
AA/ Bangui/ Thierry Brésillon
Depuis le début du déploiement de la force militaire française « Sangaris » en RCA, les slogans tapissant les façades du quartier musulman KM5 témoignent de l’hostilité d’une partie des habitants du quartier à la France, accusée de complicité avec les anti-Balaka (milices chrétiennes), les affrontements du 23 avril dernier ayant ravivé une tension qui tendait à diminuer.
La tension entre les musulmans du quartier KM5 à Bangui et les militaires français de l’opération Sangaris s’affiche sur les façades de l’avenue Koudoukou qui traverse ce quartier où résident les derniers musulmans de la capitale. Les tags « Non à la France », assortis depuis peu de croix gammées, « Sangaris arrêtez de tuer les musulmans ! », « Que veut la France en Centrafrique ? », « François Hollande piégé par Bozizé (président centrafricain déchu)» traduisent le ressentiment de certains habitants à l’égard de la force française, soupçonnée de complicité avec les anti-Balaka pour éliminer les musulmans de Centrafrique.
Ce sentiment s’est exacerbé depuis le violent accrochage entre les militaires français et des éléments armés du quartier dans la nuit du 23 au 24 avril, durant lequel un jeune musulman avait trouvé la mort. Cette opinion a cependant fluctué au gré des événements et ne fait pas l’unanimité.
Les premières inscriptions « Non à la France » étaient apparues rapidement après le début de l’opération militaire française.
« Au départ, Sangaris est arrivée avec une mauvaise lecture, sur la base de rapports influencés par les partisans des anti-Balaka, estime Saoudi Abderrahmane Dodo, porte- parole des musulmans du quartier, proche du maire du 3eme arrondissement. Ils ont soupçonné a priori tous les musulmans d’être membres de la Seleka » (groupes politico-militaires, de confession musulmane), observe-t-il.
De ce point de vue, il a également ajouté : « deux boutiquiers qui protégeaient mes magasins ont été dénoncés comme des pilleurs de la Seleka par les anti-Balaka, et abattus par l’armée française, le 22 janvier. »
L’un des principaux griefs à l’encontre de l’armée française est dû au fait d’avoir laissé les musulmans sans défense face à la vindicte des anti-Balaka en désarmant la Seleka. « A l’époque j’avais moi-même organisé deux marches contre Sangaris », reconnaît-il.
Des sources proches de milieux diplomatiques et militaires français reconnaissent, quant à elles, que la violence anti-musulmane systématique des anti-Balaka qui apparaissaient au départ comme de simples groupes d’auto-défense villageois contre les exactions de la Seleka, avait été sous-estimée pendant quelques semaines.
Il avait fallu attendre la mi-février pour que des responsables militaires français dénoncent publiquement les exactions des anti-Balaka à l’encontre des musulmans.
C’était suite au discours de François Hollande le 28 février, lors de sa visite à Bangui, qu'on les a qualifiés de « bandits » et « d’ennemis de la paix » pour ensuite engager des opérations contre eux.
Courant mars, la situation s’est améliorée. Des militaires français pouvaient même effectuer des patrouilles à pied sur l’avenue Koudoukou, devant la mosquée centrale à Bangui, et aller au contact de la population.
"Nous avons retiré les slogans “hostiles à la France. Le 29 mars et le 17 avril, la réouverture de l’avenue à la circulation des taxis avait été célébrée officiellement. Les militaires français étaient là, entourés et salués par la population », se souvient le porte-parole.
Mais, la tension est brusquement remontée, poursuit-il, suite aux violences du 23 avril. A l’origine, une tentative d’incursion d’anti-Balaka depuis le quartier Bazanga vers une zone de KM5 appelée le quartier Camerounais. L’armée française a envoyé une patrouille le long de l’avenue qui sépare les deux quartiers. Les circonstances qui ont déclenché l’accrochage ont été contestées, mais les militaires français ont affirmé avoir été la cible de tirs depuis une maison dans le quartier musulman.
Saoudi Abderrahmane Dodo, en contact téléphonique permanent pendant l’incident avec un officier et les jeunes des groupes d’auto-défense du quartier engagés dans l’affrontement, a reçu l’assurance de ces derniers qu’ils n’étaient pas à l’origine des tirs.
Au terme de plusieurs heures de combats, un jeune musulman a été tué. Un bilan confirmé par le porte- parole du quartier et par l’envoyé spécial d’Anadolu présent lors des obsèques. « Certains interprètent les événements comme une manipulation des anti-Balaka par l’armée française pour provoquer une réaction de la part des musulmans et disposer d’un prétexte pour intervenir dans KM5 », rapporte Saoudi Abderrahmane Dodo.
C’est suite à ces incidents que sont réapparus les slogans anti-français, visiblement rédigés de la même main. Le vendredi suivant, une association de jeunes musulmans a voulu organiser une marche de protestation. « Un des jeunes a voulu prendre la parole dans la mosquée centrale après la fin de la prière, mais l’imam l’a empêché, déclarant : « dans cette mosquée nous prêchons la paix ». Puis, il l’a renvoyé, témoigne le porte- parole qui a assisté à la scène.
« Il y aurait quelques extrémistes parmi les habitants du quartier. Certains réagissent émotionnellement, d’autres sont politisés. Mais, l’on œuvre de notre côté à apaiser les tensions, en leur expliquant que les militaires français ne sont pas tous partisans d’un camp aux dépens de l’autre », affirme-t-il.
En témoigne ainsi une présence militaire renforcée à Ndélé (500 kilomètres au nord de Bangui) pour sécuriser un congrès, qui doit avoir lieu, vendredi, par la Seleka pour faire élire un nouveau commandement. Abderrahmane Dodo estime, toutefois, que la Sangaris pratique généralement « une politique de deux poids deux mesures. Jamais elle n’a employé contre les anti-Balaka la force qu’elle a utilisée dans le Nord, contre les musulmans », selon lui.
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