Censure pro-israélienne chez Reuters : double standard dans la couverture du génocide à Gaza
- Selon Declassified UK, une analyse interne de 499 articles Reuters (7 oct.-14 nov. 2023) révèle un « schéma constant » favorisant les Israéliens par rapport aux Palestiniens

Ankara
AA/Ankara/Ahmet Furkan Mercan
Des employés de l’une des plus grandes agences de presse mondiales, Reuters, affirment être confrontés à des obstacles et à de la censure dans la couverture du génocide mené par Israël à Gaza depuis octobre 2023, en raison de l’attitude jugée pro-israélienne de la direction et de l’équipe éditoriale.
Fondée en 1851 à Londres et dont l’audience quotidienne est estimée à plus d’un milliard de personnes, Reuters est accusée d’adopter un « parti pris pro-israélien » et de pratiquer la censure dans ses reportages sur les Palestiniens.
S’exprimant sous couvert d’anonymat auprès du média britannique Declassified UK, des employés de l’agence ont dénoncé les préjugés pro-israéliens de la direction et des éditeurs dans la couverture du génocide à Gaza.
Un exemple marquant a été la manière dont Reuters a relaté la mort d’Anasse al-Sharif, journaliste palestinien ayant travaillé pour l’agence et voix importante dans la dénonciation du génocide israélien à Gaza depuis 2 ans et demi.
Al-Sharif, qui faisait partie de l’équipe Reuters récompensée par le prix Pulitzer 2024, a été tué ce mois-ci dans une frappe israélienne. L’agence a titré : « Israël tue un journaliste d’Al Jazeera qu’il accuse d’être un dirigeant du Hamas », suscitant une vive indignation.
La polémique ne s’est pas limitée au public mondial de l’agence, suivi par des milliards de personnes, mais a également soulevé des inquiétudes au sein même de Reuters, entraînant une enquête interne sur les soupçons de partialité éditoriale.
Selon Declassified UK, une analyse interne menée par des journalistes de Reuters sur 499 articles publiés entre le 7 octobre et le 14 novembre 2023 sous la rubrique « Israël-Palestine » a révélé « un schéma constant consistant à consacrer davantage de ressources aux sujets concernant les Israéliens qu’à ceux concernant les Palestiniens ».
Une lettre fondée sur les conclusions de l’enquête
Une source de Reuters a déclaré à Declassified UK qu’à la suite de ces constats, une « enquête interne incluant des analyses quantitatives et qualitatives » des dépêches avait été menée.
La source a précisé : « Quelques semaines après l’attaque du 7 octobre, certains journalistes de Reuters ont réalisé que notre couverture de la guerre Israël-Gaza manquait d’objectivité. »
Selon cette même source, « les conclusions ont également servi de base à une lettre ouverte partagée en interne, destinée à identifier et à relier entre eux les journalistes de la rédaction déterminés à renforcer la couverture de Gaza. »
Un « assouplissement éditorial » marqué par le deux poids deux mesures
Dans leurs critiques, ces journalistes ont estimé : « Un exemple clair du biais dans nos mots est notre choix d’interdire l’usage du mot ‘Palestine’. Même si certains pays occidentaux ne reconnaissent pas la Palestine comme un État, cela ne signifie pas que nous devions prétendre qu’il ne s’agit pas d’un lieu réel. »
Le groupe a également remis en cause le manque de couverture par Reuters des accusations d’experts affirmant qu’Israël commet un génocide à Gaza, en le comparant à l’approche adoptée par l’agence vis-à-vis des accusations contre la Russie en Ukraine.
Face à ces critiques, le rédacteur en chef Qualité et Style de Reuters, Howard S. Goller, a envoyé un courriel intitulé « Mise à jour du style Reuters concernant le conflit au Moyen-Orient » afin de réviser la politique éditoriale.
Désormais, les journalistes de l’agence sont autorisés à employer le mot « génocide », à condition de l’attribuer à des sources. Toutefois, le terme « Palestine » reste limité aux références à la « Palestine historique, de l’Antiquité jusqu’à 1948 ».
Ainsi, si les restrictions sur le terme « génocide » ont été assouplies, l’analyse de Declassified UK révèle que, sur environ 300 articles publiés entre le 21 juin et le 7 août dans la rubrique « Israël et le Hamas en guerre », seuls 14 comportaient ce mot.
