Expert : Les Talibans sont bien différents de ce qu’ils étaient il y a 20 ans (Interview)

Ad Dawhah
AA/Ahmed Youssef
Le spécialiste en affaires afghanes, Ahmed Mouaffek Zeidane, estime que le Mouvement des Talibans a beaucoup appris de son contact avec le monde et qu'il diffère aujourd’hui de ce qu'il était il y a de cela 20 ans.
Le Mouvement s’était emparé, dimanche, de la capitale Kaboul, récupérant ainsi le pouvoir qu’il a perdu, en 2001, lorsqu'une coalition militaire internationale, conduite par Washington, avait renversé le pouvoir des Talibans étant liés à l'époque à l'organisation Al-Qaïda, qui avait revendiqué les attaques du 11 septembre de la même année qui ont frappé les Etats-Unis.
Auteur de l'ouvrage « Un long été afghan », Zeidane a indiqué que « cette question n'est pas inhérente uniquement au Mouvement des Talibans, lorsqu'il s'agit d'évoquer l'expérience du pouvoir et de l'épreuve ».
Il a ajouté, dans une interview accordée à Anadolu, qu'il « s'agit d'une responsabilité islamique et de voisinage que celle de coopérer avec le Mouvement et non pas de le mettre en échec, dès lors qu’à ce moment-là, c'est le peuple afghan et le monde entier qui paieront le prix ».
Depuis le mois de mai dernier, les Talibans avaient commencé à élargir la sphère de leur influence et de leur domination en Afghanistan, simultanément avec le début de l'ultime étape du retrait des forces américaines, retrait devant être parachevé le 31 du mois présent.
Le Mouvement avait pris le contrôle, en une dizaine de jours environ, de l'ensemble du pays, et ce en dépit des milliards de dollars dépensés par les Etats-Unis et l'alliance transatlantique, l'OTAN, en l'espace de 20 ans, pour construire des forces de sécurité afghanes.
- Des signaux rassurants
Zeidane se dit convaincu que « le paysage offert par les Talibans, lors de la passation du pouvoir et de l'accès dans la capitale Kaboul et dans les autres villes, ainsi que le traitement réservé aux institutions de l'Etat, rassurent les acteurs internes et est supposé également rassurer l'extérieur ».
« Comparez l'entrée des Talibans avec la sauvagerie de l'entrée de la Coalition internationale (conduite par Washington) à Bagdad en 2003, voire avec l'entrée des contestataires dans le Capitole (Siège du Congrès à l'époque de l'ancien président américain Donald Trump 2017 2021) », a-t-il poursuivi.
Sans combattre, les Talibans ont accédé, dimanche à Kaboul, et décrété, le surlendemain, l'amnistie générale destinée aux fonctionnaires de l'Etat, tout en appelant les femmes à prendre part à son prochain gouvernement et en s'engageant à ce que le territoire afghan ne sera pas le point de départ d'attaques lancées contre un quelconque Etat.
Zeidane a ajouté « ce qu'ont fait les Talibans en préservant les institutions gouvernementales, qui fonctionnent toujours avec le même personnel, est un point encourageant et n'oublions pas que nous sommes en Afghanistan et que chaque peuple a ses spécificités ».
En réponse à la question « Est-ce que la prochaine étape sera une épreuve et un test pour les Talibans? », notre interlocuteur a rétorqué : « Certes, cette étape constituera une épreuve mais nous devons nous rappeler qu'ils avaient gouverné pendant quatre ans et disposent ainsi d'une expérience et de relations multiples, en particulier, avec le Pakistan, le Qatar, la Turquie et d'autres pays, mais il n'en demeure pas moins que cela demeure une épreuve. Attendons voir ».
- Une victoire ou un accord ?
Evaluant l’avancée des Talibans, Zeidane a relevé que « ce qui s'est passé jusqu’à présent est une victoire réelle reflétée par les déclarations occidentales ».
