il est un avantage», a-t-il répété à plusieurs reprises.
Enfin, Plenel a estimé qu’il fallait revenir à « la laïcité originelle de 1905 ».
« La France laïque, était la France où on intégrait tout le monde, sans distinction de croyance. Car une démocratie vivante n’est pas la loi de la majorité mais le souci des minorités. Il ne faut pas rendre invisible les religions, mais les accepter comme cela était fait en 1905 où on respectait la différence et où celle-ci n’empiétait pas sur le collectif», a-t-il ajouté.
« Nous vivons un moment de transition difficile, le vieux monde se meurt et le nouveau a du mal à naitre. Mais c’est en acceptant d’être uni et en défendant nos causes communes que nous y parviendrons », a-t-il conclu.