Lorsqu’il était fait mention de génocide dans les articles, l’expression apparaissait systématiquement accompagnée du démenti israélien, alors que ce n’était pas le cas pour d’autres parties impliquées dans des conflits, telles que les Forces de soutien rapide (FSR) au Soudan ou la Russie.
Des sections « passées sous silence » dans le guide de style
L’analyse de Declassified UK a montré que l’éditeur Howard S. Goller, dans son courriel, citait certaines parties du guide de style mises à jour, notamment les sections « Guerre de Gaza (2023-aujourd’hui) » et « Contexte élargi », mais que les détails y étaient exposés avant tout selon la perspective israélienne. Le texte ne faisait par exemple pas mention du rôle des États-Unis et d’Israël dans le sabotage des négociations de cessez-le-feu.
Ces sections passaient également sous silence la colonisation illégale des colons israéliens et les objectifs d’« apartheid », tout en minimisant l’ampleur de la destruction en Palestine.
De plus, les mises à jour du guide ne faisaient aucune référence à l’estimation publiée par la revue médicale The Lancet, selon laquelle « le conflit actuel à Gaza pourrait avoir causé 186 000 morts ou davantage », ni au fait que Gaza est devenu « une zone de conflit mortelle pour les journalistes ».
Un porte-parole de Reuters a déclaré à Declassified UK que l’agence estime que ses publications sont « équitables et impartiales, conformément aux principes de confiance de Thomson Reuters », ajoutant : « Comme dans de nombreuses rédactions, notre couverture de la guerre a été examinée de près, y compris par nos propres journalistes, et nous avons reçu des retours en provenance de nombreuses sources. »
« Le schéma observé est essentiellement un déni de génocide »
Le spécialiste de l’histoire du Moyen-Orient, Dr Assal Rad, connu sur les réseaux sociaux comme un « faiseur de titres », a déclaré à Declassified UK : « Le schéma observé est essentiellement un déni de génocide. »
Rad a expliqué : « Reuters encadre la brutalité d’Israël à Gaza non pas comme un génocide, mais comme une ‘guerre’ ou une ‘opération militaire’, malgré le consensus parmi les experts en droits humains et les institutions internationales selon lequel Israël commet un génocide. »
Objectif : exonérer les auteurs israéliens de toute responsabilité
En août 2024, l’ancien avocat des droits humains des Nations unies, Craig Mokhiber, écrivait pour le site Mondoweiss : « Il est tout à fait peu crédible de prétendre que les médias occidentaux ne savaient pas ce qui se passait sur le terrain et ce qu’ils faisaient pour le cacher. »
Selon lui : « Ils ont fait des choix délibérés pour masquer le génocide aux observateurs, déshumaniser systématiquement les victimes palestiniennes et exonérer les auteurs israéliens de toute responsabilité. »
En mai 2025, le journaliste israélien Gideon Levy, dans un article pour le journal Haaretz, déclarait : « Un environnement médiatique courageux et honnête aurait pu empêcher cette opération militaire, mais nous en avons presque aucun. »
« Kanıt » : Anadolu fournit des preuves essentielles du génocide israélien
La couverture des attaques israéliennes contre Gaza par les médias occidentaux, accusée de « double standard », a été au centre des critiques sur l’éthique journalistique et les droits humains.
En réponse, Anadolu a publié en décembre 2023 le livre « Kanıt » (« Preuve »), qui présente de manière exhaustive le génocide commis par Israël à Gaza, accompagné de visuels constituant des preuves essentielles.
Alors que de nombreux pays, notamment occidentaux, sont restés silencieux face aux attaques indiscriminées contre les femmes et les enfants, certains ont avancé un argument de « manque de preuves » concernant les massacres.
Face à ces allégations, Anadolu a décidé de compiler en livre les photographies et vidéos réalisées depuis le début des attaques par ses photojournalistes et caméramans, afin qu’elles puissent servir de preuves en droit international.
Le livre, préparé en turc, anglais et arabe par une équipe spécialisée, documente les crimes contre l’humanité commis par Israël à Gaza à travers des photos attestant des violations.
Sont notamment présentées des images de munitions à phosphore blanc utilisées par l’armée israélienne dans des zones civiles densément peuplées de Gaza, dont l’usage est interdit par la Convention sur certaines armes classiques de l’ONU.
Le livre comprend également une préface de l’avocat français Gilles Devers, qui défend les victimes palestiniennes à la Cour pénale internationale (CPI). Devers qualifie les photos et vidéos d’Anadolu de « preuves essentielles révélant pleinement les crimes commis ».
Traduit du turc par Sanaa Amir