Commandant Massoud : Le Lion du Panshir, ou « Ataturk de l'Afghanistan »*
- À l'occasion du 20e anniversaire de l'assassinat du charismatique leader de la résistance afghane, l'AA a interrogé l'un de ses proches amis, le célèbre et talentueux photographe azerbaïdjanais Reza, ainsi que le président de l'IPSE, Emmanuel Dupuy

France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Il y a vingt ans, le 9 septembre 2001, soit deux jours avant les attentats terroristes du 11 septembre ayant frappé les États-Unis, deux faux journalistes kamikazes du groupe armé terroriste Al-Qaïda interviewaient Ahmad Chah Massoud avant de déclencher la bombe qui allait assassiner le leader charismatique chef de la résistance afghane face à l'invasion soviétique (1979-1989) et à la prise du pouvoir par les Taliban (1996-2001).
À l'occasion du 20e anniversaire de son assassinat ayant endeuillé des millions de personnes en Afghanistan comme à l'étranger, l'Agence Anadolu (AA) a interrogé un ami proche du « Lion du Panshir », le célèbre et talentueux photographe azerbaïdjanais Reza, ainsi que le président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Emmanuel Dupuy, tous deux exprimant leur regrets face au manque de soutien de la communauté internationale à ce héros de la résistance afghane.
- Ahmad Chah Massoud, « Ataturk de l'Afghanistan »
La voix empreinte d'émotion, le photographe Reza, qui fut longtemps présent aux côtés d'Ahmad Chah Massoud (1953-2001), rappelle les qualités humaines d'un homme davantage connu pour son génie militaire et sa résistance armée.
« J'ai connu Massoud pour la première fois en 1985 quand il préparait et menait la grande rébellion contre l'armée soviétique dans la Vallée du Panshir [nord-est de l'Afghanistan, NDLR], et ça m'a pris trois mois de marche dans les montagnes, d'endroit en endroit, de village en village, pour le trouver », se souvient Reza.
« Et depuis [l'année 1985] jusqu'à sa mort en 2001, pendant 16 ans, je l'ai côtoyé, j'ai passé beaucoup de temps avec lui. Une fois que les Russes étaient partis après avoir été mis en échec [par la résistance des Moujahidines de Massoud en 1989], il y a eu la guerre civile qui fut largement alimentée par l'Iran et le Pakistan, entre les groupes de proxys de l'Iran qui étaient des Hazaras chiites et les proxys du Pakistan dirigés par le chef du Hezb-e-Islami, Gulbuddin Hekmetyar [dans le cadre de l'opération Cyclone des États-Unis, NDLR] qui se battaient contre Massoud », se rappelle le photographe auteur de nombreux portraits du Commandant Massoud.
« Après la guerre civile, les Taliban sont arrivés au pouvoir (1996-2001). Pendant cette période, les Taliban contrôlaient 85% du territoire afghan et Massoud a résisté jusqu'à son assassinat le 9 septembre 2001 », note encore Reza avant d'évoquer les qualités humaines du Lion du Panshir.
« Ce que j'ai su de Massoud dès que je l'ai rencontré, c'est qu'il était un vrai génie dans l'histoire afghane, comme il en existe dans l'histoire d'autres pays.
« Si je devais le comparer à quelqu'un dans l'histoire de Turquie par exemple, je dirais que ce qu'a été et demeure Atatürk dans l'histoire de la Turquie, Massoud en est l'équivalent dans l'histoire de l'Afghanistan », déclare Reza en référence au leader charismatique de la Guerre d'indépendance de la Turquie (1919-1923) et fondateur de la République de Turquie, Mustafa Kemal Atatürk (1881-1938).
Reza note par ailleurs, que le leader charismatique de la résistance militaire afghane « était un homme très cultivé, un homme sensible avec une âme de poète. Il lisait beaucoup la poésie de Mevlana [Djalâl ad-Dîn Rûmî, NDLR] dont il était un grand adepte », se souvient-il. Une réalité qui ne manque de transpirer dans les merveilleux documentaires du journaliste français et autre ami de Massoud, Christophe de Ponfilly.
