Politique

Etats-Unis : Biden annonce son intention de s'ingérer dans les élections turques de 2023

- Le candidat démocrate à la présidence déclare que s'il est élu en novembre prochain, il cherchera à provoquer un "changement de régime" en Turquie

Mourad Belhaj  | 16.08.2020 - Mıse À Jour : 19.08.2020
Etats-Unis : Biden annonce son intention de s'ingérer dans les élections turques de 2023

Ankara

AA / Ankara 

L'actuel candidat favori dans la course à la présidence américaine, Joe Biden, a déclaré dans une vidéo publiée récemment qu'il chercherait à provoquer un "changement de régime" en Turquie et qu'il œuvrerait avec les "dirigeants de l'opposition" dans le pays à évincer le président Recep Tayyip Erdogan lors des élections turques de 2023.

Alors que l'ancien vice-président américain, comme le Parti démocrate, accusent depuis longtemps la Russie et d'autres puissances étrangères, comme la Chine et l'Iran, de s'ingérer dans les élections américaines - et accusent le président Donald Trump de collusion avec ces opérations - les propos de Biden tendent à adopter les mêmes procédés d'ingérence dans les élections étrangères, mais cette fois-ci, ce sont les États-Unis qui tentent de peser sur les élections en Turquie.

Dans la vidéo, enregistrée en décembre dernier pour la série de documentaires FX The Weekly, Biden s'entretient avec la rédaction du New York Times, qui pour sa première question de politique étrangère n’évoque pas des adversaires traditionnels tels que la Chine, la Russie ou l'Iran, mais porte plutôt sur la Turquie, alliée de l'OTAN.

"Êtes-vous en accord avec le fait que les États-Unis déploient toujours des armes nucléaires en Turquie, au vu du comportement d'Erdogan ? " a demandé Kathleen Kingsbury, la rédactrice adjointe de la page éditoriale du journal, à Biden.

Elle ajoute que la cinquantaine d'armes nucléaires américaines basées en Turquie "ont commencé à susciter un débat public après l'offensive de la Turquie en Syrie en octobre", dénaturant sciemment au passage l'opération "Source de paix", lancée par la Turquie à l'automne dernier pour empêcher la formation d'un couloir terroriste à ses frontières sud et pour libérer les Syriens locaux de l'oppression terroriste.

"La réponse est que je me sens nettement moins à l'aise. J'ai passé beaucoup de temps avec Erdogan", a répondu Biden, décrivant le président turc démocratiquement élu, Recep Tayyip Erdogan, comme un "autocrate".

Biden a ajouté que s'il est élu en novembre prochain, son administration adoptera une politique visant à faire pression sur le gouvernement turc élu.

"Ce que je pense que nous devrions faire, c'est adopter désormais une approche très différente à son égard [Erdogan], en indiquant clairement que nous soutenons les dirigeants de l'opposition", a déclaré Biden.

Et d'ajouter en lançant une sorte d'ultimatum : "Il [Erdogan] doit payer un prix. Il doit payer un prix pour que nous continuions ou non à lui vendre certaines armes".

Pendant les deux mandats de Barack Obama, dont Biden a été le vice-président, la Turquie s'est fortement opposée aux politiques américaines de financement et d'armement de l'ennemi juré de la Turquie dans le nord de la Syrie, le YPG, branche syrienne du PKK, le groupe terroriste qui a quelque 40 000 victimes à son actif, dont une majorité de civils.

La Turquie a dû également composer avec le refus des autorités américaines d'extrader Fetullah Gulen, le leader de l'organisation terroriste (FETO), résidant aux États-Unis, d'où il a mené une tentative de coup d'État en juillet 2016.

La nuit du 15 juillet, le FETO s'est rendu coupable du martyre de 251 Turcs, alors que plus de 2 200 autres ont été blessés en moins de 12 heures, avant que le coup d'État ne soit déjoué.

L'échec des politiques d'Obama et de Biden au Moyen-Orient, notamment en Syrie, a également exacerbé les relations avec la Turquie et a ouvert la voie aux tensions récentes entre les deux alliés de l'OTAN.

- L'agenda anti-turc

Le candidat à la présidence, âgé de 77 ans, a continué à suggérer des ingérences en faisant preuve d'une mauvaise compréhension de la politique turque.

Exprimant son "inquiétude", Biden a déclaré : "Je suis toujours d'avis que si nous nous impliquions plus directement comme je le faisais avec eux, nous pourrions soutenir les composantes du leadership turc qui existent encore et nous pourrions les encourager à affronter et à vaincre Erdogan. Pas par un coup d'État, mais par le biais du processus électoral".

Biden a également souligné son insatisfaction face aux politiques menées par l'administration Trump à l'égard de la Turquie.

Trump a "cédé" à la Turquie, a déclaré Biden, ajoutant : " La dernière chose que j'aurais faite, aurait été de lui céder en ce qui concerne les Kurdes. Il ne fallait absolument pas le faire".

Les propos de Biden ont injustement fait l'amalgame entre les "Kurdes" et le groupe terroriste YPG/PKK qui sévit dans le nord de la Syrie, qui s'attaque aux forces de sécurité turques, kidnappe des enfants - dont de nombreux Kurdes - et tente de créer un État terroriste le long des frontières de la Turquie.

Et l’ancien vice-président américain de poursuivre : "Ils doivent comprendre que nous n'allons pas continuer dans cette voie avec eux. Je suis donc très inquiet (…) Je suis très préoccupé au sujet de nos aérodromes [à la base aérienne d'Incirlik à Adana, en Turquie] et de l'accès à ceux-ci également".

"Je pense qu'il nous faudra beaucoup de travail pour pouvoir nous rassembler avec nos alliés dans la région et traiter de la manière dont nous allons isoler ses actions dans la région, en particulier en Méditerranée orientale en ce qui concerne le pétrole et toute une série d'autres sujets qu’il serait trop long de passer en revue. Mais la réponse est oui, je suis inquiet", ajoute Biden.

Ces propos qui flirtent avec l'impérialisme américain, ont déclenché une tempête de critiques en Turquie et dans le monde entier.

Bruno Macaes, chercheur à l'Institut Hudson basé aux Etats- Unis a déclaré, concernant ces propos controversées que "Biden ne sait rien sur la Turquie" et que son incompréhension de la politique turque lui vaudrait un "F lors d'un exposé" sur le sujet.

La présidence turque et plusieurs partis d'opposition ont critiqué les propos de Biden, soulignant la souveraineté et l'indépendance de la Turquie en dépit de ses différences internes.

Les déclarations de Biden "reflètent la manière dont certains pays agissent vis-à-vis de la Turquie et leur attitude interventionniste", a déclaré Fahrettin Altun, directeur de la communication turque, sur Twitter.

Il a ajouté : "Ces propos sont contraires à la démocratie et à la nature des relations turco-américaines".

*Traduit de l’Anglais par Mourad Belhaj

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