L’Otan fête son 73e anniversaire : L’Alliance à l'épreuve de la guerre d’Ukraine*
- Difficile de prévoir les répercussions de la guerre d’Ukraine sur l’avenir de l’Otan. La gigantesque partie d’échecs qui se joue actuellement sur l’échiquier mondial est annonciatrice de gros périls.

Tunisia
AA / Tunis / Hmida Ben Romdhane*
La guerre en Ukraine remet l'Otan sur le devant de la scène. Pièce maîtresse du puzzle du conflit qui fait rage, l’Alliance atlantique, qui souffle ce 4 avril sa 73e bougie, est, incontestablement, à la croisée des chemins. En 1997 déjà, cinquante experts en politique étrangère, dont d’anciens sénateurs, des officiers militaires et des diplomates, avaient envoyé une lettre au président Clinton pour signaler leurs objections quant à l’élargissement de l’Otan : « Nous soussignés pensons que les manœuvres actuelles des États-Unis pour élargir l’Otan [...] constituent l’une des pires erreurs politiques de son histoire. De notre avis, l’expansion de l’Otan aura pour effet de réduire la sécurité de ses membres et de mettre en péril la stabilité européenne ». Aujourd'hui, alors que la stabilité européenne est, justement. mise à rude épreuve, c'est l'avenir de l’Alliance même qui est en jeu.
- Douze signataires
Le 4 avril 1949, douze ministres des Affaires étrangères signent à Washington le traité instituant l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Les douze signataires sont dix pays européens (Belgique, Hollande, Luxembourg, France, Grande-Bretagne, Danemark, Islande, Italie, Norvège, Portugal) et deux pays nord-américains (Etats-Unis, Canada).
Mais il convient d’avoir une idée claire sur le nouveau contexte mondial dans lequel deux blocs rivaux, (l’un à l’Est, l’autre à l’Ouest) se sont trouvés face à face. Aucune période historique n’a vu des bouleversements aussi profonds que ceux enregistrés au cours de la première moitié du XXe siècle, plus précisément entre 1914 et 1949.
En effet, en l’espace d’une génération, le monde a vécu deux guerres mondiales d’une violence et d’une cruauté sans précédent ; deux révolutions (la Russe en 1917 et la Chinoise en 1949) dont l’intensité et l’impact sont aussi sans précédents ; la chute de cinq empires – l’Ottoman, l’Austro-hongrois, l’Allemand, l’Italien et le Japonais- ; enfin, le déclin brutal des deux systèmes coloniaux britannique et français.
Echaudés par l’extraordinaire violence qui a marqué le monde durant la première moitié du XXe siècle, les douze pays signataires du traité ont cherché à se protéger contre la menace montante du communisme qui, sous la houlette de l’Union soviétique, a déferlé sur de nombreux pays de l’Europe de l’Est.
Cette crainte s’est renforcée par l'explosion, en septembre 1949, de la première bombe atomique soviétique et le déclenchement, en juin 1950, de la guerre de Corée, ce qui accéléra la mise en place de la structure militaire intégrée de l’Alliance atlantique.
En 1952, la Grèce et la Turquie rejoignent l’Otan, suivies en 1955 par l’Allemagne de l’ouest. La signature par celle-ci de son adhésion à l’Organisation atlantique a précipité la fondation du Pacte de Varsovie. Les dates des deux événements sont significatives : le 5 mai 1955, adhésion de l’Allemagne de l’ouest à l’Otan. Juste neuf jours plus tard, le 14 mai 1955, le monde assiste à la naissance du Pacte de Varsovie comprenant l’URSS, l’Albanie, la République démocratique allemande, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie.
Le 30 mai 1982, l'Espagne devient le seizième membre de l'Alliance atlantique.
Les événements qui ont secoué entre 1989 et 1991 l’URSS et les pays de l’Europe de l’Est ont abouti à la chute du mur de Berlin, la dissolution du pacte de Varsovie, la réunification de l'Allemagne et l’effondrement de l'Union soviétique. Fin de la guerre froide couronnée par la victoire de la superpuissance américaine sur la superpuissance soviétique et de l’Otan sur le Pacte de Varsovie.