« Je me souviens aussi que Massoud savait garder son sang-froid, un calme incroyable, même dans les moments les plus difficiles », déclare Reza se souvenant qu'« il était toujours optimiste pour l'avenir, pour l'avenir de son pays et [que] son vrai souci dans la vie était de créer une démocratie en Afghanistan avec un Islam qu'on appelle " Islam modéré" », note encore Reza avant de conter une des anecdotes les plus émouvantes pour ceux qui sont épris du héros que fut et demeure encore aujourd'hui, Ahmad Chah Massoud, le Lion du Panshir. « Je lui avais demandé ce qu'il voudrait devenir, une fois qu'il parviendrait à instituer une démocratie en Afghanistan avec l'Islam modéré. Il m'avait répondu qu'il voudrait devenir instituteur dans un village », se souvient Reza, la voix pleine d'émotion...
- La déception face au manque de solidarité de la communauté internationale
Interrogé par l'Agence Anadolu, Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), qui fut en 2011, conseiller politique de la Task Force Lafayette déployée dans la province de Kapisa et dans le district de Surobi, déplore, pour sa part, le manque de solidarité de la communauté internationale à la résistance afghane face à l'avancée des groupes armés terroristes et à la prise de pouvoir, aujourd'hui comme dans le passé, des Taliban en Afghanistan.
« Il y a 20 ans, en avril 2001, le Sénat français et les Centristes français du Parlement européen, recevaient Ahmed Shah Massoud à Paris et à Strasbourg. Les Centristes étaient les seuls à croire en ses chances et à écouter ses craintes quant aux Taliban, Al Qaïda et Ben Laden », note Dupuy.
« On sait ce que cela lui en a et nous en a coûté, le 9 septembre 2001 ! Bref, 20 ans plus tard, son fils unique, Ahmad Massoud, qui a été invité par Anne Hidalgo [la maire de Paris] pour inaugurer, le 27 mars dernier, à Paris, la stèle en mémoire de son père, érigé en héros national afghan en 2019, n’aura guère été écouté davantage lors de son passage à Paris », explique encore le président de l'IPSE.
« Ce dernier nous mettait pourtant, lui aussi en garde, contre les graves conséquences du retour des Taliban au pouvoir, notamment quant à la destruction et remise en cause de tout ce que la Communauté internationale a réussi à péniblement et douloureusement ancrer en Afghanistan : la prise en compte de la diversité ethnique, le respect des droits fondamentaux pour les 38 millions d’Afghans, la garantie de l’accès à l’éducation pour les 20 millions de femmes afghanes, la perspective d’un avenir meilleur pour les deux tiers de la population âgée de moins de 25 ans, la ferme volonté de chasser les groupes terroristes du pays », déplore Dupuy.
« J’avais eu l’occasion durant mon séjour en Afghanistan de rencontrer et côtoyer dans le Panshir, les frères d’Ahmad Shah Massoud, Zia, Wally et Yayah. Les oncles de celui qui incarne, aujourd’hui, le fragile espoir de résistance face au Taliban, Ahmad Massoud, insistaient déjà sur les sombres desseins des services de renseignement pakistanais (Inter Service Intelligence - ISI). La prise de Kaboul, le 14 août dernier, l’installation d’un nouveau gouvernement et l’offensive menée contre le NRF d’Ahmad Massoud n’auraient pu se faire sans l’implication directe de l’ISI. Son chef, Hamid Faiz n’était-il pas à Kaboul, il y a quelques jours, dans ce but ? », questionne le président de l'IPSE.
« Alors que la frêle poche de résistance constituée par le Front National de résistance d’Afghanistan (NRF), dirigée dans le Panshir, par Ahmad Massoud semble céder aux offensives militaires menées par les Taliban et les forces spéciales pakistanaises venues en renfort, il nous faut aider cette courageuse résistance qui ne souhaite pas que l’obscurantisme voile de nouveau le pays, comme ce fut le cas entre 1996 et 2001. Il en va aussi d’une certaine universalité de la démocratie et de l’Etat de droit », conclut Emmanuel Dupuy.
* Les opinions exprimées dans cette analyse n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.