France: il fut une époque où on venait en soutane et en «burnous» à l’Assemblée nationale
- Depuis quelques jours, le "châle" d'une députée de Mayotte suscite la polémique. Ses détracteurs considèrent qu'il s'agit d'un signe ostentatoire religieux alors que c'est pour elle, une "tradition mahoraise"

France
AA/France/Esma Ben Said
Depuis plusieurs jours, une photo de la députée LREM (La République en marche, majorité présidentielle en France) de Mayotte, Ramlati Ali fait polémique sur les réseaux sociaux.
La raison ? Lors de son arrivée à l'Assemblée nationale, Ramlati Ali a été photographiée avec la tête à moitié couverte d’une écharpe, révèle la photo officielle qui figure notamment sur le site internet du palais Bourbon.
Aussitôt, les commentaires sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter ont fusé : « l’étendard de la charia fait son entrée à l’Assemblée nationale », « la députée Ramlati Ali bafoue la loi de la République », « le voile de Ramlati est une grave atteinte à la laïcité », etc.
« Ali Ramlati respecte-t-elle la laïcité avec le port du voile ? », s'interroge encore sur Twitter Aurélien Dutremble, responsable à la communication du Front national (Extrême-droite) dans l'Ain.
- Le port d’ « un châle », contraire aux valeurs de la République française ?
Si pour un fonctionnaire, porter un signe religieux (voile, croix) est interdit, il n’en est pas de même pour les députés qui, de fait, ne sont pas neutres.
Ainsi, appartenir à un parti chrétien-démocrate (Christine Boutin) ou encore arborer une croix catholique imposante comme le fait la Députée des Bouches-du-Rhône et Porte-Parole des Républicains, Valérie Boyer, ne bafouent en rien la laicité.
« Ali Ramlati est parfaitement dans son droit de porter le hijab au sein de l'Assemblée nationale », soutient en ce sens, Philippe Marlière, professeur de politique européenne et française à l’University College de Londres sur son compte Twitter.
Face aux multiples attaquent, la parlementaire n’a pas hésité à prendre la parole : « Mon châle ? Je suis mahoraise et je me respecte en tant que mahoraise. Ce n’est pas un voile, c’est mon châle de mahoraise », a-t-elle dit mardi, lors d’une interview avec la chaine Outre-mer 1ere.
« Dans l’hémicycle, je me confonds dans la masse. Il ne s’agit pas de parler de ma personne, il s’agit de porter les idées d’Outre-mer et de la Nation », a-t-elle déclaré.
Et de conclure : « Je trouve que de la part de l’Extrême droite c’est de l’hypocrisie parce que Marine le Pen (députée FN) est venue à Mayotte et elle a été trop bien reçu en mon sens, par des femmes qui portaient le châle mahorais, et elle-même a été habillée en mahoraise et je ne l’ai pas entendu dire quoique ce soit. Donc, c’est de l’hypocrisie ».
-Qui est Ramlati Ali ?
Ramlati Ali a été élue première femme députée de Mayotte, le 101 ème département français (qui compte 95% de musulmans sur près de 213 mille habitants), en remportant 50,17% des voix au terme d’une course serrée avec le candidat LR Elad Chakrina, selon des résultats officiels.
Première mahoraise médecin (en 1996) Ramlati Ali, a également été maire de Pamandzi (Sud) de 2008 à 2014.
Véritable symbole de la femme, la parlementaire avait déclaré à la presse locale : « ma victoire est une bonne chose pour toutes les femmes mahoraises, pour nos petites soeurs et nos enfants ».
« Il faut qu'on montre qu'une femme peut aussi prendre ses responsabilités. On ne sait pas faire que le Mataba (NDLR : plat traditionnel de Mayotte), on peut aussi faire autre chose », avait-elle encore dit.
- Quand l’Assemblée nationale était « tolérante »
Dans un billet daté du 05 octobre 2016, Samir Hammal, enseignant à Sciences Po en institutions politiques et créateur d'un cours sur « les habits du pouvoir », était revenu sur les « défilés vestimentaire » de l’Assemblée Nationale.
Il a ainsi rappelé que c’est dans un premier temps « la soutane qui s'imposa sur les bancs de l'hémicycle à la faveur des législateurs hommes d'Église ».
Citant l'abbé Sieyès, l'abbé Grégoire, l'évêque Talleyrand (qui fut même Président de l'Assemblée nationale constituante) l'abbé Pierre (fondateur du mouvement Emmaüs), Hammal rappelle que le résistant chanoine Kir « fut le dernier prêtre député à avoir porté la soutane sur les bancs de l'hémicycle » et qu’il eut (pour l’anecdote), à la tribune, la formule suivante : « Mes chers confrères, on m'accuse de retourner ma veste et pourtant, voyez, elle est noire des deux côtés ».
« La soutane a donc traversé les régimes politiques, et plus curieusement n'a pas disparu des Chambres républicaines après l'adoption de la loi de séparation des Églises et de l'État, alors que la chapelle de l'Assemblée ferma ses portes et que les prières publiques d'ouverture des sessions furent supprimées au cours du XIXème siècle », poursuit l’enseignant.
Plus surprenant encore, l’habit traditionnel arabe a eu, lui aussi ses heures de gloire au Palais Bourbon.
Ainsi, « Philippe Grenier, fils d'un capitaine de cavalerie de Napoléon III ayant servi dans les chasseurs d'Afrique à Mostaganem. Admirateur de la culture musulmane de l'Empire colonial français, il étudie le Coran, se convertit à l'Islam et, après un pèlerinage à La Mecque, adopte définitivement la gandoura traditionnelle des berbères », renseigne Hammal.
Surnommé le « député des musulmans de France », venait au Parlement en burnous, coiffé de son turban et de bottes marocaines et faisait même ses ablutions dans la Seine.
Jusqu'au début de la Vème République, (avant l’indépendance des pays colonisés) les costumes traditionnels d’Afrique noire ou du Maghreb, étaient, eux aussi à la pointe de la mode, «remettant en cause le sacro-saint combo veste et cravate », d’après le professeur en sciences politiques.
« Notamment chez les très nombreux députés représentant les départements d'Algérie. Parmi eux, Saïd Benaisse Boualam, dit le bachaga Boualam, capitaine de l'armée française, quatre fois vice-président de l'Assemblée nationale, n'hésitait pas à arborer burnous et turban blanc, tranchant ainsi dans les travées où les costumes sombres dominaient »,écrit-il encore.
C’est « la fin de l'Algérie française marquera la fin de son mandat et du même coup la disparition des tuniques berbères au Parlement », renseigne le spécialiste.
Alors que les chambres ont été marquées par une diversité des identités culturelles et religieuses aujourd’hui, le moindre signe distinctif enflamme la sphère politique.