Bien que les raisons qui ont engendré la création de l’Otan aient disparu, ses membres n’ont pas jugé nécessaire de la dissoudre. Bien au contraire, en dépit de la promesse faite par Bush père à Gorbatchev que l’Alliance n’avancera pas d’un iota vers l’Est, la politique de « la porte ouverte » suivie par l’Otan a encouragé pratiquement tous les ex-alliés de l’URSS à y adhérer.
C’est ainsi que La République tchèque, la Hongrie et la Pologne sont devenues membres en 1999 ; en 2004, c’est au tour de la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie d’adhérer ; l’Albanie et la Croatie sont devenues membres en 2009 ; enfin, en 2016, le Monténégro devient le vingt-neuvième membre de l’Alliance atlantique.
- Première campagne aérienne
Les interventions militaires de l’Otan ont commencé avec l’aggravation des troubles en ex-Yougoslavie. La première campagne aérienne a été effectuée en 1995. Elle visait l'armée de la république serbe dont la présence en Bosnie représentait un danger pour les « zones de sécurité » des Nations unies. Ces bombardements ont contribué à l’adoption des accords de Dayton.
La deuxième grande opération aérienne de l’Otan a été effectuée en 1999. Près de trois mois de bombardements intensifs contre la Serbie et les forces serbes au Kosovo ont fini par imposer aux parties en conflit le traité qui a mis fin à la guerre au Kosovo.
A la suite des attentats du 11 septembre, les Etats-Unis ont invoqué l’article 5 de la charte de l’Otan qui stipule que « toute attaque contre un membre est considérée comme une attaque contre tous les membres ». Le 20 décembre 2001, la résolution 1386 du Conseil de sécurité de l’ONU a approuvé à l’unanimité la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), une coalition multinationale dirigée par l’Otan et visant à faire respecter la paix en Afghanistan.
La plus désastreuse intervention militaire de l’Otan a été effectuée en Libye en 2011. Intervenue pour « protéger la population civile », l’Alliance militaire atlantique s’est contentée de détruire les structures de l’Etat que dirigeait Mouammar Kadhafi, laissant le peuple libyen dans une anarchie sanglante qui dure depuis plus d’une décennie.
L’élection de Donald Trump en 2016 a fait vivre à l’Otan sa plus grande crise existentielle. L’ancien président américain ne laissait passer aucune occasion sans fustiger l’Alliance atlantique. Derrière son slogan « America first », se profilait sa détermination à désengager son pays de nombre de structures multilatérales, y compris l’Otan.
Son principal grief était d’ordre budgétaire et financier. Les États-Unis sont le principal contributeur au budget général de l’organisation : leur contribution directe au budget de l’OTAN s’est élevée en 2018 à plus de 22 %, devant l’Allemagne (14 %), la France (10 %) et le Royaume-Uni (9,8 %). Ils sont également le principal fournisseur d’effectifs militaires et civils. Trump estimait que le fardeau est excessif pour les finances publiques américaines. L’effort de défense américain n’est, selon lui, payé que d’ « une ingratitude insigne de la part des alliés européens ». Beaucoup de commentateurs se demandent aujourd’hui si l’Otan aurait survécu si Donald Trump avait été réélu ?
Du côté européen de l’Atlantique, faisant écho aux fustigations de Donald Trump, le président français Emmanuel Macron n’a pas hésité en 2019 à déclarer « la mort cérébrale » de l’Otan. Ce constat fait par le président français a fait couler beaucoup d’encre.
Ainsi Jocelyn Coulon, expert canadien de l’« Institute for peace and diplomacy », estime que « le paysage stratégique où évolue l’Otan a changé, et pas seulement sous l’effet de Donald Trump. Les États-Unis ont ignoré leurs alliés en 2003 lors de la guerre contre l’Irak. Dix ans plus tard, Barack Obama a refusé de frapper la Syrie après une attaque aux armes chimiques, laissant en plan la France dont les avions de combat étaient prêts à décoller. Le président démocrate a de plus amorcé le basculement des États-Unis vers l’Asie, une façon de dire que les théâtres européens et moyen-orientaux sont devenus secondaires. Trump en a rajouté en déclarant l’OTAN obsolète. »
Pour Serge Sur, universitaire français de l’Académie des sciences morales et politiques, « il est clair que l’OTAN n’a pas défini son rôle dans le désordre international actuel. Si elle a été un bouclier efficace durant quarante ans face au bloc soviétique, n’est-elle pas devenue une passoire stratégique, inefficace face aux nouvelles menaces sécuritaires telles que le terrorisme international, les conflits sociétaux, les migrations massives, la cybersécurité ? »
Sur un autre plan, Ryan McMaken, expert dans ‘Mises Institute’, pense que « dans une organisation de sécurité collective comme l'OTAN, les Américains se retrouvent dans une position de soutien financier massif à cette institution de défense militaire d'États étrangers qui non seulement bénéficie des largesses financières consenties par les contribuables américains, mais a le potentiel de transformer les guerres régionales en une troisième guerre mondiale. »
- Plus grave crise sécuritaire de l’Otan
En effet, la plus grave crise sécuritaire de l’Otan est celle qu’elle est en train de vivre depuis le 24 février, jour de l’intervention des troupes russes en Ukraine et où, pour la première fois le risque de troisième guerre mondiale est évoqué sérieusement.