« The New-York Times a écrit que c'est la fin de l'époque américaine et The Independent a écrit que l'humiliation de l'Occident en Afghanistan est achevés, tandis que The Telegraph a rapporté que l'Occident a fui l'Afghanistan », a ajouté notre interlocuteur.
Et Zeidane de renchérir « ce qu'a déclaré le président américain, Joe Biden, au sujet de l'Afghanistan comme étant le tombeau des empires est suffisant pour tout expliquer ».
« Les reproches mutuels échangés entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui se font assumer la responsabilité de ce qui s'est passé en Afghanistan, en particulier, la prise de contrôle par les Talibans du pays, ces reproches sont passés sur la scène intérieure américaine entre les services de renseignement et la Maison Blanche et les résultats de cela seront profonds, dangereux et à long terme. Croyez-moi, cela dépassera ce que nous pouvons penser », a-t-il expliqué.
« Le monde doit se préparer à des changements politiques sans précédent, dès lors que les Talibans seront un acteur principal du prochain échiquier ».
Au sujet de ce qui est véhiculé que ce qui s'est passé ne représente pas une victoire pour les Talibans mais que c’est la résultante d'un accord préalable conclu avec Washington, Zeidane a lancé : « A ma connaissance, le seul accord conclu est celui de Doha, signé en février 2020, et qui prévoyait le retrait des forces américaines du sol afghan ».
« C'est cette configuration qui a permis à l'Administration qui a pris les commandes après Trump (L'Administration de Biden) qui a pris le pouvoir le 20 janvier dernier une courte chance pour assurer un retrait sécurisé, ce qui avait provoqué l'état de panique et de fébrilité que nous avons tous constaté », a-t-il encore dit.
- Un négociateur patient
Au sujet du changement constaté dans les agissements du Mouvement, Zeidane a estimé que « les Talibans ont prouvé incontestablement être des négociateurs patients et de longue haleine ».
« Les Américains avaient réclamé au Pakistan l'arrestation du mollah Abdul Ghani Baradar (homme numéro 2 des Talibans) en 2010 avant de demander sa libération en 2018, en comptant sur lui et son leadership », a-t-il expliqué.
« Ils (Les Américains) pensaient qu'il faisait partie du clan des modérés mais il a prouvé qu'il est uniquement modéré en débitant de belles paroles. Toutefois, il a, à la faveur de sa patience et de sa persévérance, en étant à cheval sur ses principes, a dérouté plus d’un selon moi », a-t-il encore dit.
- Les Talibans et la Turquie
Concernant la relation entre le Mouvement des Talibans et la Turquie, Zeidane a assuré que « les Talibans ont une affection historique pour la Turquie, et qu'ainsi, l’encouragement et le renforcement de ce lien est un point essentiel pour faire face aux défis communs ».
Il a, cependant, nuancé ses propos en indiquant que « la mentalité des Talibans marquée par le tribalisme n'évolue pas rapidement ».
« Il est possible que les prochains jours soient porteurs de bonnes nouvelles portant sur la consolidation de cette relation, qui à mon sens sera dans l'intérêt du monde islamique, qui fait face à d’énormes défis ».
- Le Courant islamiste
Zeidane a estimé que « l'arrivée des Talibans (au pouvoir) aura un grand impact et des plus indéniables sur le Courant islamiste ».
« Nous constatons le soutien et l'impulsion morale insufflée par le Courant jihadiste en particulier, qui pourrait vaincre au détriment d’autres courants. Nous constatons aussi la conspiration du monde entier menée contre le Printemps arabe, dont le modèle tunisien est la dernière victime ».
« Ainsi, la génération des jeunes sera convaincue que la solution passera par le modèle des Talibans et le monde se doit de traiter ce qu'a généré la guerre afghane sur la scène arabe, de manière rapide et urgente, pour être au diapason des aspirations des peuples et que l'occupation, interne ou externe, disparaitra, indépendamment de sa durée, courte ou longue », a-t-il conclu.