
AA/ Paris/ Bilal Muftuoglu
Les contrats successifs de Rafale, acheté uniquement par la France depuis sa fabrication en 1988, en l'espace de trois mois en 2015, seraient liés à la détérioration du contexte sécuritaire au Moyen-Orient et transformeraient la France en un exportateur ''fiable'' d'armes, selon les experts.
Commandés pour la première fois par l'Egypte en février, suivi de l'Inde et du Qatar en début de semaine, les Rafale permettraient par ailleurs un soulagement financier à l'armée française, n'ayant plus la contrainte d'acheter davantage d'avion de chasse fabriqué par Dassault.
Selon Justin Bronk, spécialiste de la défense aérienne chez Royal United Services Institue (RUSI), ce ne sont pas des améliorations soudaines des aspects techniques de Rafale qui ont permis les ventes en série mais plutôt le changement des équilibres politiques et les besoins militaires de ses acquéreurs.
''La détérioration récente de l'environnement au Moyen Orient a permis une accélération des discussions''
Rappelant que l'Egypte a une tradition de commande de l'équipement militaire français, Bronk tient à préciser que l'Egypte a eu des soucis sécuritaires après la suspension de l'aide militaire américaine en réponse à l'arrivée au pouvoir d'Abdel Fattah Al-Sissi. ''L'Egypte a eu le besoin de diversifier ses sources d'approvisionnement et réduire sa vulnérabilité politique peu après la suspension de livraison des F-16 américaines'', note-t-il.
La date de la commande du Qatar est encore plus intéressante pour Bronk, d'autant plus qu'elle relève du changement des dynamiques régionales. Elle serait donc intéressante dans un contexte tendu avec l'Iran qui s'apprête à commander bientôt des missiles de haute technologie de la Russie.
''La qualité intrinsèque de l'appareil ou le tarif ne sont pas les seuls déterminants d'une telle commande'', évoque de son côté Yan Derocles, analyste chez Oddo Securities. ''La détérioration récente de l'environnement au Moyen Orient a permis une accélération des discussions avec l'Egypte ou le Qatar'', ajoute-t-il.
S'agissant de l'Inde, Bronk indique que ce pays s'est trouvé dans l'obligation de trouver urgemment un fournisseur d'armes, au vu de nombreux contrats d'armes entre le Pakistan et la Chine et l'inefficacité avérée de ses propres avions de chasse, Tejas. L'Inde a fini par choisir une alternative, la France, dès lors que ses aéronefs d'origine russe (Mikoyan - MiG) ont connu de graves pannes techniques ces dernières années.
- Les ventes de Rafale, une ''bouffée d'oxygène'' pour le budget militaire français
Pour ce qui est de l'impact financier de la vente des Rafale, à la fois pour la France et pour les pays acquéreurs, les experts soulignent que la France pourrait faire de grandes économies. Bronk note ainsi, ''Si ce n'était pour les ventes à l'étranger, la France aurait eu l'obligation d'acheter davantage de Rafale qu'elle désire avec ses problèmes budgétaires. Les contrats de Rafale évitent la fermeture de ligne de production de Rafale et permettent de grandes économies''.
Selon Derocles, les trois contrats qui risquent de générer 20 milliards d'euros, permettent de repousser les livraisons de Rafale destinées à l'armée française et ''apportent une bouffée d'oxygène bienvenue au financement de la Loi de Programmation Militaire''.
''Les économies réalisées sur le report des livraisons de Rafale garantissent en effet la disponibilité des fonds pour d'autres programmes d'armement et limitent le risque d'annulation de programmes'', met en relief l'analyste chez Oddo Securities.
En revanche, Bronk met en garde contre un risque financier devant la France, celui d'engager à ne pas augmenter les prix des Rafale lors de leur production et livraison aux pays concernés. En effet, la France passe par des contrats intergouvernementaux, sans que le constructeur Dassault soit directement impliqué, elle achètera donc à ce dernier les Rafale aux prix qui risquent de varier dans le futur, pour les vendre finalement à des prix fixés en 2015.
D'autre part, revenant sur la qualification par le président Fraçois Hollande de la France comme étant un pays "fiable" au Moyen-Orient, lors de sa visite au Qatar, Bronk affirme que son pays se veut être exportateur d'armes de défense.
- ''D'autres contrats à l'horizon''
Les contrats de Rafale risquent de se multiplier dans les prochains mois, selon les experts, dès lors que la France confirme sa place parmi les grands noms de l'industrie de défense aérienne. Selon Derocles, la Malaisie, l'Indonésie et la Belgique seraient parmi des acquéreurs potentiels comme les Emirats arabes unis, où mène actuellement une campagne le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian. Pourtant, les Emirats pourraient davantage être séduits par le Typhoon, avion de chasse européen, selon Bronk.
La France n’avait pas trouvé d’acheteurs pour son avion de chasse Rafale durant 27 années, notamment à cause de son prix élevé et de la complexité de son utilisation. Paris avait finalement réussi à en vendre 24 à l’Egypte pour 5,2 milliards d'euros, en février dernier, et 36 à l’Inde, en avril. Le Qatar est devenu cette semaine le troisième pays, à acquérir de l'avion ''Made In France'', à savoir 24 unités pour 6,3 milliards d'euros.
Le constructeur français Dassault Aviation a ainsi évité de multiplier les fiascos aux Pays Bas (2002), en Corée du Sud (2002), au Singapour (2005) au Maroc (2007) et au Brésil (2013), le réduisant à une dimension purement nationale, en tant que fournisseur de l'armée française.