Il faut dire que l’origine de cette crise remonte au sommet de l’Otan de 2008 à Bucarest. En dépit de la ferme opposition de la France et de l’Allemagne, la déclaration finale du sommet, sous la pression des Etats-Unis, a promis l’adhésion à l’Otan de la Géorgie et de l’Ukraine.
La Russie, qui n’a rien pu faire face à l’avancée de l’Otan vers ses frontières au cours des différentes vagues d’adhésion, a annoncé après le sommet de Bucarest son entière opposition à l’adhésion de ses voisins de l’Est, la Géorgie, et de l’Ouest, l’Ukraine, qualifiant de telles perspectives de « ligne rouge ».
Depuis, la succession des événements dramatiques en Ukraine ont renforcé à la fois l’attachement des autorités ukrainiennes à l’adhésion à l’Otan, et la crainte de la Russie qui se sent de plus en plus encerclée.
Washington a refusé de considérer les demandes de « garanties de sécurité » qu’exigeait le président russe Vladimir Poutine et dont le principal point était de ne pas accueillir l’Ukraine au sein de l’Otan. La réponse hautaine du président Joseph Biden à son homologue russe que « l’Otan ne renoncera pas à sa politique de la porte ouverte et que ce n’est pas à la Russie de dire qui adhère ou non » a fini par convaincre Poutine de l’impossibilité d’une solution diplomatique. D’où la guerre, déclenchée le 24 février 2022 qui a mis l’Otan dans une situation inextricable.
Ayant pour mission d’assurer la paix et la sécurité en Europe, l’Otan se trouva dans un état de paralysie. Elle ne peut ni appliquer l’article 5 de la Charte (l’Ukraine n’est pas membre), ni répondre par la force à l’intervention russe, sans courir le risque d’un conflit nucléaire majeur, dévastateur pour la civilisation humaine dans son ensemble.
Reste la voie diplomatique. En tant qu’organisation à vocation militaire, l’Otan n’est pas habilitée à jouer les conciliateurs. Ce rôle est assumé par des pays membres comme la Turquie, la France et l’Italie.
Difficile de prévoir les répercussions de la guerre d’Ukraine sur l’avenir de l’Otan. La gigantesque partie d’échecs qui se joue actuellement sur l’échiquier mondial est annonciatrice de gros périls. D’un côté, les Etats-Unis sont déterminés à empêcher l’émergence d’un monde multipolaire dans lequel ils perdraient leur statut de puissance dominatrice. De l’autre la Russie et la Chine sont tout aussi déterminées à imposer un monde multipolaire où les Etats-Unis ne seront plus qu’un pôle parmi d’autres.
Il ne fait pas de doute que les stratèges américains tenteront d’utiliser le potentiel militaire et logistique de l’Otan dans le bras de fer qu’ils se préparent à engager avec la Chine. Les deux principales questions qui se posent ici sont les suivantes : les pays européens membres de l’Otan accepteront-ils de s’engager à côté des Etats-Unis dans leur stratégie de confrontation avec la Chine ? Ou alors, tirant la leçon des terrifiantes conséquences économiques de la guerre d’Ukraine sur leurs économies, ils opteront plutôt pour une approche coopérative avec le géant chinois ? L’avenir de l’Otan dépend des réponses que l’on donne à ces questions.
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(*) Hmida Ben Romdhane est journaliste à la retraite, ancien rédacteur en chef international, puis PDG du journal La Presse de Tunisie.
(*) Les opinions exprimées dans ce papier n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.