Cessez-le-feu entre Anti-Balaka/Seleka: A Bangui, on retient son souffle en attendant la position du gouvernement
Chrétiens et musulmans craignent de plonger dans un nouveau cycle de violences si Bangui rejette l'accord signé à Nairobi.

AA/Bangui/ Pacome Pabandji
Le cessez-le-feu signé mercredi à Nairobi entre les deux milices rebelles présentes en Centrafrique, Seleka et anti-Balaka, laisse perplexe musulmans et chrétiens centrafricains qui attendent la prise de position du gouvernement pour accorder crédit à cet énième accord de paix, d’après les témoignages recueillis par Anadolu.
Durant plus d’une année, la Centrafrique a été plongée dans un cycle de violence depuis que l'ex-président François Bozizé a été renversé en mars 2013 par Michel Djotodia, chef de la milice à majorité musulmane Séléka, lui-même contraint à la démission en janvier 2014 cédant le pouvoir à un gouvernement de transition qui s'achèvera en août prochain.
A son arrivée au pouvoir, la Séléka a perpétré des exactions contre les populations majoritairement chrétiennes. S'en suit alors la création de milices d'auto-défense à majorité chrétienne appelées Anti-Balaka. Ces dernières s'en sont prises avec force aux civils musulmans surtout de Bangui, faisant des milliers de morts et provoquant l'exode de dizaines de milliers d'autres vers l'intérieur du pays et les pays frontaliers (Tchad, Cameroun, Congo), d’après l’ONU.
Afin de sortir définitivement de cette crise, les deux factions rebelles ont donc convenu mercredi, d’un accord de paix signé sous l’égide de la présidence Kényane et organisé par le président congolais Denis Sassou Nguesso, désigné l’an dernier déjà comme chef de mission de médiation.
Mais pour les chrétiens et les musulmans de Bangui, cet énième accord « est loin d'être acquis » en dépit du calme relatif qui régne depuis plusieurs mois entre les deux parties.
Dans le PK5, enclave musulmane de Bangui qui a vécu plusieurs mois d’horreur, la crainte et l'inquiétude sont toujours palpables. Pour Issa, commerçant, « rien n’est en effet gagné ». « Nous voulons d'un accord sérieux qui implique toutes les parties y compris le gouvernement » qui n'a pas participé aux négociations ni réagi à l'accord, fait-il savoir.
Pour Ousmane, un jeune étudiant musulman dont une partie de la famille est morte dans les exactions pérpétrées par les anti-Balaka, cet accord «laisse perplexe». «Ce n’est pas le premier du genre qui est signé. Rappelez-vous de l’accord de Brazzaville de juillet dernier ou encore celui de Nairobi en janvier. Aucun de ces accords n’a servi à quelque chose, les anti-Balaka ont continué leurs exactions », informe-t-il.
«Toute la communauté musulmane est sur ses gardes, nous espérons évidemment que les deux milices tiendront leurs promesses et surtout que le gouvernement ne le rejettera pas cette fois. Nous ne voulons que la paix », ajoute-t-il, avouant toutefois «rester méfiant malgré tout».
Gaël, étudiant chrétien à l'université de Bangui, formule les mêmes craintes que ses « amis musulmans ». « Si le gouvernement ne valide pas cet accord, il y aura de nouvelles tensions. On veut seulement la paix et l'arrêt des violences. Le gouvernement doit savoir que la paix n'a pas de prix» assure-t-il.
Pourtant, avant même d’être appliqué, l’accord semble déjà compromis.
Signé par Joaquim Kokate conseiller à la primature et représentant des Anti-Balaka et le général Nourredine Adam au nom de la Seleka, ce document est néanmoins rejeté par les anti-Balaka de Bangui « qui ne se reconnaissent pas dans le dit accord ».
« Les Anti-Balaka n’ont envoyé personne à Nairobi. Kokate n’en a fait qu’à sa tête en utilisant le nom des anti-Balaka alors qu'il n'a aucune autorité dans le mouvement », a d’ailleurs déclaré Igor Lamaka, porte-parole des Anti-Balaka, joint par Anadolu.
Les autorités de transition n’ont fait, pour leur part, aucun commentaire quant à la légitimité de cet accord mais en janvier dernier, le premier accord de Nairobi qui prévoyait un projet d’amnistie générale et un remplacement des autorités de transition en place n’avait pas été reconnu par le gouvernement car il appelait au remplacement des autorités de la transition de la RCA et excluait celles-ci des négociations.
Bangui avait rejeté l’idée d’une amnistie décidée par les deux milices qui mettrait à l’abri les anciens présidents centrafricains et certains de leurs proches, tous passibles de poursuites pour crimes de guerre pour les exactions commises durant la crise.
L’accord de cessez-le-feu signé le 23 juillet dernier à Brazzaville, aux termes duquel tous les protagonistes de la crise centrafricaine s’étaient engagées à « cesser toute hostilité et toute entrave à l’exercice de l’autorité de l’Etat, de la libre circulation des biens et des personnes » n’avait quant à lui pas été respecté dans plusieurs de ses clauses. Plusieurs combats au sein même de la milice anti-Balaka avaient d’ailleurs éclaté, au mois de janvier, après, pourtant, une certaine accalmie vers la fin 2014.
D'après une source proche de la présidence de transition, « les autorités évoquent actuellement en réunion (jeudi soir) la position à prendre face à cet accord. Mais il y a un risque qu’elles le rejettent une fois de plus car certains points de négociation ne sont pas encore clairs ».
Les Centrafricains retiennent désormais leur souffle attendant impatiemment que le gouvernement tranche, à trois semaines du forum de Bangui, censé être le lieu de discussions des modalités du retour à une paix durable.